Le syndrome Mélenchon ou la démocratie de plus en plus fragilisée par la gauche <!-- --> | Atlantico.fr
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Le leader de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, prononce un discours lors de la manifestation du 1er mai à Lille, en 2021.
Le leader de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, prononce un discours lors de la manifestation du 1er mai à Lille, en 2021.
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Pompiers pyromanes

Depuis 40 ans, la plupart des partis et personnalités de gauche ont développé un discours anti fasciste et anti RN au nom du front républicain. Sans jamais s’interroger sur les dérives pourtant de plus en plus nombreuses venues de leurs rangs. Les défauts des uns n’effacent pourtant pas ceux des autres.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Les critiques face à des discours inacceptables de l'extrême gauche ne sont-elles pas souvent passées sous silence dans les médias par rapport aux nombreuses critiques concernant l'extrême droite ? N'y a-t-il pas un deux poids, deux mesures ?

Eric Deschavanne : Le « deux poids, deux mesures » est indéniable. Il est ancien et en partie justifié. Même pour un intellectuel généralement classé à droite comme Raymond Aron, qui a de surcroît contribué à consacrer la notion de « totalitarisme », permettant de penser ce que ces deux idéologies avaient en commun, une hiérarchisation morale s’imposait entre le nazisme et le communisme. Les deux totalitarismes sont criminogènes, mais pas de la même manière : dans le communisme, la violence et le crime de masse sont justifiés par l’idéal d’une humanité réconciliée dans la société sans classe tandis que l’idéal nazi comprenait explicitement l’asservissement ou l’anéantissement de certaines « races ». L’idéologie nazie représente le Mal absolu en politique parce qu’elle prend pour projet la domination et l’extermination de l’homme par l’homme. C’est sur cet étalon moral que se fonde, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la disqualification intellectuelle, politique ou médiatique de l’homme de droite, au moyen de la reductio ad hitlerum. Cette ostracisation ne fonctionne plus tellement dans l’opinion mais l’accoutumance est telle qu’elle a toujours cours. Dans les jugements critiques formulés à l’encontre de la droite et de l’extrême-droite (y compris quand il s’agit d’Israël), la réduction à l’hitlérisme est toujours présente de manière implicite.

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L’autre gros problème de Jean-Luc Mélenchon

Qu’il s’agisse de la rhétorique conspirationniste dénonçant les élites et le « système oligarchique », de l’usage du vocabulaire guerrier dans le débat politique ou de la justification de la violence, le parallélisme entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite, entre populisme de gauche et populisme de droite, trouve sa limite dans cet héritage historique. Ce qui pose d’ailleurs un sérieux problème à la gauche de gouvernement, laquelle se doit de dénoncer le populisme et la violence sans amalgamer l’extrême-gauche à l’extrême-droite. Il faut, comme on le voit aujourd’hui avec l’irruption de « Papacito » dans le commentaire politique, recourir à quelques contorsions de manière à pouvoir appliquer à Mélenchon la reductio ad hitlerum tout en rappelant que celui-ci, en tant qu’il appartient à la gauche, s’inscrit tout de même dans le camp du Bien si on le compare avec ce qui est supposé être une réminiscence du Mal absolu.

La récente polémique sur Twitter entre Raphaël Enthoven et Cédric O, secrétaire d'Etat chargé de la transition numérique, n'est-elle pas symptomatique de cette déresponsabilisation des dérives de l'extrême gauche et de l'euphémisation des dangers qu'elle peut représenter ?

Raphaël Enthoven a brisé un tabou. Il est comme l’enfant qui dit « le roi est nu ». En l’occurrence, il dévoile l’inanité de la notion de « front républicain » au moyen de laquelle, depuis 40 ans, la gauche a pu dissimuler sa panne idéologique, ses contradictions et son absence de projet en utilisant la reductio ad hitlerum pour ostraciser le Front national et substituer la morale à la politique. Le problème est que les temps ont changé. Merah a du reste constitué un tournant, dont on n’a pas à l’époque mesuré toute l’importance en termes de conséquences idéologiques à long terme. Il faut se rappeler ce journaliste qui avait tweeté : « Putain ! Je suis dégoûté que ce ne soit pas un nazi ! » L’ami auquel il s’adressait, journaliste lui aussi, avait répondu : « ça aurait été effectivement plus simple ». Les médias avaient alors immédiatement identifiés les crimes de Merah comme des crimes nazis, ce qui devait constituer une piqûre de rappel et réactiver la lecture manichéenne de la politique.

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Mais pourquoi accepte-t-on de Jean-Luc Mélenchon ce qu’on ne tolérerait jamais de l’extrême droite ?

Les choses ont cessé d’être simples pour la gauche morale et les médias, parce que la figure du Mal radical a changé. C’est désormais à gauche, avec l’islamogauchisme, que ce situent les « salauds » et les « collabos » qui relativisent le meurtre des enfants juifs parce que juifs. Cette affaire Mélenchon est une nouvelle illustration (mais sans doute pas la dernière) du piège qui est en train de se refermer sur la gauche : la machine moralisatrice à produire de l’ostracisme à bon compte qu’elle a forgé durant des décennies se retourne contre elle pour l’atomiser.

Cette réussite à esquiver les critiques de la part de l'extrême gauche peut-elle expliquer le fait que des dérives, parfois violentes, s'y déploient depuis des années ?

Je ne pense pas qu’il y ait un rapport de cause à effet. Autrement dit : je ne suis pas certain que la légitimation, explicite ou implicite, d’une forme de violence, puisse constituer un facteur de violence. En revanche, il est évident que l’indulgence ou la condamnation à géométrie politique variable pose un problème sur le plan moral. Et sans doute l’indulgence freine-t-elle la lutte contre la violence. La violence est condamnée en tant que telle mais la condamnation morale est pondérée par le sens qu’on lui prête. La France a ainsi donné asile à des terroristes d’extrême-gauche, ce qui eût été inconcevable s’il s’était agi de terroristes d’extrême-droite. Il existe également une certaine indulgence pour les violences exercées au cours des manifestations, la violence des black blocs ou des zadistes, et plus encore celle des étudiants. Les choses ont cependant commencé à changer avec les manifestations des gilets jaunes : l’indulgence à l’égard de la violence renaît à droite, sous l’influence du populisme, tandis qu’elle en vient à être plus fermement condamnée par la gauche morale.

Il faut également évoquer aujourd’hui l’indulgence islamogauchiste pour la violence islamiste. On imagine aisément ce que serait le climat médiatico-politique si, dans la France du XXIe siècle, des néo-nazis multipliaient les actes terroristes, égorgeant des religieux, décapitant des professeurs, assassinant des journalistes, tuant des juifs parce qu’ils sont juifs. On imagine volontiers la mobilisation quotidienne et unanime que susciterait inéluctablement le harcèlement par des dizaines de milliers de militants néonazis d’une jeune lesbienne, a laquelle on ne reprocherait sans doute pas sa vulgarité et ses provocations si elle avait injurié Dieu en répliquant à des cathos intégristes.

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