Les défis qui attendent Pierre Gattaz à la tête du Medef <!-- --> | Atlantico.fr
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Après huit années sous la direction de Laurence Parisot, le Medef se choisit aujourd'hui un nouveau président qui, sauf coup de théâtre, sera Pierre Gattaz.
Après huit années sous la direction de Laurence Parisot, le Medef se choisit aujourd'hui un nouveau président qui, sauf coup de théâtre, sera Pierre Gattaz.
©Reuters

Bizutage

Après huit années sous la direction de Laurence Parisot, le Medef se choisit aujourd'hui un nouveau président qui, sauf coup de théâtre, sera Pierre Gattaz. Les ralliements de Geoffroy Roux de Bézieux et de Patrick Bernasconi assurent au patron de Radiall la présidence du syndicat patronal.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Quels sont les défis qui attendent Pierre Gattaz à la tête du Medef ? Quels sont les réformes majeures sur lesquelles il va être amené à se prononcer dès la rentrée ?

Eric Verhaeghe :Son défi principal sera, me semble-t-il, d'adapter la machine patronale à l'évolution en profondeur de notre tissu économique. Le mouvement des Pigeons l'a montré : les principaux facteurs de croissance que sont les TPE et PME innovantes sont de fait tenues à l'écart des grandes décisions patronales, et ne sont pas vraiment prises au sérieux par un monde obsédé par l'héritage et la rente. Faire la démonstration que le MEDEF porte le discours des entrepreneurs et pas celui des héritiers, voilà un défi majeur. C'est à cette aune qu'il sera jugé sur les grands dossiers qui l'attendront dès la rentrée. J'en compte au moins cinq.

La réforme des retraites d'abord. Sur ce point, on verra si le MEDEF est capable de rompre avec les structures paritaires obsolètes qui corsètent le paysage social français et dont il tire profit. On sait tous par exemple que si l'on maintient un système de retraite complémentaire illisible pour le Français moyen, appelé AGIRC-ARRCO, au lieu de le fusionner avec le régime général, c'est d'abord pour préserver un édifice paritaire qui ne profite qu'aux appareils parisiens (MEDEF, CGPME, UPA). La même chose pourrait être dite sur la formation professionnelle. Celle-ci assure environ 20% du budget du MEDEF par un système de rétrocession des contributions des entreprises, au demeurant tout à fait légal. Sur ce point, ce serait un signal fort que Pierre Gattaz enverrait, s'il renonçait officiellement à tout financement paritaire pour le MEDEF, et s'il décidait que celui-ci ne devait vivre que de ses cotisations.

Dans le même temps, toujours sur la formation professionnelle, ce serait utile que Pierre Gattaz souligne l'importance de la transformation numérique des entreprises, et sur les bonnes façons de former nos salariés à cette transformation. Assez rapidement, le MEDEF va aussi devoir lancer la négociation de la convention assurance-chômage. Ce sujet délicat coûte 30 milliards aux salariés français chaque année. Ce n'est pas rien. En masse, c'est l'équivalent de la moitié de l'impôt sur le revenu. Cette négociation sera sans doute l'occasion d'arbitrages douloureux, et la synthèse patronale ne coulera peut-être pas de source. En outre, le problème de la représentativité patronale devrait évoquer à l'occasion d'un rapport remis en octobre au gouvernement. Ce sujet en apparence technique est en réalité très structurant pour l'économie française: demeure-t-on dans un système inventé en 1945 où les partenaires sociaux nationaux sont les supplétifs du législateur pour écrire le Code du Travail, ou bien ouvre-t-on les vannes du système? Par exemple en reconnaissance comme représentatives d'autres organisations patronales, capables de négocier des accords sans le MEDEF? Surtout, le MEDEF devra suivre de près la loi de finances 2014, qui s'annonce gratinée. Un moment compliqué à négocier pour tout le monde.

Qu’est-ce que le patronat attend de Pierre Gattaz ? Peut-il faire évoluer l’image du Medef dans l’opinion publique ?

Je ne sais si beaucoup de patrons attendent quelque chose du MEDEF. En réalité, le MEDEF devrait limiter son rôle à une simple fonction d'influence sur de grands dossiers d'actualité comme l'évolution fiscale globale et ne se mêler de rien d'autre. Je ne comprends pas que le MEDEF excède ce rôle et manifeste par exemple un engouement à définir des normes sociales contraignantes au niveau interprofessionnel à la place du législateur. Les entreprises soumises à la concurrence internationale étouffent sous des législations nationales trop complexes et trop intrusives.

Quand on sait que ces législations nationales sont aujourd'hui préparées par le MEDEF lui-même, il y a quand même de quoi se taper la tête contre le mur. Si le MEDEF doit donner une nouvelle image de lui, c'est précisément cette image de modestie et de discrétion: le vrai travail ne se fait pas au MEDEF, qui est une machine de 160 salariés très éloignés de l'entreprise. Le vrai travail se fait dans les entreprises françaises. De ce point de vue, j'ai toujours pensé qu'un bon président du MEDEF serait celui qui réduirait les effectifs de cette machine à 50 ou 60 salariés.

Pierre Gattaz dit vouloir mettre en place un « Medef de combat », qu’entend-il par cette expression ?  La méthode de Pierre Gattaz qui consiste à privilégier le dialogue social de terrain, c’est-à-dire propre à chaque entreprise, peut-elle rendre le dialogue social plus efficace ?

Je vois mal comment on pourra aider les entreprises à retrouver de la compétitivité en leur mettant une nouvelle couche de réglementation nationale. Il est vital que la norme sociale soit de plus en plus définie au niveau de chaque entreprise. C'est en effet l'entreprise qui est sur le front de la concurrence et du marché. Ce ne sont ni les branches ni les interprofessionnels qui sont à même de répondre à ces défis. En revanche, pour arriver à cet objectif, il faut tenir un discours de vérité: trop d'entreprises font encore la chasse au syndicaliste, ce qui rend impossible toute construction sociale interne. Par rebond, cela justifie le maintien de l'Etat dans la définition des règles du jeu. Dans la vie, on ne peut pas faire d'omelette sans casser d’œufs. Si les entreprises veulent moins de réglementation, elles doivent développer une compliance sociale, c'est-à-dire respecter des règles de dialogue interne qui protègent les salariés et permettent de construire ensemble.

Pierre Gattaz peut-il mettre fin au désamour entre le Medef et l'innovation ? Le nouveau président du syndicat patronal  doit-il réorienter le Medef vers les PME plutôt que de le focaliser vers les grandes entreprises ? 

Cela me semble en effet essentiel. Le MEDEF parle trop peu d'innovation et se concentre trop sur des sujets paritaires qui ne paraissent pas être au coeur de sa mission. La France ne traverse pas une crise périodique. Elle est en phase de transformation numérique complète. Produire demain ne ressemblera pas à produire hier. Le MEDEF est là pour penser en profondeur cette évolution et proposer des pistes sérieuses qui armeront les entreprises pour assurer cette transition en douceur. Ce sujet impacte notamment le contrat de travail qui n'est probablement pas adapté, sous sa forme actuelle, aux enjeux économiques de demain. Tout cela doit être anticipé, réfléchi, mûri, avec des acteurs de terrain. C'est un travail colossal, mais ce me semble être le seul qui vaille.

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