Le foot français, tombé dans le piège chinois, évite la crise financière de justesse grâce à Canal+ qui, au passage, fait une bonne affaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président du directoire de Canal+, Maxime Saada.
Le président du directoire de Canal+, Maxime Saada.
©XAVIER LEOTY / AFP

Atlantico Business

Suite à la déconvenue d’un diffuseur étranger, le foot français a risqué la grave crise financière, sauvé de justesse par un rachat des droits par Canal Plus. Mais l’année devrait rapporter deux fois moins d’argent que prévu aux clubs français. La méthode Bolloré n’est pas usée. Le foot peut en profiter, Canal Plus aussi.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Année hors norme pour le foot français. Les supporters n’ont pas le droit à leur spectacle habituel. Ils doivent se contenter de regarder les matchs sur leurs écrans plutôt qu’au stade, mais surtout, le foot français n’est pas passé loin de la catastrophe financière.

C’est Canal Plus partenaire historique qui a récupéré en dernière minute les droits TV en intégralité jusqu’à la fin de la saison, sauvant la diffusion, mais à un prix plus que bradé. Canal fait une bonne affaire mais le foot n’est pas définitivement sauvé pour autant, parce que son modèle économique s’est considérablement rétréci. Il va falloir que les clubs changent de train de vie et que les joueurs abandonnent leur goût du luxe.

Il faut dire que le foot français s’est cru plus cher qu’il ne l’est vraiment. On peut même dire qu’il est tombé dans un piège. Il y a deux ans, Mediapro, un groupe espagnol de médias parrainé par un actionnaire chinois, avait promis monts et merveilles au foot français. Ce groupe avait mis l’argent sur la table, et quel argent : 814 millions d’euros pour la saison 2020-2021. Ce qui lui a permis de remporter la diffusion de 80% des matchs de Ligue 1 et Ligue 2, sur une nouvelle chaine créée pour l’occasion, Telefoot.

C’était le contrat du siècle. Le plus important de tous les temps, mais il s’est aussi révélé être celui de tous les dangers. Avec la crise sanitaire et les mesures de restrictions, même si le championnat continue de se jouer, les stades se sont vidés et l’ambiance traditionnelle du football n’est pas au rendez-vous.

Du coup, les recettes de billetterie et de publicité ont fondu et l’attrait du championnat est tombé. Mediapro s’est servi de cet argument pour renégocier son contrat à la baisse et ne pas honorer ses échéances de paiement, privant ainsi la Ligue de football et les clubs d’une grande partie de leurs revenus. Dans le même temps, l’entreprise espagnole s’est déclarée en faillite. La Ligue de foot professionnel, pour ne pas s’embarquer dans un mélodrame juridique, a alors préféré rompre le contrat qui la liait à Mediapro. En repartant de zéro, elle prenait aussi un risque considérable, celui de se priver du financement promis et de devoir lancer un nouvel appel d’offres de toute urgence pour combler le vide. Ce qu’il s’est passé est très simple. Les médias diffuseurs traditionnels et historiques sont sortis du bois. Canal Plus, mais aussi de nouveaux arrivants, Amazon, Discovery, qui ont répondu à l’appel, mais à des prix bien trop bas pour convenir à la Ligue. Ce qui a obligé les dirigeants du foot français à se revoir leurs intentions à la baisse.

Dans un accord de dernière minute, Canal Plus et la Ligue de Football professionnel se sont donc finalement entendus pour un montant à mi-chemin, qui valoriserait le championnat français à 670 millions d’euros. Le groupe de Vincent Bolloré rajoute quelques dizaines de millions par rapport à ce qu’il a déjà versé et pourra diffuser la totalité des matchs, même si on ne parle pas encore des matchs de la saison prochaine…

La déconvenue financière est réelle. Le manque à gagner en droits TV pour le foot représente la moitié du contrat initial, presque 500 millions d’euros de moins que prévu, quand les recettes de billetterie sont déjà à zéro. Et la Ligue de football professionnel française ne peut s’en prendre qu’à elle-même, de s’être faite bernée pour avoir cédé à la promesse d’un acteur qui a cassé le marché avec un contrat mirobolant, plus d’un milliard d’euros tous diffuseurs compris, bien plus élevé que ce que se vendent les droits TV du foot français habituellement (700 millions d’euros pour la saison 2019/2020).

Mais aussi d’avoir manqué de vigilance sur la situation réelle de l’acheteur, Mediapro. D’abord, parce que l’entreprise présentait une solidité financière toute relative, ce qui avait déjà amené certaines instances de football européennes (notamment la Serie A) à éconduire une offre similaire. L’actionnaire chinois de Mediapro aurait sans doute été capable de remettre de l’argent dans l’affaire, mais en vérité, les objectifs commerciaux sur lesquels reposait la viabilité du modèle étaient difficilement atteignables. Seulement 600.000 abonnés, pour un objectif initial affiché de 3,5 millions, qui peut paraitre très élevé pour une chaine de foot qui se vend autour de 20 euros par mois. Si l’on rajoute à cela le Covid, qui a tout dévasté y compris les stades de foot et les groupes de supporters, c’était carrément impossible.

L’affaire n’était pas rentable, la crise du Covid et les stades vides ont servi à expliquer l’échec de ce lancement.

La Ligue de football, qui avait reçu, en mai dernier un Prêt garanti d’Etat de 225 millions d’euros pour supporter, déjà, l’absence de revenus des diffuseurs quand le championnat était totalement interrompu (cette fois, Canal et Bein étaient les diffuseurs), s’est retrouvée, pour cette saison, en manque de financement dès le mois de novembre, quand Mediapro a commencé à trainer du pied pour honorer ses échéances. Et l’argent des droits TV est important dans le foot puisqu’il est reversé aux clubs, et notamment aux plus petits qui en ont besoin pour survivre. Pour trouver un financement de secours, la Ligue de Football professionnel s’est alors tournée vers la finance américaine, avec la banque JP Morgan et un prêt de 120 millions d’euros à un taux de 5,5%... Le foot français paie très cher d’avoir cédé aux sirènes des capitaux chinois.

Tout le défi va être de changer le modèle pour les années à venir. Changer de modèle économique, ce sera surement changer de braquet et de train de vie. S’adapter à la baisse généralisée des recettes de stades et de sponsors qui remettent en cause toute leur politique évènementielle. Mais il faudra aussi s’attaquer au marché des joueurs dont les prix vont forcément baisser, et là, point besoin de grande réforme du foot français, le dernier mercato a montré qu’il était un marché comme les autres, et les prix des transferts de joueurs ont bien commencé à baisser.

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