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Le soleil brille à travers des chênes, dont certains ont plus de 300 ans, à la « haute forêt du Clos », dans la Sarthe, dans le nord-ouest de la France, le 14 février 2019.
Le soleil brille à travers des chênes, dont certains ont plus de 300 ans, à la « haute forêt du Clos », dans la Sarthe, dans le nord-ouest de la France, le 14 février 2019.
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Bonnes feuilles

Hugues Demeude et Thierry Gadault ont publié « Massacre à la tronçonneuse, Climat, parasites, crise budgétaire... Nos forêts en état d'urgence » aux éditions du Cherche Midi. A l'heure où les enjeux environnementaux et la protection de la biodiversité sont plus que jamais d'actualité, l'Etat a progressivement abandonné la forêt française aux seuls intérêts privés. Extrait 1/2.

Thierry Gadault

Thierry Gadault


Thierry Gadault, journaliste économique indépendant, a travaillé pour La Tribune, l'Expansion et le Nouvel Économiste. Il est co auteur d’"Henri Proglio, une réussite bien française. Enquête sur le président d'EDF et ses réseaux, les plus puissants de la République" aux Editions du moment, (2013), et publie fin octobre une enquête sur EDF chez First édition, "La bombe à retardement". Il est également rédacteur en chef du site Hexagones.fr

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Hugues Demeude

Hugues Demeude

Hugues Demeude est enquêteur et réalisateur de documentaires sur des thématiques société et environnement.

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À  500  kilomètres au sud-est de Compiègne, Étienne Delannoy, le directeur départemental de l’ONF dans le Jura, est lui aussi confronté au changement climatique et à ses impacts désastreux sur la forêt. Depuis 2018, la crise des scolytes, un coléoptère qui pond ses larves dans les vaisseaux des épicéas, bloquant ainsi la circulation de la sève et le condamnant à une mort rapide, est en passe d’éradiquer les peuplements. Et chaque année, les dégâts ne cessent de gagner de nouvelles zones et de l’altitude. Il y a trois ans, ce sont les épicéas qui étaient attaqués jusqu’à 600 mètres d’altitude. Puis c’est monté à 800 mètres, et maintenant les scolytes sont repérés à plus de 1000 mètres.

Comme dans l’Oise, les dégâts de ce petit coléoptère, endémique dans les forêts de l’est de la France, sont aggravés par les effets du manque d’eau, qui assoiffe feuillus comme résineux – d’autant que les plateaux calcaires du Jura retiennent peu les eaux de pluie. À la moindre période de sécheresse un peu longue, comme celle qui a été constatée de la mi-mars à la mi-avril 2020, ce sont de nouveaux arbres qui commencent à dépérir, favorisant les attaques des scolytes. « Quand vous avez une fragilité des peuplements parce qu’il fait sec et chaud, les arbres souffrent et émettent des phéromones qui attirent les scolytes. Les populations de scolytes se multiplient tellement que les mesures prophylactiques ne sont plus efficaces. Le scolyte est maintenant épidémique », souligne Étienne Delannoy.

La précédente crise de scolytes date de 2003. Une conséquence à la fois de la tempête de 1999, en raison du nombre important de bois déracinés dans lesquels le coléoptère a pu se multiplier, et de la canicule estivale, particulièrement sévère cette année-là. Mais, à l’époque, la crise n’avait pas duré.

La douceur des hivers contribue aussi à l’aggravation de la situation, comme a pu le constater Hervé Jactel, directeur de recherche en écologie forestière à l’Inrae de Bordeaux, en étudiant la situation des épicéas du Canada  : « Je travaille depuis trente  ans sur les scolytes. Dès les années  1990, on a observé des pullulations gigantesques de scolytes en Colombie-Britannique, dans l’ouest du Canada. Pour la première fois, on a pu démontrer que c’était lié à l’augmentation des températures, notamment en hiver. Ça a démarré en 1997-1998. C’est un insecte qui était limité par un seuil de mortalité à moins 40 degrés. Dans cette forêt boréale, tous les ans, une partie des populations de scolytes était tuée par des températures très froides. Mais il s’est trouvé que, pendant plusieurs années, les hivers ont été plus doux, donc les insectes ont mieux survécu. Ils se sont multipliés et sont devenus suffisamment nombreux pour attaquer les arbres au printemps suivant. Ils ont trouvé une ressource incroyable et se sont mis à pulluler. Rien n’a pu les arrêter. Là, ils en sont à 1 milliard de mètres cubes d’arbres morts. Il y a environ 10 millions de kilomètres carrés infestés. C’est gigantesque! Vous pouvez circuler sur 600 kilomètres à travers les arbres morts ! »

Douceur hivernale… Un mal qui frappe aussi l’Europe de l’Ouest depuis quelques années. Bien planqués dans les sols ou sous l’écorce des résineux, les scolytes attendent sagement le printemps pour reprendre leur travail de sape de la forêt. Selon le bilan annuel du Département de la santé des forêts, il y a ainsi eu jusqu’à quatre envols de scolytes l’année dernière, ce qui explique sa migration, quand historiquement ils étaient limités à deux par an.

Résultat : le volume de bois scolyté explose. Dans une note de conjoncture réalisée fin juin 2020 par les bureaux Grand Est (GE) et Bourgogne-Franche-Comté (BFC) de Fibois (le syndicat interprofessionnel de la filière forêt-bois), le bilan, qui prend en compte les premiers mois de 2020, est très lourd : plus de 4,6 millions de mètres cubes de bois scolyté en cumulé depuis 2018 sur ces deux régions, en forêts publiques et privées. Un chiffrage qui n’est qu’une estimation minimale, les forestiers n’ayant notamment pas pu travailler durant les deux mois de confinement.

« Les données présentées dans les tableaux sont celles des gestionnaires forestiers ayant répondu aux questionnaires envoyés par Fibois BFC et GE. Bien que les principaux gestionnaires aient transmis leurs informations, ces chiffres ne sont pas pour autant exhaustifs et il convient donc de les considérer comme une estimation basse de l’ampleur des attaques de scolytes. De même, les surfaces estimées dans ce document reposent sur une moyenne de récolte en produits accidentels par hectare. Cette analyse est donc seulement représentative des surfaces sur lesquelles des volumes ont pu être commercialisés. Au regard de l’état de saturation des marchés en résineux blancs dans les deux régions observées, plusieurs dizaines de milliers d’hectares n’ont pas été ou ne seront pas récoltés, notamment par manque de débouchés, et n’apparaissent pas dans le présent document », précise la note en guise d’avertissement.

Dans sa note semestrielle de juin 2020, le Département de la santé des forêts chiffre, pour sa part, le volume d’épicéas scolytés au 1er mai 2020 à 9 millions de mètres cubes, en cumulé depuis 2018. « En forêt publique, dans les deux régions concernées, il y a quatre fois plus de coupes rases qu’avant la crise. Entre les printemps  2019 et  2020, les volumes de bois scolytés désignés ont augmenté de 70% », précise la note.

« L’épicéa est une essence qui est probablement condamnée dans le Jura », constate, désabusé, Étienne Delannoy. L’arbre a été planté dans les forêts locales à partir du XVIIIe  siècle et fait partie des paysages. Il va falloir apprendre à vivre sans. Le constat est identique pour les peuplements des Vosges, de l’Alsace, du Doubs et même du Morvan, où ce résineux a été massivement planté après-guerre. Cette catastrophe sanitaire pourrait même à terme concerner tout le territoire : début mai 2020, le quotidien régional Ouest-France a ainsi rapporté des attaques de scolytes dans les forêts de la Sarthe.

« Que faire ? » s’interroge le directeur départemental, alors que les sapins sont eux aussi attaqués, que les hêtres meurent de soif et que les frênes sont tous victimes de la chalarose, une maladie provoquée par un champignon pathogène. Ces deux feuillus sont, avec les résineux, les rois des forêts jurassiennes.

Début mars 2020, lors d’une visite du directeur général de l’ONF, le préfet Bertrand Munch, en forêt de la Joux (l’une des grandes forêts domaniales jurassiennes) pour constater les dégâts du changement climatique, Étienne Delannoy a présenté une parcelle test sur laquelle l’ONF essaie d’acclimater des jeunes plants de sapin pectiné, originaires des Corbières où leurs peuplements souffrent de l’élévation des températures. L’idée est simple : repérer les arbres les plus résistants et voir s’ils peuvent se développer dans d’autres régions, comme le Jura. Une expérimentation similaire est tentée à Verdun, dans la Meuse, avec cette fois des jeunes plants de hêtre issus de la forêt de la Sainte-Beaume, dans le Var.

Mais pour les forestiers de l’ONF, il n’y a plus de temps à perdre. Le changement climatique n’est pas une notion vague qui ne se traduira dans les faits que dans trente ou quatre-vingts  ans, mais une réalité. Et face à sa rapidité, ils se sentent désarmés. D’autant que toutes les régions sont désormais concernées. « Il y a des alertes en forêt ligérienne, dans le bassin de la Loire, où l’on constate aussi des dépérissements de chênes. Aucune essence ne sera épargnée par le réchauffement », souligne Étienne Delannoy. « Nos collègues en forêt de Tronçais s’inquiètent de signes de dépérissement des chênes », précise un expert forestier, qui affirme que les chênes sessiles pourraient aussi être touchés.

Dans les Vosges, non seulement l’épicéa est attaqué par les scolytes, mais le sapin, l’arbre emblématique du massif vosgien, est lui aussi en péril. « On a un scolyte, le chalcographe, qui s’attaque aux sapins. Pour l’instant, c’est un insecte dont les populations varient rapidement, mais c’est en train de monter. Et puis le sapin a des problèmes physiologiques. On sait qu’en dessous de 500  mètres, il est en limite d’aire. Maintenant on s’attend à des dépérissements plus importants dans les années à venir. La mortalité du sapin est souvent un cocktail d’effets liés à la sécheresse et aux insectes ravageurs. On voit aussi que le sapin dépérit dans des endroits qui étaient jusqu’à présent très humides, dans de très bonnes stations qui lui convenaient. Mais l’année dernière, on a eu une sécheresse telle que, même dans ces stations, la nappe est descendue très bas, et là ça va très vite, en deux-trois jours l’arbre devient tout rouge », raconte Jean-Yves Boitte, le responsable forêt de l’agence Vosges Montagne. Une zone très touristique est particulièrement touchée : celle entre Gérardmer et le ballon d’Alsace.

Une situation qui concerne aussi les propriétaires privés. Bien qu’affirmant que le changement climatique soit « un petit phénomène qu’on voit apparaître maintenant », Bertrand Servois, le président de la coopérative Unisylva et de l’Union de la coopération forestière française, explique devoir raser une parcelle de 4 hectares (il est propriétaire de 136  hectares boisés dans le Berry) plantée il y a quarante-cinq ans en pins Douglas mais touchée aujourd’hui par le dépérissement provoqué par les sécheresses. « La parcelle était prévue pour être récoltée à la fin de mon plan de gestion dans quatre ou cinq ans, j’ai avancé le tir parce que j’ai vu que certains arbres commençaient à dépérir. Il faut dire qu’elle est orientée plein sud. Elle n’a pas aimé les deux dernières années. Je ne remettrai pas la même essence, mais du chêne rouvre. On m’a dit que dans le Cher c’est trop bas, il n’y a pas assez d’eau pour le douglas. »

Dans les Landes, les forêts de pins du cordon dunaire, gérées par l’ONF, rencontrent elles aussi de plus en plus de problèmes pour se régénérer. Ces forêts dunaires jouent un rôle essentiel dans la protection du trait de côte contre l’érosion, surtout à un moment où le changement climatique se traduit par une augmentation du niveau de la mer et une aggravation de la violence des tempêtes sur la façade atlantique. L’augmentation du nombre d’échecs de repeuplement a donc amené l’établissement public à demander une étude (le projet Ecodune) à l’Inrae et à l’université de Bordeaux pour comprendre les raisons de ces échecs et trouver des solutions. « Sous l’impact du changement climatique, les dépérissements majeurs que l’on étudie, ce sont les dépérissements liés à la sécheresse, qui se croisent ensuite avec ceux liés aux pathogènes et aux insectes ravageurs. Un arbre affaibli par la sécheresse pourra être plus sujet à des attaques de ravageurs. On a montré, à travers le monde, qu’il y a de plus en plus de mortalités massives, sur plusieurs centaines d’hectares, qui se produisent après une sécheresse intense. On a montré également que cela était dû à ce qu’on appelle l’embolie vasculaire. Lorsqu’il y a une sécheresse, les vaisseaux des arbres se remplissent d’air et ça entraîne le desséchement des organes, voire de la plante entière, et la conduit à la mort », explique Sylvain Delzon, directeur de recherche en écologie (écophysiologie évolutive des arbres) à l’Inrae de Bordeaux. Un phénomène qui touche aussi bien les feuillus que les conifères.

Dans ces conditions, savoir quel sera le climat en France en 2050 ou en 2100 devient urgent, alors que les tests en cours ne donneront les premiers résultats que dans dix ou vingt ans. Les choix faits aujourd’hui sont-ils les bons pour sauver les forêts ?

Si les pouvoirs publics répètent à l’envi que l’objectif est toujours de limiter le réchauffement climatique à + 2 degrés, plus grand monde n’y croit vu leur inaction, en France comme en Europe et dans le monde. Quand leurs décisions, notamment la signature de nouveaux accords commerciaux internationaux (Ceta, Mercosur), ne vont pas à l’encontre de l’objectif affiché. Déjà, quand cet engagement non contraignant fut pris lors de la COP 21 à Paris en décembre 2016, tous les spécialistes le savaient quasiment irréalisable. Mais bon, les promesses…

Depuis, l’évolution du climat en Europe comme dans le reste du monde a montré que la situation avait déjà commencé à s’emballer. À  l’issue du premier semestre 2020, Météo France a ainsi annoncé que la moyenne des températures durant les six premiers mois de l’année a été supérieure de 1,8 degré à la moyenne de référence (période 1981-2010). De juillet 2019 à juin 2020, la hausse moyenne des températures a été de 1,6  degré sur l’ensemble de l’Europe.

En Sibérie, l’hiver dure moins longtemps et, dès le printemps, les températures montent rapidement pour inscrire record sur record. Le pergélisol, que l’on croyait gelé pour l’éternité (ou presque), a commencé à fondre : or ce sol regorge de méthane – un gaz au pouvoir de réchauffement bien plus fort que celui du CO2 – et autres gaz à effet de serre qui, s’ils sont relâchés, vont participer à leur tour au réchauffement climatique.

Des hivers plus courts, des températures qui s’élèvent vite dès le début du printemps, des étés plus secs… Le tableau, alarmant, du climat à venir en France et en Europe commence donc à se dessiner. Reste à savoir jusqu’où monteront les températures… sachant que, d’après une étude publiée mi-juillet  2020 par le consortium Global Carbon Project (qui regroupe 90 scientifiques de 15 pays), les émissions de méthane avaient déjà augmenté de 9% sur la période 2006-2017, faisant donc craindre le pire pour l’avenir. Or le pire des scénarios climatiques envisagés prévoit une hausse de 7 degrés en France en 2100…

« On peut facilement traduire un réchauffement en degrés en termes de kilomètres le long du gradient Équateur-Pôle de température. Un réchauffement de 1 °C revient à migrer vers le nord de quelques centaines de kilomètres pour retrouver les mêmes conditions moyennes de température. Donc on peut estimer qu’en 2050, une ville comme Paris aura une température moyenne d’une ville comme Bordeaux il y a trente ans. Bien sûr, le climat ne se résume pas à la température moyenne. En termes de précipitations, qui est un autre facteur très important pour les forêts, on sait que l’Europe du Sud va s’assécher, et que l’Europe du Nord va recevoir plus de précipitations. La France est un peu entre les deux, donc le nord du pays pourrait avoir un peu plus de précipitations, tout du moins en hiver », explique le climatologue Olivier Boucher, directeur de recherche au CNRS.

En attendant, le vivant – faune et flore confondues –, a déjà commencé sa migration vers le nord à la faveur du changement climatique. C’est notamment le cas de la chenille processionnaire du pin, présente maintenant sur tout le territoire.

« La processionnaire du pin est un modèle d’étude du changement climatique observé depuis les années  1990, car il constitue le moteur principal de sa dispersion, explique Christelle Robinet, directrice de recherche dans l’unité de zoologie forestière de l’Inrae d’Orléans. Sans lui, cette espèce méditerranéenne n’aurait pas pu s’établir si loin en France vers le nord et en altitude, là où on voit les températures à la hausse favoriser sa survie. La chenille processionnaire se développe en tant que larve pendant l’hiver, et c’est parce que les températures sont plus clémentes qu’elles peuvent se nourrir d’aiguilles de pin plus régulièrement et donc mieux survivre à l’hiver. Il y a un lien entre le nombre de jours où elles peuvent s’alimenter et le pourcentage de survie d’une colonie. »

Autre exemple, le chêne vert, une essence méditerranéenne qui s’est progressivement installée dans les forêts du littoral atlantique. « Si l’on regarde de Bordeaux à Nantes dans les forêts du cordon atlantique, à partir des années 1950, il y a eu une explosion du chêne vert. Aujourd’hui, en 2020, c’est l’espèce dominante, celle qui a la plus forte densité de tiges à l’hectare. Beaucoup plus que le chêne pédonculé ou le pin maritime. Donc il y a une dynamique positive pour cette espèce dans le sud de la France. Elle colonise vers le nord et remplace certaines espèces, comme le chêne pédonculé. C’est le cas dans la forêt d’Hourtin, qui fait 5000 hectares, où il y a de plus en plus de chênes verts et de moins en moins de chênes pédonculés », raconte Sylvain Delzon.

Moins pessimiste pour l’avenir de la forêt que les forestiers de l’ONF, ce scientifique de l’Inrae table sur la faculté d’adaptation des arbres pour faire face à la hausse des températures. C’est ce que démontrent les expériences qu’il a menées dans les Pyrénées : « Entre la plaine et les sommets arborés, on a jusqu’à 8 degrés d’écart, ce qui nous permet de simuler un changement climatique énorme dans le cadre de nos expérimentations. Donc on transplante des arbres du bas vers le haut, ou du haut vers le bas, et on regarde le comportement de ces différentes populations à différentes altitudes, et donc à différentes températures. Cela nous permet de quantifier la capacité d’adaptation de ces populations. On travaille essentiellement sur le chêne et le hêtre. Ces deux espèces sont extrêmement plastiques, elles sont capables de répondre à un changement de température de façon instantanée. Le même arbre est capable de changer sa phénologie, de mettre en place des feuilles plus tôt ou plus tard quand on le déplace en altitude. »

En revanche, il y a un élément, crucial, que les arbres ne supportent pas : c’est le manque d’eau. « L’inquiétude la plus importante vient de la sécheresse. Le chêne, le pin maritime, le hêtre ne sont pas doués de plasticité pour les caractères liés à la résistance à la sécheresse. L’incertitude vient donc plutôt de l’aridification du climat, et la hausse des températures y participe », souligne Sylvain Delzon. Peu importe, finalement, que la pluviométrie annuelle demeure ou non inchangée en France, le problème va venir, et vient déjà, de ces longues périodes de sécheresse durant lesquelles les arbres s’épuisent. La connaissance fine de la réserve utile en eau de chaque station forestière17 va donc devenir cruciale.

***

Cette crise forestière provoquée par le changement climatique se traduit aussi par une autre catastrophe, financière cette fois. Premier impact direct de la crise des scolytes, le prix des bois s’est effondré : le mètre cube d’épicéa scolyté est tombé autour de 8  euros, quand, avant la crise, il se vendait à quelque 50 euros !

Pour les propriétaires privés, communaux ou l’ONF, la perte de recette est très significative : le Département de la santé des forêts la chiffre ainsi globalement à 500 millions d’euros. Un chiffre très élevé mais qui cache, en partie, l’ampleur de la catastrophe pour les petites communes forestières de l’est de la France. « Dans le Doubs, la Direction départementale des finances publiques a réalisé une étude sur la dépendance des communes aux recettes des ventes de bois : pour certaines, cela représente 60 à 70% des budgets communaux », souligne Étienne Delannoy.

Lors de son déplacement début mars dans le Jura, Bertrand Munch a rencontré Jean-Noël Ferreux, le maire d’Esserval-Tartre, dont la forêt communale (95  hectares) se situe dans le massif de la Joux. « Sur la totalité de notre forêt, c’est 2000  mètres cubes de bois scolytés qui sont marqués. Aujourd’hui, notre budget souffre énormément. De 50000 euros environ de recettes par an, nous sommes passés à 10000  euros au budget  2020 », a expliqué le maire de cette petite commune qui compte une centaine d’habitants.

Deuxième coût financier caché : les ventes des autres résineux se sont effondrées en raison de l’afflux des bois scolytés qui ont engorgé les marchés locaux. L’État a bien mis en place une enveloppe de 6  millions d’euros pour transporter une partie de ces bois vers d’autres régions, comme le Sud-Ouest, où la situation est moins tendue, mais la crise se poursuivant, le marché national est complètement déstabilisé.

Troisième impact : cette situation amène aussi les forestiers à reporter des travaux d’entretien des parcelles en développement. Les coupes d’éclaircie dans les jeunes peuplements sont ainsi annulées, tant par peur d’aider à l’introduction des scolytes dans des endroits où ils ne sont pas encore présents que faute de débouchés commerciaux.

Enfin, un jour ou l’autre, il faudra bien que les forestiers s’occupent du reboisement, naturel ou par plantation, des parcelles rasées. Étienne Delannoy évalue ainsi à 550 hectares la surface de forêts publiques à reboiser dans son département. Et Jean-Yves Boitte estime à 2000 hectares les surfaces touchées sur le territoire de son agence (Vosges Montagne) d’ici la fin de l’année. Sur l’ensemble des massifs gérés par l’ONF, on parle de 60000 hectares à reboiser (fin 2019) par la faute des seuls scolytes.

À au moins 5000 euros par hectare, le coût paraît prohibitif pour les communes forestières ruinées par la crise du scolyte. Et dans les forêts domaniales, l’ONF attend, telle sœur Anne, un signe de l’État qui se refuse, pour le moment, à mettre la main à la poche, alors que la seule gestion des conséquences de la double crise climatique et sanitaire dans les forêts publiques génère un surcoût en charges d’exploitation évalué à 20 millions d’euros pour 2020 pour l’établissement public.

Avec le changement climatique en cours, la santé des forêts se dégrade rapidement. Entre les dépérissements dus aux sécheresses et ceux provoqués par la multiplication des attaques de bioagresseurs, la situation devient préoccupante. Sans oublier le fait que la pression exercée par le gros gibier, notamment les cervidés bien trop nombreux, aggrave les problèmes de régénération.

Qu’attend l’État pour agir ?

Extrait du livre de Hugues Demeude et Thierry Gadault, « Massacre à la tronçonneuse, Climat, parasites, crise budgétaire... Nos forêts en état d'urgence », publié aux éditions du Cherche Midi.

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