Les menaces de récession et les ravages de l'inflation pullulent sur les réseaux sociaux mais ne se retrouvent pas dans les chiffres...<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans la grande distribution, la France serait menacée d'inflation durable et violente.
Dans la grande distribution, la France serait menacée d'inflation durable et violente.
©MORITZ FRANKENBERG / DPA / AFP

Atlantico Business

Si l'on en croit une grande partie de la classe politique et des observateurs, la France n'échappera pas à la récession en 2024, pour cause de trop grande rigueur dans la politique monétaire. Comme si les taux d'intérêt étaient responsables de tous nos maux.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Tout se passe comme si le commerce de la peur avait fait sa rentrée. Dans la grande distribution, dans la classe politique de gauche et d'extrême gauche, la France serait menacée d'inflation durable et violente, ainsi que d'un ralentissement de l'activité qui débouchera sur une récession. Cette inquiétude vire à l'hystérie quand elle est relayée par les réseaux sociaux, visant surtout le ministre en charge de la politique économique et monétaire, Bruno Le Maire. On lui reproche pêle-mêle de ne pas se préoccuper de la hausse des prix, d'approuver la politique de taux d'intérêt conduite par la BCE, qui serait à l'origine de l'étouffement programmé de l'activité. Les chiffres macro-économiques ne brossent pas un tableau aussi orageux. Même les Allemands du très célèbre Spiegel reconnaissent que Paris se porte aujourd'hui bien mieux que Berlin. Il y a beaucoup de politique politicienne dans cette campagne, qui vise en fait Emmanuel Macron, mais qui vise aussi Bruno Le Maire, qui arrive en tête des candidats possibles et crédibles à la succession du président.

En réalité, le ressenti de la situation ne correspond pas à la réalité des chiffres et des faits.

1er point : L'activité économique est mue depuis quelques mois par un mouvement de ralentissement, partout en Europe, mais pas par un risque de récession. Après l'euphorie post-Covid et la poussée inflationniste liée à la guerre en Ukraine, les mécanismes économiques se seraient enrayés, nous plongeant dans une récession en 2024. Cette tendance est aggravée par les effets de la hausse des taux appliquée par les banquiers centraux.

Cependant, ce diagnostic est ressenti par les acteurs du système mais ne tient pas à l'examen des chiffres. Il y a certes une baisse de régime, très entraînée par l'Allemagne, qui est aujourd'hui véritablement l'homme malade de l'Europe. Pour des raisons structurelles liées à son modèle économique qui a volé en éclat. La guerre en Ukraine l'a obligée à abandonner ses approvisionnements en gaz bon marché et à chercher des alternatives qu'elle a du mal à trouver compte tenu de son opposition farouche au nucléaire. Par ailleurs, l'Allemagne a abîmé son moteur de l'exportation dans la crise du modèle chinois qui est en panne.

Mais pour le reste de l'Europe, les fondamentaux français tiennent la route. La situation de l'emploi est toujours très tendue, le nombre des faillites est important certes, mais il s'agit d'entreprises zombies qui étaient condamnées bien avant le Covid. Les résultats d’entreprises , les dividendes distribués ont créé la surprise et apportent  du grain à moudre pour investir et des recettes fiscales qu on attendait pas forcement. La saison des vacances n'a pas été décevante, les centres de loisirs et de tourisme ont été saturés, l'hôtellerie et la restauration ne se plaignent pas, la SNCF a débordé de voyageurs dans ses TGV, et les autoroutes ont multiplié les kilomètres de bouchons. La France n'a pas donné l'image d'un pays en crise. Plus de 90% de la population ne connaît pas de difficultés graves au niveau de sa vie quotidienne. La bonne santé des comptes d'épargne, y compris des comptes d'épargne populaires qui ne sont pourtant éligibles que pour les revenus inférieurs à 1500 euros, peut traduire une inquiétude sur l'avenir, mais représente un levier de reprise de la consommation si nécessaire. L'économie française a des marges de manœuvre. La France est en position de relever sa perspective de croissance pour 2023…

Maintenant, il existe entre 8 et 10% de la population globale qui traverse des difficultés graves. C'est beaucoup trop. Cette population est encore plus sensible aux effets de l'inflation que la moyenne, mais c'est un autre sujet que la France n'a jamais su gérer. Les Restaurants du Cœur ont 40 ans, et cette longévité-là est un pur scandale d’ordre politique . 40 année c’est presque deux générations

2e point : L'inflation existe, ce n'est pas une invention des réseaux sociaux, mais elle est imputable d'un côté au prix de l'énergie, pétrole et électricité, et de l'autre aux biens alimentaires de base. Globalement, le taux d'inflation est de 4,8 % en France, alors que les revenus salariés ont augmenté de 5 % l'année dernière. L'objectif d'une inflation à 2 % vers 2025 ne semble pas inatteignable. Cette inflation n'est en aucun cas imputable à la hausse des taux d'intérêt décidée par les banquiers centraux, cette inflation est importée. La guerre en Ukraine, la crise en Chine, la crise climatique ont imposé un changement de paradigme par rapport à l'époque des taux zéro, qui offraient des conditions très artificielles. Actuellement, les taux américains plafonnent à 5 % et les taux européens à 3,75 %. Ces taux correspondent au retour à des conditions monétaires de marché normal pour le monde de l'entreprise qui doit rémunérer ses risques, sinon personne ne prendra de risque, la monnaie perdra de sa valeur, les innovations vont se raréfier. On saura la semaine prochaine dans quel sens les banques centrales vont bouger les taux de base. La Réserve fédérale peut assouplir très légèrement son dispositif, mais la BCE ne bougera pas. La BCE cherche à offrir une stabilité des prix de l'argent aux mondes de l'entreprise qui ont besoin de visibilité. C'est vrai pour l'immobilier, dont le secteur est complètement paralysé. La crise de l'immobilier n'est pas due à la hausse des taux, la hausse des taux a cassé le marché immobilier en éliminant les acheteurs possibles. Mais l'immobilier est en crise parce qu'il n'y a pas d'offre de logements de qualité à un prix plus accessible. Si l'offre s'élargissait, les prix de l'immobilier baisseraient, et les acheteurs reviendraient. Depuis la crise financière et les taux zéro, les prix de l'immobilier ont augmenté de plus de 30 %. Que les prix baissent si l'offre s'élargit, et les clients reviendront, mais les taux ne baisseront pas. La profession a besoin de permis de construire, pas de taux d'intérêt plus abordables.

3e point : les risques de récession sont portés par les facteurs structurels sur le long terme, et sur ce point-là, et seulement là, les gouvernements ont une responsabilité. Faute de croissance réelle, les facteurs inflationnistes serviraient  d'anti-douleur. La réforme de l'État profond est nécessaire, du modèle social, des dépenses de fonctionnement, des grands services publics de l'école et de la santé, sont une nécessité absolue puisqu'ils absorbent la totalité des moyens financiers dont on aurait besoin pour financer les investissements sur l'énergie, la lutte contre le réchauffement, la transition digitale, etc., etc.

L'article du Spiegel qui reconnaît les avantages de la France sur l'Allemagne est assez pervers, car au-delà du panégyrique qui va agacer la bourgeoisie allemande si arrogante, cet article revient à rappeler que l'Allemagne, en panne de structure de croissance à court terme, a néanmoins les moyens financiers d'engager les chantiers qui s'imposent à elle pour retrouver un modèle économique à plus long terme. Sous-entendu, la France n'a pas ces moyens.

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