Le clivage qu'on croyait mort : les Français croient comme jamais aux baisses de charges et au poids trop lourd de l'Etat mais ceux de gauche nettement moins que ceux de droite<!-- --> | Atlantico.fr
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Le fossé entre droite et gauche se creuse sur la question du poids de l'Etat en France.
Le fossé entre droite et gauche se creuse sur la question du poids de l'Etat en France.
©Reuters

La mort du mamouth ?

Alors que le virage économique de François Hollande a été jugé "libéral" par de nombreux observateurs, les Français se sont eux progressivement convertis à la nécessité d'un État moins fort et de baisses de charges. Réalisant avant la majorité la nécessité de telles mesures, et ce malgré des clivages qui ont la peau dure.

Atlantico : Selon une enquête Ifop pour Atlantico publiée lundi 27 janvier, 52% des Français considèrent que les charges sont un "facteur déterminant" dans les difficultés de compétitivité que connaissent les entreprises françaises. C'est 8 points de plus qu'en novembre 2012, après l'annonce du CICE. Quel regard portez-vous sur cette évolution ? Les Français sont-ils en train de changer leur regard sur les entreprises ?

Jérôme Fourquet : Si on part de l'enquête précédente, cette analyse est intéressante parce qu'elle pose la question de la compétitivité/prix et du coût du travail. Cela avait été un thème de la dernière campagne présidentielle. La droite en avait fait l'un de ses chevaux de bataille tandis que la gauche estimait que ce n'était pas l'unique facteur à prendre en compte. En novembre 2012, lors de l'annonce du CICE, après la remise du rapport Gallois qui pointait ce problème de compétitivité/prix, il y avait une quasi parité entre ceux qui considéraient que c'est un facteur déterminant (44%) et ceux qui estimaient qu'il est important mais pas essentiel (49%). L'opinion était relativement partagée.

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Un an et demi après, François Hollande a franchi une nouvelle étape dans cette politique de l'offre en assurant qu'il fallait absolument baisser le coût du travail. Le 31 décembre et le 14 janvier, il a ainsi annoncé le pacte de responsabilité. L'opinion a évolué et aujourd'hui, les Français qui estiment que le coût du travail est un élément essentiel et qu'il plombe la compétitivité des entreprises sont désormais majoritaires (52%). C'est la nouvelle ligne défendue par François Hollande, une ligne pourtant assez à rebours de ce que la gauche défendait durant la campagne. La question est donc de savoir qui est arrivé en premier, la poule ou l'oeuf ? Est-ce François Hollande qui a suivi l'évolution de l'opinion publique ou les Français qui ont suivi l'évolution de François Hollande ?

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Robin Rivaton :Les Français ont complétement changé de regard vis-à-vis des entreprises et plus largement de toutes les composantes du capitalisme (accumulation des richesses, dynamisme entrepreneurial, innovation technologique, mondialisation des échanges). Ce n’est pas pour rien que Xavier Niel est le patron préféré des Français.

Conscients de cette incapacité de l’Etat à répondre à leurs exigences, les Français placent à l’inverse une confiance grandissante dans les entreprises privées. Nos concitoyens ont parfaitement conscience que la clé de sortie de crise se trouve dans les entreprises et qu’une base productive forte ne peut se développer avec un niveau de taxation prohibitif.

Déjà en 2012, dans un sondage portant sur les éléments qui expliquent la moindre compétitivité de la France, le niveau des charges sociales qui pèsent sur les entreprises arrivait en première position pour plus d’un Français sur deux. Les prestations sociales représentaient presque la moitié des dépenses des administrations publiques en 2012. Leur coût croissant pénalise fortement les entreprises sur lesquelles elles reposent et, au final, affaiblit la base productive du pays.

Les charges sur les salaires qui financent la protection sociale sont considérées comme un handicap par 63% des Français soit sept points de plus que la moyenne des Européens. Ce sentiment s'avère éminemment corroboré par les chiffres. Les entreprises industrielles françaises ont les marges les plus faibles d'Europe, exception faite de leurs homologues grecques, et ne peuvent pas investir.

La perception est cependant très différente suivant le bord politique. Ainsi, seulement 30% des sympathisants de gauche – contre 74% des sympathisants de droite – considèrent les charges comme un "facteur" déterminant dans les difficultés de compétitivité des entreprises. Comment expliquer cette différence ? Est-elle révélatrice du clivage gauche-droite ?

Jérôme Fourquet : 8 électeurs sur 10 de l'UMP considèrent que le coût du travail est un facteur déterminant. C'est le mantra à droite, où l'on estime qu'il faut baisser le coût du travail et baisser les charges. C'est une opinion également très répandue auprès des sympathisants du Front national (66%) mais elle demeure très minoritaire auprès des électeurs de gauche. Cet électorat ne dit pas que ce n'est pas important, il dit simplement que ce n'est pas le seul facteur déterminant. Par exemple au PS, seuls 29% des électeurs considèrent que c'est un facteur déterminant ; seulement 29% sont donc sur la nouvelle ligne que François Hollande défend.

Il y a un différentiel de 50 points entre ce que pense lectorat PS et ce que pense celui de l'UMP sur ce sujet. Il y a un vrai monde, un vrai gap qui existe là. D'autant que depuis un an et demi, l'essentiel de la progression sur ce sujet est venu de la droite : ils étaient déjà convaincus de cela en 2012, ils le sont encore plus aujourd'hui (+8 à l'UMP, +16 au FN). En revanche, cela ne bouge pas au PS. François Hollande a accentué son virage social-démocrate mais son propre électorat ne le suit pas sur ce mouvement. Le chef de l'état a donc tout un travail à faire du point de vue économique. Mais il y a aussi tout un enjeu politique pour lui. Si 52% des Français pensent qu'il est dans le vrai, c'est une opinion qui est partagée par le camp de face. On risque donc d'avoir une partie de la gauche qui ne souhaite pas que l'on fasse de cadeaux aux entreprises et qui juge que le gouvernement fait le jeu de l'adversaire.

Robin Rivaton :Ce clivage entre sympathisants de droite ou de gauche est certes impressionnant mais il occulte l’essentiel qui est qu’une majorité de Français est consciente du poids des charges sociales sur les entreprises. La tentation à tout ramener à la politique et au bipartisanisme n’est pas une bonne solution pour créer des plateformes électorales susceptibles de réformer le pays. Une grande partie des Français ne se sent pas intrinsèquement de « droite » ou de « gauche », tel un marquage indélébile, héritage du milieu social. Il nous faut dépasser cette confrontation stérile pour bâtir des solutions, la baisse des charges des entreprises étant l’une de ces briques élémentaires partagée par une majorité de Français.

Je pense surtout que le clivage que vous énoncez traduit deux phénomènes : du point de vue structurel, très schématiquement, la plus forte représentation à « droite » de populations directement touchées par le poids inconscient des charges sociales sur l’appareil de production (chefs d’entreprise, agriculteurs, professions libérales) qui les expose à la concurrence étrangère par rapport à un électorat de « gauche » moins concerné par ces sujets que ce soit les fonctionnaires ou les classes moyennes supérieures travaillant dans le secteur des services à destination de la consommation domestique ; du point de vue conjoncturel, les dirigeants politiques à droite ont fait œuvre d’une pédagogie plus dynamique et plus précoce sur le sujet des charges sociales face à un changement plus récent de la part des dirigeants socialistes, de manière publique au moins. Nul doute que ce chiffre va continuer progresser dans l’électorat de « gauche » avec la montée en puissance d’un discours pro-entreprise.

Dans la même idée, la perception de la perception du poids de l’intervention de l’Etat a considérablement évolué. Ainsi, 72% des Français considèrent que l'État intervient trop, contre seulement 39% en 1999. Comment expliquer cette évolution ? Quelle est l'origine de cette défiance à l'égard de l'action étatique ?

Jérôme Fourquet : On voit dans de très nombreuses enquêtes que l'opinion publique a basculé sur, notamment, toutes ces questions de compétitivité. Pourquoi a-t-elle basculé ? Deux événement peuvent l'expliquer. D'une, la prise de conscience que notre pays est en train de décrocher économiquement avec un chômage élevé et des fermetures d'usines, notamment auprès d'entreprises comme Peugeot qu'on croyait protégées. De deux, la montée en puissance du ras-le-bol fiscal ; les Français considèrent que ce n'est plus à eux mais à l'Etat de faire des efforts.

C'est tout le discours entonné par François Hollande sur le choc de simplification, contre le carcan administratif. Il n'est pas nouveau mais il était minoritaire et surtout tenu par les milieux patronaux. Le mouvement des bonnets rouges en Bretagne était, en partie, pour cela. Les gens manifestaient contre la "prise d'otage fiscale" mais, si l'on en croit certains leaders, ils demandaient aussi à ce que l'on laisse plus respirer les territoires.

7 Français sur 10 (72%) considèrent qu'il y a trop de lois, trop de règlements, trop d'interventions de l’État. C'est 33 points de plus que par rapport à 1999. Cette proportion est nouvelle et témoigne d'un basculement de l'opinion. D'autant que la situation du pays n'est pas comparable à celle de 1999.

Robin Rivaton : La thèse que j’exprime dans mon essai à paraître Plaidoyer pour un lib-réalisme est que la France a fait une grande révolution culturelle capitaliste en une décennie. De multiples raisons expliquent ce changement de rapport à l’Etat mais j’en retiendrais trois.

La première raison est d’ordre conjoncturel, on l’oublie très souvent mais en 1999 la France était louée comme un bon élève de l’économie mondiale. La croissance du PIB avait été de +3,5% en 1998 et +3,4% en 1999. Le taux de chômage descendit à 8,8% et passa sous celui de l’Allemagne. Les pays d’Asie sortaient exsangues d’une crise financière violente. Nous avions de quoi pavoiser et dans ces circonstances, pas grand monde ne trouvait à critiquer le rôle de l’Etat.

La seconde raison est d’ordre structurel. L’Etat a poursuivi sa folle croissance entre 2000 et 2014 et sa mainmise sur le pays s’est considérablement renforcée. Les dépenses publiques annuelles exprimées en pourcentage de la richesse créée par les Français par an avaient reflué de 55,1% en 1993 à 51,7% 2000. Depuis ce point bas, elles ont augmenté de quasi 6 points en atteignant un record de 57,1% en 2013. L’Etat intervient plus qu’il ne l’a jamais fait.

La dernière raison est fonctionnelle. Les Français n’ont jamais été aussi déçus de la qualité des services fournis par l’État. Le sentiment est que la production de service publique n’est pas efficiente c’est-à-dire qu’il n’y pas d’adéquation entre les résultats obtenus et les ressources utilisées, ni même efficace, c’est-à-dire que les résultats obtenus n’atteignent pas les objectifs fixés. Preuve en est avec l’étude Eurofound sur la perception de la qualité des services publics. La France n'est que le 11ème pays le plus satisfait en termes de services publics de la santé. Pour l'éducation, le constat est cinglant, 16ème pays le plus satisfait, les Français jugent leur système plus sévèrement que la moyenne des Européens. En général, la France se classe très loin des niveaux de satisfaction des pays scandinaves dans lesquels le pourcentage de la dépense publique pourrait être comparable.

Vous avez donc une situation économique défavorable qui pousse (enfin) à l’autocritique, un Etat qui n’est jamais autant intervenu dans la société avec des résultats de plus en plus médiocres. Voilà ce qui explique la défiance croissante des Français.

Là encore, l'écart entre  gauche est droite est notable. 62% des sympathisants de gauche considèrent que l'État intervient trop, contre 82% des sympathisants de droite. Comment interpréter cet écart ? Est-il révélateur, là-aussi du clivage entre la gauche et la droite ?

Jérôme Fourquet : Sur ce sujet, il y a un écart de 20 points entre les sympathisants de gauche et les sympathisants de droite. Cet écart n'est pas surprenant : les électeurs de droite sont beaucoup moins étatistes que ceux de gauche.

Et surtout, y compris au Parti socialiste, 6 électeurs sur 10 (61%) considèrent qu'il y a trop d'intervention de l'Etat, 54% au Front de gauche. On a changé d'époque. Un électeur du Front de gauche qui juge qu'il y a trop de règles et de normes ! Hollande en est conscient. C'est pour cela qu'il doit désormais passer aux actes. Ses annonces doivent être traduites dans les faits. Annoncer la création d'un observatoire en même temps qu'on promet une baisse des charges, ça ne va pas vraiment dans ce sens. Le choc de simplification doit vraiment se voir.

Robin Rivaton : En évitant de sur-interpréter ces histoires de clivage, on revient sur les deux explications avancées précédemment. Il y a forcément une plus grande difficulté à assumer le poids trop important de l’État lorsque vous en êtes un contributeur net que lorsque vous en êtes un bénéficiaire net par les prestations financières, en nature ou le salaire en tant que fonctionnaires, ce qui est le cas d’un plus grand nombre de sympathisants à gauche.

Ce que je retiens surtout c’est la force de la progression et le caractère majoritaire. Le pourcentage en accord avec cette idée a presque doublé en un intervalle de temps relativement court, c’est-à-dire avec des populations interrogées très similaires. La progression est donc venue de la conversion de personnes auparavant acquises à l’idée contraire. Concernant le caractère majoritaire, cela signifie que la France est prête à recevoir une offre électorale qui proposerait une réduction drastique du rôle de l’État, au moins le faire refluer sous la barre des 50%, ce qui représente une baisse des dépenses de 145 milliards d’euros.

L'idée que le clivage gauche-droite est moins important qu'avant serait-elle fausse ? Sur quels autres thèmes ce clivage peut-il exister ? 

Robin Rivaton : Il est certain que le clivage gauche-droite sur l’économie s’est étiolé au fur et à mesure de la baisse de compétitivité de la France. Nous vivons dans un monde globalisé dans lequel les moyens de transport et de communication ont aboli les frontières. Comme je l’ai déjà mentionné, vous avez beau vous sentir de « gauche » avec une adhésion particulière à certaines valeurs, vous ne pouvez pour autant faire abstraction d’un réel qui est toujours plus prégnant. L’accroissement des éléments de comparaison, que ce soit les fameux classements de Shanghai sur les universités, Davos sur la compétitivité, les enquêtes internationales, PISA sur l’école, ou les recommandations de l’OCDE ou de la Commission Européenne, il est aujourd’hui difficile de nier le fait que la situation économique de la France est structurellement mauvaise.

Je pense que l’idée de clivage gauche-droite n’est pas forcément la bonne grille de lecture dans une telle situation. Sur l’économie, une majorité se dessine en faveur d’un libéralisme économique, non par adhésion profonde mais par la contrainte du réel, ce que j’appelle un « lib-réalisme ». Il est possible que le clivage gauche-droite se soit par réaction déporté sur les sujets sociétaux.

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