Le marché de l’électricité ou le grand gâchis de la bureaucratie néolibérale<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 6 décembre 2019 montre des lignes électriques à haute tension près de la centrale nucléaire de Fessenheim, exploitée par EDF.
Une photo prise le 6 décembre 2019 montre des lignes électriques à haute tension près de la centrale nucléaire de Fessenheim, exploitée par EDF.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Energie

Le prix de l’électricité en France ne reflète plus l’extraordinaire compétitivité d'EDF. Il est grand temps de voir la France se réapproprier les outils d’une production qui avaient contribué à bâtir sa grandeur dans les années 1970 et 1980.

Jean-Claude Werrebrouck

Jean-Claude Werrebrouck

Jean Claude Werrebrouck, a été professeur de sciences économiques à l'université de Lille 2.
Il est l'auteur de Banques Centrales : Independance Ou Soumission ? paru en octobre 2012 aux éditions Yves Michel.

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Jusqu’en 1996, l’approvisionnement de la France en électricité se déroulait selon la règle générale du monopole : peu d’interconnexions avec les réseaux étrangers, producteur monopoleur, transporteur unique et distributeur tout aussi unique. Aucun marché avec simple mission de service public et système de prix administrés. La tarification pouvait s’opérer au coût marginal : le prix de vente est égal au coût de production de l’unité productrice la plus coûteuse, mise en service pour alimenter la demande. Le même monopoleur optimisait l’emploi des diverses unités productives par une variabilité des prix en fonction des variations des demandes horaires. Réalité directement lisible, gestion simple et absence relative de bureaucratie.

Tout va changer avec la volonté bruxelloise d’inventer un véritable marché de l’électricité : réseaux  démonopolisés et interconnectés, démantèlement des monopoles, séparation des grandes fonctions (production, transport, distribution, fourniture) concurrence entre producteurs privés et publics. Seule l’infrastructure de réseau restera sous le contrôle d’un gestionnaire unique. Comme dans le monde économique classique, il n’est plus besoin d’être producteur pour devenir marchand et au cours des années 2000 nous verrons apparaître de très nombreuses « entreprises » qui ne seront que  des grossistes achetant sur les bourses de marché de gros pour revendre de l’électricité à des utilisateurs finaux. Ces « entreprises » sont aujourd’hui au nombre d’une petite trentaine en France. 3 bourses européennes vont naître pour fluidifier le marché et le rendre efficient : « Epex Spot », « Nordpool » et « OMEL ». Les Etats devant idéologiquement et réellement s’éloigner du marché, ils n’interviennent plus que par le biais « d’Autorités Administratives Indépendantes ». Ainsi, en 2000, sera créée  en France la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) dont la fonction sera, avec l’aide de ses quelque 250 collaborateurs,  de bien vérifier que les prix qui se forment sur les bourses, obéissent strictement aux principes généraux de tous les marchés et en particulier la bonne transparence des échanges.

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La France présentait toutefois des caractéristiques particulières avec un poids et une compétitivité du  nucléaire très avantageuse qui - sauf à fermer ou à vendre des centrales électronucléaires-  empêchait le marché de l’électricité de s’ouvrir à de nombreux acteurs. C’est ainsi que, contre toute logique économique sérieuse, il fut décidé d’obliger EDF à vendre à des prix très inférieurs au coût de l’électricité nucléaire à de simples marchands voulant s’installer sur le nouveau marché. C’est ce qu’on appelle l’ARENH (Accès Règlementé à l’Electricité Nucléaire Historique). Ainsi les marchands d’électricité peuvent théoriquement accéder à 25% du total de l’énergie électrique d’origine nucléaire produit par EDF et venir concurrencer cette même EDF en vendant à des particuliers à des prix inférieurs. Comme si un producteur/ distributeur était administrativement obligé de vendre à très bon marché ce qu’il produit à un acheteur décidé à le tuer. Parce qu’il était très difficile voire impossible de démanteler le producteur nucléaire, l’Etat français, obéissant à la règle bruxelloise de libéralisation du marché de l’électricité, se devait d’organiser le pillage de l’entreprise qu’il possédait.

Ce marché européen de l’électricité -avec ses bourses d’échange- fonctionne évidemment selon la règle du coût marginal et le prix européen s’établit donc selon le coût de production de l’unité marginale, celle qui doit être activée pour répondre à la demande alors qu’elle est moins compétitive que toutes les autres qui fonctionnent à pleine puissance. Sur le marché n’intervient pas que des marchands soucieux d’obtenir de véritables contrats d’électricité réelle. Au nom de la fluidité et de la liquidité, de très nombreux autres acteurs interviennent et négocient au comptant ou à terme des contrats simplement financiers. De telle sorte que, sur les marchés de l’électricité comme sur les autres marchés de la spéculation, on rencontre des acteurs qui n’ont rien à voir avec la valeur d’usage réelle. Et parce que les contrats financiers comportent des risques qu’il faut couvrir, on verra de nombreux produits financiers incorporant le sous-jacent électricité. Ces acteurs spéculent beaucoup actuellement sur ce que l’on croit être les producteurs de l’électricité marginale à savoir le gaz et le charbon. Il en résulte une hausse des prix de l’électricité en France qui n’a rien à voir avec les coûts moyens réels.

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L’invention d’un marché de l’électricité par les autorités bruxelloises et son acceptation par l’Etat français entraîne 3 conséquences extraordinairement négatives pour la France. Les 2 premières sont connues : un prix de marché qui ne correspond pas à des coûts de production beaucoup plus faibles que partout ailleurs et un transfert administratif de valeur depuis les centrales nucléaires vers des « fournisseurs » simples accapareurs et consommateurs de la rente nucléaire.

La troisième est plus méconnue et sans doute plus difficile à évaluer. Il s’agit de l’énorme bureaucratie engendrée pour faire « tenir debout » le marché inventé : Contrôle du respect de l’ARENH par une multitude de fonctionnaires ; organismes de contrôle et de régulation tels que la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), le Groupe de Régulateurs Européens de l’électricité et du gaz (ERGEG), le Conseil des Régulateurs Européens de l’Energie (CEER) etc..,. A cette bureaucratie, il faut ajouter celle qui conçoit et surveille de loin le marché, par exemple la bureaucratie bruxelloise qui a inventé les directives comme celle relative à  la réglementation concernant la transparence du marché ou celle surveillant la bonne séparation - y compris comptable-  à l’intérieur d’EDF du gestionnaire du réseau de transport (RTE) ou le gestionnaire du réseau de distribution (ENEDIS). Bien évidemment, il ne faut pas oublier dans le catalogue la bureaucratie financière qui concerne les bourses, leurs acteurs, mais aussi les juristes, les économistes, voire les modélisateurs. Et cette bureaucratie financière se doit d’avoir l’œil sur la bureaucratie financière rattachée à la spéculation sur le prix du carbone. Il ne faut pas oublier en effet que le prix de l’électricité devient aussi en quelque sorte le produit d’une double spéculation : les spéculateurs sur les bourses doivent avoir l’œil sur le marché à terme du carbone qui intervient sur les coûts des producteurs, coûts sur lesquels la spéculation s’enracine. Et parce que les producteurs d’électricité sont très soumis aux quotas carbone, leur participation à l’énorme bureaucratie financière du marché du carbone- une bourse appelée « European Energy Exchange » avec marchés spot, à terme et options, et quotas reconnus officiellement instruments fianciers par la directive MIFID2- consomme énormément de moyens.

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Au total, non seulement le prix de l’électricité en France ne reflète plus l’extraordinaire compétitivité de l’entreprise historique c’est-à-dire EDF, mais sa transformation artificielle en prix de marché entraine 2 conséquences gravissimes.

La première est la consommation du talent de milliers de personnes de très haut niveau sur le plan professionnel, personnes dont l’activité est complètement inutile voire nuisible. Un exemple : les auteurs de la très sérieuse étude sur « la sensibilité du prix de l’électricité aux publications d’informations relatives aux disponibilités des moyens de production en France »…. Comme quoi de grands talents dans le domaine de l’économétrie peuvent être affectés à des « bullshits jobs » dont la seule production est celle de rester les gardiens probablement inconscients d’un temple idéologique.

La seconde est la consommation d’une énorme quantité d’épargne ou de création monétaire, celle « brûlée » dans les bourses directes (les bourses du marché de l’électricité) ou indirectes (les marchés du carbone). Des moyens financiers qui pourraient être affectés de façon plus efficiente.

Il est grand temps de voir la France se réapproprier les outils d’une production qui avaient contribué à bâtir sa grandeur dans les années 70/80.

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