Les ex-Lejaby à court de cash : bien plus grave que les charges, les vrais problèmes de financement des entreprises françaises<!-- --> | Atlantico.fr
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"Les Atleières", ex-Lejaby, font face à un défait de paiement
"Les Atleières", ex-Lejaby, font face à un défait de paiement
©REUTERS/Robert Pratta

Sur la paille

"Les Atelières", cette société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) composée d'ex-ouvrières du fabricant de lingerie Lejaby, annonçait ce lundi devoir fermer son atelier faute de financement. La société qui présentait un carnet de commande rempli à hauteur de 15.000 pièces demandera sa liquidation vendredi devant le tribunal de commerce de Lyon. Un fait qui rappelle les problèmes de financement auxquelles sont confrontées les entreprises françaises.

Les Atelières, la société coopérative co-fondée par des anciennes ouvrières de Lejaby, a déposé une demande de liquidation judiciaire. En cause, leur incapacité à faire financer leur projet de recapitalisation. Au-delà des grandes déclarations d'intention du gouvernement et de son ministre du redressement productif, quels sont aujourd'hui les modes de financement auxquels les entreprises ont effectivement accès ?

Bernard Marois : Les prêts bancaires aux entreprises françaises stagnent depuis 2011, les chiffres sont clairs là-dessus, il n'y a pratiquement pas de croissance de ces prêts bancaires aux entreprises. Pourquoi ? La première raison, c'est parce que les banques sont sous pression du point de vue des autorités réglementaires, pour améliorer leur ratio capitaux propres-dette, c'est-à-dire pour augmenter en quelques sortes leurs solvabilités. Comme il est très difficile de faire des augmentations de capital actuellement, les banques ont donc choisi l'autre solution qui est celle de diminuer, dans la mesure du possible, le montant de leurs passifs. Ce qui veut dire qu'elles octroient moins de crédits aux entreprises. Hors, nous sommes dans un système qui est celui d'à peu près tous les pays d'Europe continentale, où les banques financent environ 70% des besoins des entreprises, les 30% restant venant des marchés financiers. Aux États-Unis c'est l'inverse, 70% des besoins des entreprises sont couverts par les marchés financiers et 30% par les banques. Il est clair que notre système européen va progressivement s'orienter vers les pratiques des Anglo-Saxons. Le rôle et les possibilités des banques pour financer l'économie seront amenées à diminuer.  

Alors comment les remplacer ? Il existe, essentiellement sur les marchés, des solutions nouvelles qui sont les placements privés en euros. Des placements sont ainsi proposés à des investisseurs et ils permettent de financer soit une entreprise, soit un certain nombre d'entreprises. Ces placements peuvent prendre deux formes : des prêts bancaires attribués ensuite à des entreprises, ou des émissions obligataires dont bénéficieront les entreprises. C'est cependant un marché relativement nouveau pour lequel l'on note peu de pratique en France. Le montant des émissions pour les placements privés en euros, à par exemple atteint en France en 2013 les 4 milliards d'euros. Aux États-Unis, c'est un marché qui fait 50 milliards d'euros, nous en sommes très loin. Il faut donc que cette pratique se développe. Il faut notamment trouver des investisseurs intéressés par ces placements ainsi que des organismes de notation susceptibles d'être reconnus comme compétents pour apprécier les risques. Ensuite il faut pouvoir réunir les entreprises qui ont besoin de fonds avec les investisseurs prêts à prendre des risques sur ces entreprises, moyennant des taux d'intérêt appropriés, intégrant ainsi la prime de risque pour ce type d'opérations. Donc il y 'a grosso modo deux marchés, l'un bancaire, l'autre financier, et un troisième marché extrêmement petit qui est le financement par l’État.

Olivier Torrès :  La première source de financement d'une PME c'est l'autofinancement. La première personne qui finance un projet c'est le porteur de projet lui-même. La deuxième source c'est la banque, et donc le recours à l'emprunt bancaire. Et le conseil que je donne souvent, c'est d'avoir plusieurs banquiers donc plusieurs sources. Et puis, la troisième source, mais qui est relativement rare pour les PME, c'est le recours à l'épargne publique sur le marché des capitaux. Et pour cela, il faut ouvrir le capital,  être côté sur un marché. C'est en général réservé à des PME plutôt high-tech, à très fort potentiel de croissance.  

Quels sont les principaux problèmes rencontrés par les entreprises dans leur quête de financements ?

Olivier Torrès : Le grand problème financier des PME est double. Le premier c'est l'insuffisance des capitaux propres, des fonds propres. L'autre problème est le manque de trésorerie. Beaucoup de PME / TPE souffrent de problèmes de trésoreries qui n'ont parfois pas forcement à voir avec un manque de compétitivité. Une entreprise peut être compétitive mais éprouver à un moment donné, des problèmes de trésorerie.

Si l'on regarde ce que sont les problèmes contemporains dans les relations financières entre les PME et les banques, la question de la rotation des chefs d'agences est très importante. Il a été montré dans des travaux de recherches qu'un dirigeant de PME qui entretient régulièrement des relations avec son banquier obtiendra de meilleures conditions de financement, notamment grâce au capital confiance qui se noue. Depuis une dizaine d'années, les banques multiplient les rotations des chefs d'agences, cela fragilise la relation bancaire entre la PME et la banque. Si on met bout à bout la généralisation du Crédit Scoring – les entrepreneurs et les banquiers qui octroient les crédits ne se rencontrent pas en personne - et la généralisation de la rotation des chefs d'agences, on a là deux ingrédients palpables qui peuvent modifier le rapport des PME avec les banques.

 Les petites structures sont-elles plus vulnérables que les autres ?

Bernard Marois : Les petites structures sont plus vulnérables car elles ont beaucoup moins d'historique, elles ont moins d'actifs à donner en garanties et elles sont dans des marchés assez nouveaux, pour lesquels les risques sont très importants.

Olivier Torrès : Les PME sont plus vulnérables que les grandes entreprises. D'ailleurs, il y a très régulièrement dans les tribunaux de commerce partout en France des dépôts de bilan de PME, alors qu'il est plus rare que de grandes entreprises déposent le bilan. Les américains disent "too big to fail". La structure financière est d'autant plus fragile que la taille d'une entreprise est petite.

Quel est aujourd'hui le profil type d'une entreprise pouvant bénéficier d'un crédit ? Quelles garanties leurs sont demandées ?

Bernard Marois : Une entreprise qui pourrait aujourd'hui bénéficier d'un crédit serait une entreprise avec un bon carnet de commande, et des prévisions plutôt optimistes et favorables sur son développement. Ce serait aussi une entreprise qui n'aurait pas un endettement trop élevé, elle aurait une marge pour augmenter son effet de levier et ne serait pas dans une situation financière catastrophique. Ce qui limite énormément les cibles potentielles. Les banques aimeraient prêter à des entreprises très saines et fortes, mais qui n'ont pas besoin de financement. Les banques elles, ne veulent pas prêter à ces entreprises car cela présente beaucoup de risques.

Olivier Torrès : Pour ce qui est de la question des garanties demandées, parfois on demande aux dirigeants de se porter caution bancaire en gageant par exemple un bien immobilier que l'on saisira dans le pire des cas pour se rembourser. Si les choses se passent mal, c'est là où l'on peut rentrer dans ce que j'appelle la théorie des 3D, dépression, divorce, dépôt de bilan. C’est-à-dire qu'un artisan qui s'est porté caution bancaire va être en quasi cessation de paiement, puis en dépôt de bilan, on lui saisira ensuite sa maison, ce qui fragilise son équilibre familial, il finira par divorcer et cela se terminera par un burnout. C'est une réalité de terrain. Plus l'entreprise est petite, plus l'exposition patrimoniale du dirigeant est grande. C'est un risque psycho-social assez spécifique chez les chefs d'entreprises de PME/TPE.

La Banque Publique d'Investissement (BPI) qui a pourtant pour priorité d’offrir l’ensemble des instruments de soutien financier aux petites et moyennes entreprises et aux entreprises de taille intermédiaire, a du mal à remplir son rôle. Quelles sont les critères de sélection de BPI ?

Bernard Marois : Le marché des financements par l’État comme la BPI ou la Caisse des Dépôts peut venir à l'aide des entreprises. Mais ces entités ne le font que si ces entreprises ont un caractère stratégique ou qu'elles présentent un horizon de développement considéré comme intéressant. Ces organismes n'ont pas vocation à venir aider les canards boiteux, c’est-à-dire ceux en règlement judiciaire, en dépôt de bilan etc. Il est donc logique que ce ne soit pas le rôle de la BPI de financer Les Atelières, cette société coopérative dont vous parliez. On peut dire qu'elle est arrivée un stade où c'est trop tard.

Plus globalement, les acteurs économiques censés financer les entreprises, notamment les banques, jouent-ils aujourd'hui leur rôle ?

Bernard Marois : Oui, dans la mesure où les contraintes que l'on fait peser sur les banques sont de plus en lourdes, en particulier en terme de ratio ou de stress test pour s'assurer qu'elles ne prennent pas de risque en cas de conjoncture défavorable. On pousse ainsi les banques à éviter de financer des entreprises à risques.

On a eu quand même depuis un ou deux ans, la création du fond NOVO 2, mis en place sous l'égide de la Caisse des Dépôts et qui rassemble ces assureurs qui représentent les investisseurs recherchés pour certains placements privés. Tout cela va se mettre en place mais cela va prendre du temps. Surtout, ce sont des acteurs différents des banques traditionnelles car ce sont des investisseurs privés, des fonds de pensions, des assureurs, qui viennent un peu au secours des entreprises, en y trouvant leur intérêt évidemment.  

Quelles proportions ce défaut d'accès aux financements est-il en train de prendre ? S'agit-il d'un problème bien plus grave que celui des charges auxquelles le gouvernement a décidé de s'attaquer ?

Bernard Marois : C'est difficile à dire, c'est plutôt un problème supplémentaire. Le plus important c'est la compétitivité des entreprises françaises qui est actuellement relativement faible. Il faut probablement commencer par ça et ensuite il sera plus facile de financer des entreprises dans un contexte de croissance. Il est clair que lorsqu'il y a stagnation économique voire récession, il est plus difficile de trouver des banquiers ou des prêteurs. L'essentiel est de retrouver de la croissance. Et ça ne se fait pas à partir de financement mais à partir de nouveaux marchés que l'on va conquérir. Ensuite, si l'on a besoin de financements, on les trouvera plus facilement dans un cadre ou un environnement de croissance.

Olivier Torres : Il faut prendre la juste mesure du poids des PME. 99,8 % des entreprises en France sont des PME. Elles représentent plus d'un emploi sur deux et correspondent à peu près à 55% du PIB. Toute l'économie réelle qui se diffuse partout dans le pays est un élément déterminant de la compétitivité de la France. Donc toute politique qui vise à essayer de rendre plus compétitive notre tissu industriel est une politique qui va dans le bon sens. On attend cependant de voir ce qui va se passer, notamment dans le pacte de compétitivité. Quand on parle de contrepartie, quelle va être la contrepartie du budget de l’État que ce dernier va devoir économiser pour financer tout ça. Il y a beaucoup d'interrogations. 

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