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Une image d'illustration des différents billets de la monnaie unique européenne, l'euro.
Une image d'illustration des différents billets de la monnaie unique européenne, l'euro.
©Arne Dedert / dpa / AFP

Politique de la BCE

Les décisions de la BCE ont-elles une incidence sur cette situation et quel est l'impact réel pour les Français ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Frédéric Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Atlantico : Le revenu net des Européens continue de piquer du nez. Quelles sont les principales raisons et comment analyser la situation ?

Frédéric Farah : Plusieurs raisons l'expliquent. Certaines plus immédiates, d'autres plus lointaines. Les salaires ne rattrapent pas l'inflation, une publication récente de l'OCDE de mai 2023 s'inquiète de la situation salariale dans les pays de l'OCDE. Les salaires réels c'est à dire après déduction de l'inflation reculent de 7% en Suède, Pologne, de 3% en Allemagne, 7% en Italie de 1,8% en France. Les prix dans l'alimentaire se maintiennent à des niveaux élevés sans compter que depuis de nombreuses années, les dépenses dites contraintes ou pré engagées pèsent beaucoup plus lourd dans le budget des plus modestes comme le logement, l'énergie, les assurances, l'accès à internet etc. 

Plus encore, la zone euro est une zone de déflation salariale avant d'être concerné par l'inflation récente. A partir du moment, ou il n'existe plus l'arme du change pour obtenir plus de compétitivité et que la monnaie devient donc rigide, il ne reste plus qu'à retrouver  de la flexibilité sur les salaires et l'emploi. Observez bien que la BCE est plus préoccupée d'empêcher une imaginaire boucle prix salaires que d'endiguer la progression discutable des marges de certaines entreprises. Son resserrement monétaire va ralentir l'activité et aura un impact négatif sur les revenus.

Don Diego De La Vega : L’explication est dans le revenu net. Les revenus évoluent à peu près confortablement. Nous assistons à une japonisation des revenus bruts. Deux critères sont liés à cette réalité : l’inflation, la dérive des coûts. L’autre élément concerne le passage du brut au net fiscal. Cela mange une partie croissante des revenus bruts. Il est possible de s’interroger sur l’utilité intergénérationnelle de cette ponction. Les services publics ne s’améliorent pas. Ces deux ponctions font qu’avec des revenus bruts, qui globalement évoluent plutôt favorablement surtout quand on se souvient que depuis quatre ans et demi les gains de productivité au travail sont négatifs en zone euro. Les revenus tiennent assez bien par rapport aux fondamentaux économiques. Une partie de la population a été mise au travail. On a enrichi le contenu en croissance de l’emploi. Il y a encore globalement des évolutions favorables, une grande rigidité à la baisse des salaires nominaux. Mais d’un autre côté, ces ponctions croissantes et parfois incomprises et injustes font mal.  

Est-ce qu’il y a des pays qui sont plus touchés que la France ? Ou cette baisse des revenus nets est-elle globale ?

Don Diego De La Vega : On ne peut pas parler de baisse des revenus mais plutôt de moindre croissance des revenus nets. L’idée serait de décomposer et d’enlever les charges fiscales et les charges pour arriver au net absolu, le reste à vivre. Cela donne une impression de compression sur la marge de compression de ce reste à vivre une fois que toutes les factures sont payées. En Europe, la croissance est très faible. Il y a quelques rares exceptions, des pays d’Europe centrale. Les pays de l’Europe de l’Ouest ont une croissance très faible. Le poids global du socialo-fiscal est à peu près comparable dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, même si c’est plus le cas en France avec un appareil étatique un peu plus gros et qui coûte plus cher. L’inflation statistique depuis deux ans est un choc qui globalement a été symétrique. La façon de réagir à cela a été comparable.

Au niveau des différences, les Espagnols ont mieux contenu la dérive des prix du gaz par exemple en sortant en partie du dispositif européen.

Les perspectives d’augmentation de croissance de nominale et de revenus nets sont chamboulées.

Nos revenus en Europe augmentent via les loisirs. Les gains en bien-être reposent sur les loisirs pour les classes moyennes d’Europe de l’Ouest

Quid de la situation en France et du revenu net des Français en particulier ? Notre politique économique nous protège-t-elle réellement face à cette situation ? 

Frédéric Farah : Le gouvernement français a absorbé une bonne partie du choc énergétique par des mesures provisoires chèque énergie, bouclier tarifaire en cours de remise en cause, revalorisation du SMIC, encouragement à la distribution de primes, revalorisations modestes de certaines professions : enseignants, personnel hospitalier. Il a évoqué d'éventuelles réductions d'impôts pour des catégories dites moyennes de la population. Mais la consommation reste plate pour l'heure, et la question des salaires n'est pas réglée dans de nombreux secteurs qui ont peine à recruter. Pour certaines catégories de français, la baisse du niveau de vie se poursuit et risque de s'aggraver. Il suffit de penser aux nouveaux entrants dans les dispositifs de l'assurance chômage qui voient leurs situations s'aggraver. 

Bruno Le Maire veut engager un budget qui contient la progression de la dépense publique et cherche à faire des économies. Cette politique est à l'oeuvre lors du précédent quinquennat le montant des allocations logements a été réduit par exemple, la réforme des retraites va être dans ses effets très brutale pour les plus vulnérables. La politique économique qui tend à s'affirmer au nom de la réduction de la dette publique risque d'affecter négativement la situation de nombreuses personnes.

Don Diego De La Vega : Nous sommes face à une riquiquisation des augmentations des revenus nets, gravée dans un certain nombre de pactes implicites, notamment l’idée que nous aurons toujours plus. Beaucoup de calculs immobiliers avaient notamment été faits sur cette base. Les gens se sont endettés sur cette base-là. La succession de crises amène à une croissance nominale flasque mais aussi parce qu’il y a eu un arbitrage par le loisir , défavorable au travail, aux gains salariaux. Tout ce qui a suivi Nicolas Sarkozy n’a pas été de travailler plus pour gagner plus mais plutôt de travailler moins en gagnant presque autant. Telle a été l’évolution de la plupart des pays occidentaux. Nous sommes tellement dans quelque chose de macroéconomique qu’il n’est pas possible de parler de décision politique consciente. Quant à la situation française, elle va plus loin dans ces tendances. La France a radicalisé les choses en matière d’enrichissement du contenu en emploi de la croissance, en termes du renforcement du poids de l’Etat, avec tout ce que cela implique de négatif et de positif.

Pour ce qui est des revenus nets à la disposition des gens en milieu de mois, cela donne une impression de réduction de l’espérance possible. Il y a un meilleur accompagnement en cas de crises. Beaucoup d’argent est déversé lors de phases de type Covid ou en 2008 lors de la crise financière. En phase de reprise, il y a une frustration. Il faut la payer cette protection. Cette donne est typiquement française. La France est allée plus loin que les autres pays dans ces évolutions. Elle le vit mal parce que les élites françaises continuent à développer un discours axé sur les réformes. Il y a un vrai hiatus entre les aspirations populaires, le discours des élites, ce qui peut être fait sur la situation internationale, l’idée que l’on se fait du modèle allemand… Cette succession de malentendus génère une forme de frustration un peu sourde. Et en même temps, il n’y a rien de très aigu à l’échelle collective.

Cette situation a-t-elle avoir avec les décisions de la BCE sur la politique monétaire et la hausse des taux ? Le choix de la BCE va-t-il aggraver la situation ? Le revenu net des Européens va-t-il continuer de piquer du nez ?

Frédéric Farah : La BCE endosse progressivement le choix historique de la récession plutôt que l'inflation. Elle va faire payer l'addition de l'inflation aux plus vulnérables. C'est comme en son temps la politique de France fort à partir de 1987 a été destructrice socialement sans l'Etat social, les effets auraient été encore plus vite observés. Alors certes on peut se dire que les taux en réels restent à des niveaux acceptables, mais déjà l'immobilier en souffre. La BCE est  prête à tout pour endiguer une progression qu'elle jugerait trop rapide des salaires. Là on retrouve les fondamentaux déflationnistes de l'euro qui est une arme redoutable contre le monde du travail. C'est pourquoi, je ne comprendrai jamais comment et pourquoi la gauche a pu soutenir la monnaie unique et l'indépendance de la banque centrale. La dépolitisation de la monnaie est l'un des phénomènes les plus préoccupants de ces trente dernières années. 

Don Diego De La Vega : Pour moi, il s’agit de la hausse de taux de trop. Mais je dis cela depuis la première hausse de taux. Trop, c’est trop. Ce que fait la BCE actuellement est totalement anachronique. Il s’agit d’une politique de punition. On punit les Européens. On les punit dans la zone où on les avait encouragés à se rendre. On les a fortement encouragés à aller vers le crédit pendant des années. Le crédit était quasiment devenu un objectif intermédiaire de politique monétaire. Tout d’un coup, il faut monter les taux fortement et de manière surprenante, beaucoup plus que ce que réclame le marché. Comprenne qui pourra… Cela rajoute une charge de plus pour les particuliers et les petites entreprises. Certaines catégories de population en zone euro n’ont plus que deux possibilités : l’endettement à des niveaux de taux qui font que l’on va se transformer en Sisyphe ou alors la fin de l’endettement parce que le dossier est refusé par le banquier ou parce que l’on comprend que l’on n’a aucune chance. Il y a donc une réduction de la demande de crédit. Lorsque l’on regarde l’enquête de la BCE sur les conditions de crédit, on le voit tous les mois et dans les agrégats monétaires. Il y a donc un choix cornélien. Soit on continue à s’endetter et c’est la mort lente. Si on ne s’endette plus, cela peut être la mort rapide.     

La consommation réelle des ménages par habitant de la zone euro est en recul de - 1,6% au 4e trimestre 2022 et de - 0,1 au 1er trimestre 2023, finalement quel est l’impact du revenu net des Européens qui pique du nez ?

Don Diego De La Vega : Il n’y a pas de scoop. Nous avons eu une récession « technique » cet hiver. Les craintes étaient grandes que la situation soit encore pire avec les difficultés liées au gaz russe. Les marchés étaient rassurés en janvier.  Mais la situation ne s’est pas améliorée au deuxième trimestre. Cela ne risque pas de s’améliorer dans les mois à venir. Les séquences de hausses de taux sont plutôt devant nous.

Elles ne sont pas encore absorbées par l’économie réelle. La situation va se prolonger en suivant la stratégie adoptée depuis mars 2022 avec une non croissance totale en zone euro, une sorte de désert des Tartares. Cela devrait durer au moins quinze mois de plus avec un long plateau de non croissance.

Lorsqu’il n’y a pas de croissance, il ne peut pas y avoir d’augmentation des revenus. La seule façon d’augmenter les revenus serait de faire des réductions d’impôts. Il faudrait augmenter le taux d’endettement, le déficit. Il ne peut donc pas y avoir d’augmentation des revenus nets des Européens tant qu’il n’y a pas de retour de la croissance. Cela n’est pas possible avec des taux d’intérêt à 5 %. Avec la politique actuelle de la BCE, il n’y a aucun espoir possible. Le seul espoir est que la BCE n’ait pas complètement tort dans son analyse sur la croissance, sur l’inflation. On va mourir guéri.

La BCE prouve son pouvoir avec la hausse des taux mais casse l’économie pour rien.

Il n’y a donc pas d’espoir tant que la BCE reste telle qu’elle est, pro-allemande, sadomonétariste. La BCE est dans une logique d’hubris. Elle veut suivre la Fed, un euro pas trop faible… Tant que nous avons cette attitude et cette stratégie-là sur le plan monétaire, sans croissance, sans augmentation des revenus nets, il ne faut pas ensuite nous seriner avec des slogans comme « la défense du pouvoir d’achat ». Pour cela, il ne faut pas monter les taux de 5 % en 18 mois. Un peu de cohérence serait la bienvenue. Il est possible d’avoir un discours indiquant que les gens vont être appauvris, qu’une partie de l’Europe va être mise au chômage et que l’on va détruire ce qu’il nous reste de l’appareil productif. Il s’agit du discours de hausse des taux. Mais au moins, il faut l’assumer.  

L’autre discours consistant à dire que l’on va essayer de sauver la situation, l’industrie et afin d’éviter la récession (pas l’hiver prochain mais celui encore après) doit s’accompagner d’une baisse de taux forte, immédiate et inconditionnelle. Cela peut s’accompagner d’une baisse de l’euro, du retour du quantitative easing, tout ce qui peut permettre de faire en sorte que les conditions monétaires au sens large, pas simplement les taux d’intérêt, s’améliorent. La BCE n’en a pas l’intention et elle ne le fera pas avant la Fed, ce sont des vœux pieux. S’il s’agit bien de vœux pieux, il n’y a pas d’augmentation en vue des revenus nets à l’horizon pour les Européens de l’Ouest. L’individu économique doit continuer à faire ce qu’il fait : faire semblant de travailler et attendre de voir.

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