Le plein emploi en France, un objectif plus difficile à atteindre que ne le croit le gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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Des personnes dans une agence Pôle emploi.
Des personnes dans une agence Pôle emploi.
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Economie française

L’INSEE avait anticipé une baisse du taux de chômage au 3è trimestre 2021, pour atteindre 7,6 % de la population active en France. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, s'était félicité de l'action du gouvernement sur le front de l'emploi.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Dans sa note de conjoncture du 6 octobre dernier, l’INSEE prévoyait que le taux de chômage baisserait fortement au 3è trimestre 2021, pour atteindre 7,6 % de la population active en France entière hors Mayotte après les 8 % du second trimestre. Une perspective plaisante qui fleurait bon la possibilité du plein emploi bientôt retrouvé et qui poussa immédiatement le ministre de l’Économie Bruno Le Maire à mettre en avant l’action absolument novatrice de la majorité LREM dans la renaissance économique vécue actuellement par le pays (vidéo ci-dessous, 01′ 46″) :

« Pour la première fois depuis un demi-siècle, la France peut atteindre ce que les autres grandes nations développées ont atteint depuis des années : le plein emploi, soit un niveau de chômage de 5 à 6 %. » (Assemblée nationale, le 11 octobre 2021)

Il est bon de reconnaître que la France est très en retard parmi ses pairs du monde développé. Mais entendre le ministre s’exclamer sur le ton satisfait qui le caractérise en toutes circonstances qu’aucun gouvernement depuis 20 ans n’avait eu le courage de lancer une politique de l’emploi cherchant à renforcer la compétitivité des entreprises, à mieux former les salariés, à baisser les impôts et à résister à la tentation d’augmenter les taxes, c’est déjà une autre histoire.

Outre qu’il y aurait beaucoup à redire sur chacun des points avancés par le ministre pour vanter l’excellence des choix d’Emmanuel Macron, notamment sur le fait que le « quoi qu’il en coûte » covidien a été érigé en politique publique généralisée (voir par exemple ici et ici), on a aussi envie de rappeler à M. Le Maire qu’il y a 20 ans, il arpentait déjà les allées du pouvoir dans les cabinets de Chirac et Villepin, avant de devenir secrétaire d’État puis ministre de Sarkozy jusqu’à la parenthèse Hollande de 2012-2017. Il était déjà très content de lui, mais que faisait-il ? Rien, si l’on en croit sa nouvelle thèse sur l’inactivité crasse des gouvernements précédents.

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Mais de toute façon, tout cet enthousiasme sur l’emploi semble maintenant légèrement prématuré puisque l’INSEE a livré ses chiffres effectifs du 3è trimestre 2021 et situe notre taux de chômage à 8,1 % de la population active France hors Mayotte, après 8,1 % au 4è trimestre 2019 (avant la pandémie), des hauts et des bas non significatifs de 7 % à 9 % au cours de l’année 2020 (au plus fort des restrictions d’activité) et un rétablissement aux alentours de 8,0 % en 2021 (reprise de l’activité) :

De son côté, la direction de la statistique du ministère du Travail (ou DARES) a fait de même et il s’avère que le nombre de demandeurs d’emploi sans aucun emploi (catégorie A) en France entière hors Mayotte est revenu peu ou prou à son niveau de fin 2019, soit un peu plus de 3,5 millions de personnes. Si l’on tient compte des personnes ayant eu un emploi de courte durée dans le trimestre (catégories B et C) puis celles actuellement en stage, formation ou emploi aidé (catégories D et E), le chiffre monte à 5,9 puis 6,7 millions, soit assez nettement plus qu’en 2019.

→ J’ai récapitulé tous ces éléments chiffrés dans le tableau ci-dessous. Pour en faciliter la lecture, voici quelques explications préalables sur nos deux suivis du chômage :

· Méthode statistique(1) : la DARES comptabilise les chômeurs effectivement inscrits dans les listes de Pôle emploi tandis que l’INSEE se fonde sur une enquête trimestrielle portant sur un échantillon représentatif de 110 000 personnes selon les critères du Bureau international du travail ou BIT.
· Halo autour du chômage de l’INSEE : nombre de personnes désireuses de travailler mais non comptabilisées dans les demandeurs d’emploi car non immédiatement disponibles ou n’effectuant pas de recherche active.
· Les chiffres de l’Allemagne et des Pays-Bas donnés à titre de comparaison sont issus des publications de l’Union européenne qui collecte les statistiques d’emploi des États membres sur la base des recommandations du BIT.

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Sources : Dares (2019 & 202021) – Insee – Eurostat (2019 & 202021) – Milliers ou %

Alors oui, l’on peut dire comme Bruno Le Maire que la France a retrouvé cet automne le niveau d’emploi d’avant la crise du Covid. Tout est revenu à l’identique dans ce pays « pas comme les autres » qui se fait une gloire d’être plus généreux et plus épris de justice qu’ailleurs dans le monde – système social lourdingue inchangé, bureaucratie tatillonne inchangée, État en première ligne pour faire des plans de développement pour les autres alors qu’il est incapable de se gérer lui-même.

Un changement, cependant, et de taille : notre dette publique est passée de 98 à 115 % du PIB en 2020. D’après l’INSEE, elle se montait à 2 376 milliards d’euros à fin 2019 et elle atteint maintenant 2 762 milliards. Un alourdissement spectaculaire de près de 400 milliards en quelques mois qui ne signifie qu’une seule chose : les prélèvements obligatoires que M. Le Maire se flatte d’avoir baissés ou de ne pas avoir augmentés, alors qu’à 45 % du PIB ils sont déjà parmi les plus élevés du monde développé, seront nos impôts futurs voire les impôts de nos enfants. 

Il n’empêche que le gouvernement empile savamment les motifs de satisfaction. Non seulement le taux de chômage a retrouvé son niveau de 2019, mais le taux d’activité (incluant les personnes en recherche d’emploi) et le taux d’emploi se redressent nettement après le repli dû aux restrictions anti-Covid :

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Sources : INSEE (2019 – 2020 – 3T 2021 ) – Note : Les données soulignées sont issues des publications de l’INSEE, les autres données sont calculées à partir des précédentes.

Le taux d’activité serait même à son plus haut niveau depuis que l’INSEE le mesure au sens du BIT (1975) et il dépasse son niveau d’avant crise. C’est du reste le point que la ministre du Travail Elisabeth Borne met en avant pour expliquer que malgré le rebond économique de 2021 – croissance de 6,25 % prévue sur l’année – le taux de chômage peine à descendre en dessous d’une sorte de plancher de verre à 8 % :

« Le paradoxe, c’est que le taux de chômage ne baisse pas. Pourquoi ? C’est parce que, avec la reprise économique et le nombre important d’offres d’emploi, certaines personnes qui ne cherchaient plus de travail se sont remises à chercher. »

.
La limite de ce genre d’explication, c’est que si personne ne se met à chercher du travail ou si des personnes qui en cherchaient n’en cherchent plus, le taux de chômage sera forcément en baisse.

On le voit très bien chez les « seniors » de 50 à 64 ans : au 3è trimestre 2021, le taux d’activité y est plus bas que la moyenne française (69,5 % contre 73,5 % et même 60 % pour les 55-64 ans) et le taux de chômage nettement plus agréable qu’en France entière (5,9 % contre 8,1 %). Mais l’effet est trompeur. Non pas que le dynamisme du marché du travail soit fabuleux dans cette tranche ; simplement, peu nombreuses sont les personnes en recherche d’emploi, en raison notamment de départs en retraite précoces par rapport aux 64 ans qui marquent la limite du groupe.

À l’inverse, chez les 15-24 ans, le taux d’activité est nettement plus bas (41,1 %) en raison du lycée et des études supérieures, mais ils sont proportionnellement beaucoup plus nombreux à rechercher du travail, d’où un taux de chômage de 20 %.

Si l’on compare la France aux autres pays de l’OCDE, et notamment à ses grands voisins européens, on constate que ses taux d’activité sont systématiquement plus bas. C’était vrai en 2019 :

Et c’est toujours vrai en 2021 (ici) :

Or dans le même temps, son taux de chômage est systématiquement plus haut – 8,1 % aujourd’hui contre 3,4 % en Allemagne et 3,1 % aux Pays-Bas, sachant que cet écart véritablement béant existe depuis des années. Il en résulte que ses taux d’emploi sont systématiquement plus bas que chez ses voisins également. Là est le paradoxe. Là est le retard de la France sur les grandes nations développées, comme disait Bruno Le Maire plus haut. 

La semaine dernière, dans sa présentation de la dernière étude économique de l’OCDE sur la France, le secrétaire général de l’Institution Mathias Cormann soulignait combien nos coûteuses politiques publiques manquaient totalement d’efficacité. Notamment, malgré des dépenses d’éducation et de formation élevées par rapport au reste de l’OCDE, les jeunes Français persistent à performer plus que médiocrement dans les tests éducatifs internationaux et rencontrent les plus grandes difficultés pour s’insérer dans le marché du travail. D’où l’urgence absolue de démonopoliser notre mammouth éducatif.

À l’autre bout de la pyramide de la population en âge de travailler, l’âge de sortie du marché du travail est le second plus bas de l’OCDE en raison d’un âge légal de départ en retraite plus bas que chez nos voisins (62 ans contre 64/65 ans voire 67 ans), ce qui nuit à l’emploi et à la croissance potentielle du pays. D’où l’urgence absolue de repenser(2) notre système de retraite qui réussit à combiner désincitation au travail et déficit perpétuel.

Bref, qu’on parle d’emploi, d’éducation, de retraite ou de santé, la France doit impérativement se réformer. Inutile de rêver au plein emploi sans commencer par remettre sévèrement en question nos rigidités idéologiques donc structurelles. 

Mais contrairement à ce que dit Bruno Le Maire, si l’on se réfère à la litanie citée plus haut des mesures courageuses qu’il a prises, la première chose à faire n’est pas de baisser les impôts. Faire cela sans baisser les dépenses n’est qu’une façon de jouer la montre pour engranger un petit succès immédiat dont les conséquences délétères seront subies par d’autres via la dette (ou via l’érosion de leur épargne).

Non, la première chose à faire, c’est de baisser nos dépenses publiques. De RGPP (révision générale des politiques publiques de Nicolas Sarkozy) en MAP (modernisation de l’action publique de François Hollande) et de Choc de simplification (encore Hollande) en Action publique 2022 (Édouard Philippe), toutes politiques qui n’ont jamais débouché sur le moindre gain de productivité dans notre système, tout indique que ce sera impossible sans une remise en cause profonde de notre système économique et social hyper collectivisé et hyper bureaucratisé.

Le plein emploi, puisqu’on parle de lui, ne peut éclore dans un État qui met en quelque sorte son honneur à dépenser toujours plus. Pour notre bien, officiellement. Laissez-moi rire.


(1) En principe, la catégorie A de la DARES devrait correspondre au taux de chômage de l’INSEE, mais ces deux grandeurs tendent à diverger depuis à peu près 2010.

(2) Il existe de multiples façons d’envisager la réforme des retraites. J’en parle ici.

Cet article a été initialement publié sur le site de Nathalie MP : cliquez ICI

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