Le gouvernement en plein dérapage incontrôlé sur la sécurité et les libertés publiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Gérald darmanin ministre de l'intérieur
Gérald darmanin ministre de l'intérieur
©BERTRAND GUAY / AFP

Forces de l'ordre

Conscient de ses failles sur le régalien, le gouvernement, notamment sous l’impulsion de Gérald Darmanin, a décidé de faire des démonstrations d’autorité. Problème, au-delà de l’affichage qui tient lieu si souvent de politique ces dernières années, l’application de sa stratégie est-elle maîtrisée ?

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier est général de division (2S) de gendarmerie. Spécialiste du maintien de l’ordre et expert international en sécurité des Etats, il est notamment régulièrement engagé en Afrique. Le général Bertrand Cavallier est l'ancien commandant du Centre national d’entraînement des Forces de gendarmerie de Saint-Astier. 

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Atlantico.fr : Place de la République, l’évacuation violente d’un camp de migrants par les forces de l’ordre a fait beaucoup réagir, Gérald Darmanin parlant même d’images “choquantes”. Cette opération de police, critiquée par le gouvernement lui-même, est-elle le témoin d’une absence de contrôle des forces de police ou d’une fermeté sécuritaire que le gouvernement n’assume pas en public ?

Général Bertrand Cavallier : Avant de se livrer à une analyse de ce qui s’est déroulé hier soir, il est impératif de rappeler les faits. Une opération de campement sauvage d’immigrés illégaux sur la place de la République est organisée avec le soutien d’associations, et la présence d’avocats en robe, d’élus, et de nombreux journalistes. De toute évidence, c’est une configuration très sensible, pour ne pas dire piégeuse au sens où tout est réuni pour exploiter tout dérapage, et ainsi obtenir un effet politique s’agissant du traitement de l’immigration.

Décision est prise par les autorités d’évacuer ce camp. Cette manoeuvre est placée sous la responsabilité opérationnelle de la DSPAP (Direction de la sécurité de proximité dans l’agglomération parisienne) de la Préfecture de police, qui engage ses propres moyens dont une CSI (Compagnie de sécurité et d’intervention) et des BAC. Un escadron de gendarmerie mobile en protection de l’Assemblée nationale est toutefois projeté sous l’urgence pour renforcer le dispositif de policiers, et procède dans un premier temps au bouclage du site. L’opération d’évacuation s’avère très complexe du fait notamment de la réinstallation de tentes dans le dos des forces de l’ordre, de la pression exercée par les manifestants.

Selon les informations obtenues, l’intervention se déroule dans une grande confusion, faute d’une conception claire de la manoeuvre, et probablement d’une pression importante exercée sur les commissaires chargés de son exécution. Mais surtout, elle est émaillée de quelques violences commises par des fonctionnaires de police faisant l’objet d’enregistrements filmés largement diffusés. Deux faits sont mis en avant : le croche-pied sur un migrant par un haut gradé de la police ainsi que le matraquage d’un journaliste.

Ces comportements largement couverts par les médias nationaux se traduisent par une ouverture d’une enquête par le parquet de Paris pour des « violences par personne dépositaire de l’autorité publique ».  Ils suscitent par ailleurs une réaction forte du ministère de l’Intérieur qui déclare s’agissant du Préfet de police : « celui-ci m’a proposé la saisine de l’IGPN sur plusieurs faits inacceptables. J’ai demandé à l’IGPN de remettre ses conclusions sous 48 heures et les rendrai publiques ». Est à noter que le commissaire Le Bars, secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN),  dont on connaît le peu d’appétence qu’il a pour la gendarmerie, s’est ingénié toute la journée sur certains médias (France Info, Cnews) à faire un amalgame entre policiers et gendarmes s’agissant des dysfonctionnements constatés, alors qu’il n’y a actuellement aucune mise en cause des gendarmes.

Cela signifie-t-il une absence de contrôle des forces de l’ordre par le gouvernement ? La question mérite d’être posée.  Dans le cadre de la gestion de la crise des Gilets jaunes, l’usage débridé de la force, avec en particulier l’utilisation massive du LBD, certes principalement par des unités de police non professionnelles du maintien de l’ordre, n’a été régulée que tardivement. Dès novembre 2018, sur Cnews, j’exprimais pourtant ma stupeur devant de tels agissements qui se sont poursuivis durant des mois. Au-delà de cette crise, des faits de violences, certes généralement limités à des individus, sont récurrents. Une reprise en compte globale du politique sur l’appareil policier s’impose donc pour faire cesser ces dysfonctionnements. Mais il a pour préalable la capacité de s’imposer face aux organisations syndicales qui depuis des années n’ont cessé d’accroître leur puissance.

Par ailleurs, le politique, au lieu de s’adonner au limogeage de circonstance d’un haut fonctionnaire, serait inspiré de mieux comprendre quelle est la culture opérationnelle en vigueur notamment sur la place parisienne. S’agissant de cette opération, quel a été le processus décisionnel ? Quelle a été l’étude préalable qui aurait dû déboucher sur une conception de manoeuvre ? Laquelle aurait privilégié d’autres options dont celle de ne pas intervenir sous la précipitation, du fait notamment du rapport de forces très défavorable et du risque politique majeur. Autant de questions qui sont formulées par les gendarmes mobiles et les CRS depuis des années, sans réponse. Et là se manifeste la résistance de la technostructure. 

Régis de Castelnau : Je crois que l’on peut dire les deux. En effet Gérald Darmanin se trouve un peu ridiculisé par la contradiction dans laquelle il est empêtré. Il est à l’initiative, sûrement à la demande du président de la république, de la mise en place d’un texte qui est une atteinte très grave à la liberté d’expression et dont l’objectif est très clair. Et aujourd’hui il est contraint face aux images de reconnaître l’illégalité de certaines violences et d’en demander la sanction. Alors Monsieur le ministre, finalement elles sont bien utiles ces images puisque vous en servez pour saisir l’IGPN des enquêtes indispensables. 

Il faut quand même rappeler en pleine crise des gilets jaunes, un sénateur LREM de l’Hérault, avait déposé une proposition de loi visant à cette interdiction de filmer et de diffuser des images des forces de l’ordre à l’occasion des manifestations des gilets jaunes. Il s’agit tout simplement d’empêcher que circulent des images de violences parfaitement illégales commises par les forces de l’ordre dans la répression des mouvements sociaux. Il faut rappeler que la violence légitime de l’État dont les forces de l’ordre peuvent user est strictement encadrée par la loi. Et que du point de vue de l’usage de cette violence, les policiers et les gendarmes ne sont pas dans la même situation qu’un simple citoyen. Les violences illégales qu’ils commettent sont plus sévèrement punie, puisque l’appartenance aux forces de police est une circonstance aggravante. Si l’on fait le bilan des violences commises dans la répression de la liberté constitutionnelle de manifester, on est contraint de constater que la justice n’a pas fait son devoir et en particulier, que les parquets n’ont pas réellement poursuivi. Mais les quelques procédures qui ont été déclenchées, n’ont pu l’être que parce que des vidéos avaient circulé et que l’opinion publique s’en était émue. Par conséquent la possibilité de filmer de diffuser, est d’abord une liberté d’expression, mais ensuite le seul moyen de contrôler l’usage de la violence par les forces de l’ordre et de déterminer judiciairement si elle était légitime.

Alors il apparaît clairement que l’initiative prise avec la loi de sécurité globale est bien destinée, en profitant de l’expérience des gilets jaunes, à mettre la répression de masse à l’abri des regards. C’est dire si dans la perspective de l’échéance présidentielle, le pouvoir entend disposer de la ressource que constituent les forces de répression.

Le deuxième aspect de votre question est relatif au fait de savoir si d’une certaine façon les forces de l’ordre ne seraient pas aussi hors de contrôle. C’est une vraie question, car l’appareil policier a parfaitement perçu son utilité pour Emmanuel Macron, et le fait qu’il l’avait sauvé au plus fort de la crise des gilets jaunes et des mouvements sociaux contre la loi sur les retraites. La hiérarchie et les organisations syndicales ont passé leur temps à exiger des contreparties sur le plan matériel, mais aussi en protestant vigoureusement contre les quelques mises en cause judiciaires, et en exigeant la protection du ministre de l’intérieur. Et bien sûr du point de vue des forces de l’ordre elles-mêmes, cette interdiction d’images est quand même, qu’on le veuille ou non un passeport pour tous les débordements. Alors s’il n’est pas tout à fait exact de dire que les forces de police sont hors de contrôle, on doit quand même relever avec le latitude de leurs organisations syndicales que pour bénéficier de leur soutien, le pouvoir aura un prix à payer en les mettant à l’abri d’une répression de leurs excès.

Pourquoi le gouvernement fait-il le choix de démonstrations de force qui produisent beaucoup plus de bruit que d’efficacité ?

Général Bertrand Cavallier : Le gouvernement est devant une situation complexe.  D’une part, une proportion croissante de la population française attend des mesures fortes pour régler le problème de l’immigration illégale. Elle a en effet bien conscience de la déstabilisation profonde - qui pourrait devenir irréversible - que provoque un flux massif d’immigrants sur notre pays, sans évoquer les coûts pharamineux qu’elle induit, au détriment notamment du développement de certains territoires pudiquement désignés comme France périphérique. De façon très concrète, à Paris, l’exaspération des habitants de certains quartiers est à son comble devant la dégradation de leurs conditions de vie, du recul du droit premier à la sécurité, phénomène dont les femmes sont les principales victimes. D’autre part, sa capacité d’agir étant largement entravée, la maîtrise de l’immigration illégale s’en trouve obérée.

Les diverses opérations en particulier sur les frontières, montées pour rassurer l’opinion, ne peuvent produire les effets escomptés. La réalité est que l’immense majorité des entrants illégaux ou devenus illégaux (déboutés du droit d’asile) restent sur le territoire français. La réalité est que le démontage des camps et le relogement d’une grande partie des illégaux dans des hôtels n’ont eu qu’un effet, celui d’attirer encore plus d’illégaux.

Il est donc indispensable de se poser la véritable question : est-ce que nos principes traditionnels en termes d’accueil répondent encore à la réalité de notre époque. Une mise à plat très large ne s’imposerait-elle pas  pour préserver un nouvel équilibre entre la viabilité de notre nation et les principes relatifs aux Droits de l’homme.

Régis de Castelnau : Le choix de la répression à propos de l’installation du campement de la place de la république obéit à mon avis à d’autres objectifs que ceux de la violence déployée contre les couches populaires. Tout le monde a vu depuis la tragédie de Conflans-Sainte-Honorine à quel point Emmanuel Macron avait changé son discours. De la lutte contre le terrorisme dont on annonce le renforcement à grand son de trompe, on est passé de façon tout aussi bruyante à la remise en cause de l’immigration telle qu’elle se déroule aujourd’hui. C’est d’ailleurs le rôle de Gérald Darmanin, à coups de déclarations tonitruantes, de rodomontades et de coups de menton d’assurer la communication de ce changement d’orientation. Changement qui semble payant pour l’immédiat puisque les instituts de sondage nous annoncent une remontée significative du président de la république dans les indices de satisfaction. Dont il est peu probable qu’elle soit due à la gestion de la pandémie. C’est à mon avis la raison pour laquelle, à l’opération d’installation des migrants place de la République qui était incontestablement une provocation politique, Emmanuel Macron a souhaité répondre avec une fermeté spectaculaire. Le problème est que les forces de l’ordre, fortes du soutien dont elle bénéficie de la part du pouvoir actuellement se sont crues un peu tout permis. Il était à mon avis tout à fait possible d’opérer cette évacuation sans afficher une telle brutalité inutile. Et il était surtout prévisible, que les « belles âmes », comme d’habitude à la manœuvre pour ce genre d’opération n’allaient pas du tout apprécier de se faire matraquer. Éborgner un chômeur provincial ce n’est pas bien grave, en revanche matraquer un abonné de Télérama, ça c’est inacceptable.

Par ce genre d’actions aussi spectaculaires par leur violence qu'inefficaces, le gouvernement ne donne-t-il pas des arguments faciles pour les détracteurs des forces de l’ordre ?

Général Bertrand Cavallier : La question est quelque peu biaisée. Cette action d’évacuation sur le principe classique, certes effectuée dans une certaine confusion, s’est déroulée dans un cadre juridique clair, avec notamment le prononcé des sommations réglementaires. Une vague de refoulement a été conduite. Il n’y a pas eu d’utilisation de gaz lacrymogène, ce qui atteste d’un usage gradué de la force. Cependant, des comportements déviants de certains membres des forces de l’ordre ont été constatés. Ce qui, tout en discréditant les forces de l’ordre, constitue une aubaine pour les opposants. 

Plus généralement, alors qu’une forme d’union sacrée s’était manifestée à l’issue des opérations  de janvier 2015 contre les terroristes islamistes, un climat de défiance semble s’être installé vis-à-vis de la police. Cela est bien évidemment injuste pour tous les fonctionnaires qui ont à coeur de bien assumer leur mission. 

Cette défiance peut se comprendre au regard des écarts récurrents de comportement. Elle peut aussi être alimentée par un certain ressenti d’impunité des membres des forces de l’ordre. Ce sentiment est particulièrement vif au sein d'une partie de la population qui leur était pourtant acquise. Elle peut enfin ressortir à une lassitude devant l’évolution de la délinquance.

Sur un autre plan, la perception d’un usage excessif de la force induit un phénomène hautement déstabilisant pour notre société, en cela que cette force, qui est censée relever du monopole de l’Etat, perdrait sa légitimité. Par-delà, cela entraîne une érosion de la légitimité du pouvoir en place qui est très inquiétante. En effet, face aux nouvelles menaces, la puissance de l’Etat doit être intacte, et le potentiel de légitimité de la force doit être impérativement préservé. 

Pour toutes ces raisons, dans la suite logique des grands défis politiques que doit relever notre nation, une réflexion de fond devrait être conduite sur notre dispositif de sécurité au regard d’impératifs d’équilibre, de transparence, et de productivité. 

Régis de Castelnau : Je ne pense pas que cela gêne beaucoup le pouvoir d’Emmanuel Macron. Depuis son arrivée à l’Élysée celui-ci donne des gages et des assurances aux forces de l’ordre parce qu’il sait qu’il en a besoin. L’interdiction des images n’a, répétons-le, que l’objectif de mettre la répression à l’abri des regards. Et l’opinion publique est dans une contradiction, il y a d’une part le soutien à la police pour la lutte difficile et contrainte contre l’insécurité et la violence dont les centres-villes ont été le théâtre l’été dernier, et d’autre part le reproche d’avoir trop servi un pouvoir majoritairement rejeté par le bloc populaire. Ce qui s’est passé place de la république et autour lundi soir a incontestablement mis le Emmanuel Macron sur la défensive, et donné à la gauche politique quelques marges de manœuvre. Celle-ci est dans un triste état et tout cela n’aura pas grande conséquence. 

Les libertés publiques finissent-elles par être le dommage collatéral de ces démonstrations de force qui produisent beaucoup plus de bruit que d’efficacité ? Cela semble être le cas sur le front de la sécurité comme sur la question sanitaire... 

Régis de Castelnau : Depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, les libertés publiques sont profondément malmenées. Et la loi « sur la sécurité globale » n’est qu’un épisode dans une vaste entreprise visant à instaurer en France un régime de « démocratie illibérale ». Rappelons déjà que la séparation des pouvoirs est devenue chez nous un concept complètement creux. L’Assemblée nationale n’est qu’une chambre d’enregistrement caporalisée de niveau pitoyable, le pouvoir judiciaire a rallié le président de la république en frappant ses adversaires, en protégeant ses amis, et en délivrant une répression de masse à l’encontre des mouvements sociaux. Et le Parlement est saisi régulièrement de textes tous plus liberticides les uns que les autres : nous avons eu la « loi anticasseurs », la loi Avia, toutes les tentatives de censure à partir du prétexte de la lutte contre « la haine », et maintenant contre « le mensonge et la post-vérité », la loi sur la sécurité globale, en attendant la saison 2 de la loi Avia après la tragédie de Conflans-Sainte-Honorine.

Les atteintes aux libertés publiques dans le système Macron ne sont pas un dommage collatéral mais un des piliers de ce système.

Régis de Castelnau publie en janvier 2021 un nouveau livre, "Une justice politique, Des années Chirac au système Macron, histoire d'un dévoiement", aux éditions L'Artilleur

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