La Ve République est un pacte démocratique revivifié
L'année 1958 et le Général de Gaulle ont marqué profondément l'Histoire politique française. Extrait du livre 'Vie et survie de la Ve République. Essai de physiologie politique" de Jean-François Sirinelli, publié aux éditions Odile Jacob (1/2).
Jean-François Sirinelli est professeur émérite d’histoire contemporaine à Sciences Po. Spécialiste de la Ve République et des mutations socioculturelles de la France contemporaine. Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Les Révolutions françaises : 1962-2017.
La Ve République, ou le pacte démocratique revivifié
Le constat de cette désaffection envers la IVe République se double, il est vrai, d’une autre observation : une fois passée la profonde inquiétude de la seconde quinzaine du mois de mai, le processus de destitution historique du régime se passa sans heurts ni affrontements : la République cinquième du nom naît dans un champ de ruines – un système politique issu de l’immense espérance de la Libération qui s’effondre en trois semaines –, mais non sur un champ de bataille. Là encore, un tel constat au seuil d’une analyse du métabolisme historique de la Ve République est essentiel. Certes, en raison de la poursuite de la guerre d’Algérie pendant encore près de quatre années, ses débuts sont loin de constituer alors un cours tranquille et elle se trouve au contraire emportée dans les remous d’une histoire redevenue tragique, après le saignées du premier demi-siècle. Il n’empêche : les conditions de sa naissance resteront gravées dans la mémoire collective : pour le plus grand nombre, la Ve République a désamorcé la violence plus qu’elle n’est née d’elle À cet égard, du reste, l’année 1958 présente bien deux versants tranchés : si le mois de mai constitue un sorte d’ubac placé sous le signe d’une crise aiguë et d’une inquiétud croissante, l’été et l’automne constituent à l’inverse l’adret d’un millésime décidément très contrasté. Et, en termes de chronologie, c’est sur ce versant davantage ensoleillé qu’apparaît la Ve République, qui en gardera longtemps aux yeux des Français, pour cette raison aussi, une image intrinsèquement positive.
D’autant que la phase suivante de sa gestation conforte une telle image. Sous la houlette du nouveau garde des Sceaux Michel Debré, la commission chargée d’établir le projet de nouvelle Constitution mène à bien sa réflexion en quelques semaines, dont le général de Gaulle peut ainsi présenter les conclusions au pays dès le 4 septembre suivant. Une telle date, on l’a souligné dès l’introduction, avait vu la proclamation de la République sur les ruines du Second Empire en 1870, et l’allocution gaulliste a lieu, de surcroît, place de la République : autant de symboles destinés à enraciner le régime, toujours en gestation en cette fin d’été, dans une légitimité incontestable. Le troisième symbole, en revanche, introduisait une touche plus spécifiquement gaulliste : le discours fut prononcé sous un grand V majuscule, à la fois V de la victoire renvoyant à l’épopée de la France libre et chiffre romain annonçant la naissance prochaine de la Ve République.
La phase suivante, de fait, vit le passage de ce régime de la gestation à la naissance, le 28 septembre 1958. Ce jour-là, le peuple souverain, convié à se prononcer par voie de référendum sur le projet de nouvelle Constitution, rend son verdict politique : 82,6 % de « oui » (79,2 % en métropole), pour 80,63 % de votants. L’acte de naissance était donc ainsi paraphé par le peuple français, même si la date de naissance historique est encore postérieure d’une semaine : la promulgation se fait le 4 octobre suivant, un mois jour pour jour après le discours place de la République. Cet appui populaire massif était d’autant plus frappant que, à peine douze ans plus tôt, c’est, à peu de chose près, le même électorat qui avait intronisé la IVe République. Or son appui avait été alors bien moindre : le 13 octobre 1946, en effet, le projet de Constitution avait été adopté par 53,24 % des suffrages exprimés, mais un tiers des électeurs inscrits s’étaient abstenus. Le général de Gaulle résuma le résultat en une formule mordante : cette Constitution avait été « acceptée par neuf millions d’électeurs, refusée par huit, ignorée par huit ».
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