Le soutien à Israël est nettement plus large en Occident que l’image qu’en donnent les réseaux sociaux<!-- --> | Atlantico.fr
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Des poussettes avec des images sont exposées pour symboliser les jeunes otages pris par le Hamas lors d'une manifestation pour demander leur libération au Champ de Mars devant la Tour Eiffel à Paris, le 26 octobre 2023.
Des poussettes avec des images sont exposées pour symboliser les jeunes otages pris par le Hamas lors d'une manifestation pour demander leur libération au Champ de Mars devant la Tour Eiffel à Paris, le 26 octobre 2023.
©Dimitar DILKOFF / AFP

Dichotomie

Les Occidentaux soutiennent majoritairement Israël, tandis que les réseaux sociaux donnent une image biaisée de la réalité de ce soutien.

Véronique Reille Soult

Véronique Reille Soult est présidente de Backbone Consulting, experte de l'opinion et de la gestion de crise. Elle a notamment publié "L'ultime pouvoir - La vérité sur l'impact des réseaux sociaux" (2023) aux éditions du Cerf.

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Tamar Sebok

Tamar Sebok

Tamar Sebok est journaliste et correspondante en France du quotidien le plus lu en Israël "Yedioth Aharonoth".

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Atlantico : Selon une étude IFOP, 65% des français adhèrent à l'objectif d'Israël d'élimination du Hamas. Qu'en est-il sur les réseaux sociaux ?  

Véronique Reille Soult : Sur les réseaux sociaux, on a pu constater un changement de l’opinion. Dans un premier temps, les attaques du 7 octobre ont provoqué de la stupeur puis un fort soutien des Israéliens. 

Avec un fort soutien pour l'objectif d'Israël d'éliminer du Hamas, l’expression de l’opinion sur les réseaux sociaux était en adéquation avec l’opinion des Français exprimée dans les sondages. La condamnation du Hamas était très majoritairement exprimée. L’association du Hamas au mot « terroriste » représentait plus de 80% des messages.

On pouvait constater de nombreux témoignages empreints d’émotion et une condamnation du Hamas mais pas des Palestiniens.
La différence entre le Hamas et les Palestiniens étant régulièrement rappelée. 

69% des français ne sont pas favorables à la poursuite des manifestations pro-Palestine compte tenu des risques de troubles. Qu'en dit-on sur les réseaux sociaux ? 

Véronique Reille Soult : Sur les réseaux sociaux, les pro-manifestations s’expriment majoritairement. Pour eux, l’interdiction de manifester est une privation de la liberté d’expression. Pour autant, les commentaires démontrent une inquiétude autour de ces manifestions. Les craintes de débordements sont là et nombreux sont ceux qui rappellent que les manifestations doivent être des marches pour la paix.

La vraie inquiétude qui monte est celle d’un déplacement du conflit israélo-palestinien sur le territoire national. Antisémitisme, racisme et islamophobie sont les craintes les plus exprimées, mais on constate aussi une peur des attentats et actes terroristes. La peur d’actions dirigées par le Hamas en France est là.

Que disent les réseaux sociaux sur les atrocités du 7 octobre. Est-ce qu'ils y croient ou pas ? 

Véronique Reille Soult : Les atrocités ont été condamnées unanimement. Après la sidération, les messages de soutien se sont multipliés. Les informations n’ont pas été remises en cause dans un premier temps. Même si les témoignages non vérifiés, ou non vérifiables, ont été largement partagés avec des commentaires mettant en doute leur réalité. Cela a par exemple été le cas autour du témoignage d’un militaire israélien sur les bébés qui auraient été égorgés. 

Le bombardement de l’hôpital à Gaza a ensuite marqué un premier pas dans l’opinion. A ce stade, les messages portaient de façon majoritaire sur la réalité des informations partagées et des suspicions de manipulations des images. Les débats ont commencé à se cliver et à se polariser. De très nombreux internautes ont alors commencé à faire des vérifications des images afin de pister les manipulations, désinformations et fake news. Leurs travaux ont été très relayés et utilisés.

Selon l’IFOP, le peuple israélien bénéficie de la sympathie de 82% des français. Correspondante pour des médias israéliens à Paris, ce chiffre vous fait plaisir ?

Tamar Sebok : Ce chiffre est effectivement très encourageant et démontre que la majorité des Français ont compris que l’attaque du 7 octobre était une barbarie et qu’il s’agit d’une guerre contre un organisation terroriste. 

Les tensions au Proche-Orient ne sont pas importées en France. Elles sont, depuis trop longtemps, fusionnées avec l’antisémitisme, qui lui, n’a jamais disparu. Savoir que la plupart des Français font la différence entre le conflit israélo-palestinien et cette confusion, dont certains partis politiques encouragent, est réconfortant en tant que juive, et en tant qu’Israélienne. 

On a souvent tendance à penser que le grand public cherche à simplifier sa vision des conflits qui se passent loin de la France. Je crois que cette fois-ci il y a eu une compréhension qu’une époque très sombre de notre histoire pourrait se répéter, à cause de ce climat délétère. Néanmoins, il suffit d’une ou deux personnes qui passent à l’acte pour que les menaces deviennent des actes, comme il semblerait que c’était le cas hier à Lyon. 

Que disent les réseaux sociaux d'Israël ?

Véronique Reille Soult : Après un soutien incontesté des civils suite aux atrocités du 7 octobre, c’est l’image des dirigeants israéliens qui est devenue controversée. Depuis les bombardements de la bande de Gaza, on peut constater que le soutien aux civils Palestiniens s’exprime plus fortement. Effectivement la bascule s’est principalement portée sur la notion de civil. Les images des populations civiles en détresse et tout particulièrement des enfants tués ont provoqué une forte indignation. De plus, les soutiens pro-Israéliens s’expriment moins car ils sont eux-mêmes souvent en porte-à-faux face à cette situation et font aussi l’objet d’attaques antisémites.

Mais le sujet le plus complexe pour l’image d’Israël est celui du refus d’ouverture humanitaire. L’opinion demande des actions humanitaires, voire un cessez-le-feu, et critique la position du gouvernement israélien. 

Ce résultat veut-il clairement dire que les réseaux sociaux ne sont pas le miroir de notre société ? Ou bien que le miroir peut facilement être déformé ? 

Véronique Reille Soult : Les réseaux sociaux sont le reflet de notre société en 3D. Les polarisations s’y expriment en majorité et les expressions sont excessives. Les informations sont souvent manipulées et il est difficile de mesurer le vrai du faux. C’est particulièrement le cas sur ce conflit où les témoignages sont souvent la base du partage d’informations. Avec des controverses sur la réalité et la sincérité de ces témoignages. Mais c’est aussi le lieu où l’opinion se forme car 80% des internautes ne s’expriment pas mais s’informent en ligne !

Tamar Sebok : Il y a plusieurs facteurs à cet écart de perception de la réalité. 

D’abord, comme nous montrent les études, la tranche d’âge la plus active sur les réseaux sociaux est entre 15-24 ans (61%). Plus de la moitié parmi eux se renseignent sur l’actualité sur TikTok et YouTube ou via les influenceurs. Ces informations ne sont ni vérifiées ni nuancées. L’importance de réagir vite et d’être présent dans la conversation, force à prendre parti très vite et très violemment. L’anonymat va de pair avec la virulence du propos. Les personnes qui ont dépassé cette tranche d’âge se nourrissent souvent de plusieurs sources d’informations et notamment de médias journalistiques. Ils comptent pour environ 65% de la population.

Dans les deux groupes il y a des personnes qui comprennent la complexité de la situation, au-delà de leur convictions politiques sur le conflit. 

Puis, très peu de personnalités et des influenceurs non juifs sur les réseaux ont exprimé leur choc et leur empathie avec le massacre du 7 octobre en Israël. L’appartenance au groupe qui est le plus dominant dans l’espace virtuel et majoritaire et, qui doit, aux yeux de certains, sûrement avoir vérifié les informations qu’ils n’ont pas eu le temps ou l’envie de décortiquer, fait que la masse critique sur internet semble majoritaire. Dans la vraie vie, les violences sont plus palpables et révoltantes car moins abstraites.

La bataille de l'image pour Israël passe aussi par les réseaux sociaux ? C'est un terrain de guerre pour le Hamas que l'Etat Hébreu ne peut pas se permettre de perdre ?

Tamar Sebok : Bien évidemment. Les horreurs qui ont été commises le 7 octobre ne sont pas montrables, tellement elles sont violentes et cruelles. Ces images de violences subies par les Israéliens sont absentes face aux images des enfants et de civils qui souffrent, eux aussi, à Gaza. Les récits des atrocités sont tellement insoutenables que beaucoup de gens préfèrent en douter. Les réseaux sont le lieu par excellence de l’image. Sans image, il n’y a pas de réalité.

Le mouvement BDS, qui appelle au boycott d’Israël, est très actif sur les réseaux et ceci depuis des nombreuses années. Ils ne sont pas si nombreux mais très efficaces. Il n’y a pas un artiste étranger qui va se produire en Israël et n’essuie pas une tempête médiatique l’intimant d’annuler ses concerts. Ils étaient aussi très actifs depuis le 9 octobre, date du début de la riposte israélienne.

En face, les Israéliens et leurs porte-parole officiels étaient tellement sidérés et choqués par la surprise et la violence de l’attaque du Hamas qu’ils ont mis au moins une semaine pour accorder leur communication vis-à-vis de leurs propres citoyens et vers le monde. Ils ont perdu du temps et ont affaibli leur message. L’exemple le plus marquant est l’hôpital de Al-Ahli de Gaza, dont le Hamas a soutenu qu’il était bombardé et détruit par les Israéliens avec des centaines de victimes. On a appris le lendemain que c’est une roquette du Hamas qui est tombée dans sa cour, que le bâtiment est intact et que le nombre de victimes est nettement inférieur. La réaction israélienne à cette fausse information a tardé et donc ce récit et la colère qu’il a suscité se sont inscrits de façon plus puissante que la vérité.

Les porte-parole de l’Armée et du ministère des Affaires étrangères ont perdu cette bataille et ont appris à être plus réactif. En l’absence d’un message très clair, l’armée israélienne n’aura pas le temps d’achever la mission qu’elle s’est fixée avant que l’opinion public ne s’en détourne.

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