La stratégie officielle vis à vis de la Chine n’est plus de découpler nos économies avec Pékin mais de les « dé-risquer » et voilà ce que ça signifie<!-- --> | Atlantico.fr
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Sommet des dirigeants du G7, à Hiroshima le 20 mai 2023.
Sommet des dirigeants du G7, à Hiroshima le 20 mai 2023.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Réduction des risques

Le docteur Moritz Rudolf, chercheur en droit et membre du Paul Tsai China Center de la Yale Law School, explique cette nouvelle stratégie de "dé-risquer" nos économies avec la Chine.

Moritz Rudolf

Moritz Rudolf

Moritz Rudolf est chercheur en droit et membre du Paul Tsai China Center de la Yale Law School.

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Atlantico : Nous avons beaucoup entendu parler de l'idée du découplage avec la Chine, mais il semble maintenant que l'idée de la réduction des risques gagne du terrain. Quelle est la différence ?

MoritzRudolf : Aucun de ces termes n'est clairement défini. Par conséquent, il est encore difficile de les distinguer lorsqu'il s'agit d'évaluer leurs implications concrètes anticipées pour les relations avec la Chine. Le découplage semble plus extrême que la réduction des risques (économiques). Néanmoins, alors que le débat sur le découplage se concentre sur des secteurs spécifiques, la réduction des risques pourrait également englober des aspects du découplage dans certains domaines. 

Le terme "de-risking" est né en Europe, mais il n'y a pas de consensus entre la Commission européenne, ses États membres ou les pays du G7 quant à sa signification précise ou à sa mise en œuvre.

Bien qu'il s'agisse d'une vision séduisante sur laquelle le G7 peut s'entendre, on ne sait toujours pas comment le "de-risking" se manifesterait s'il était mis en œuvre. Les récentes déclarations du chancelier allemand Olaf Scholz et de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ont révélé certaines disparités. 

Que peut-on dire du point de vue du chancelier Scholz sur le sujet ?

Le point de vue du chancelier Scholz sur le "de-risking" est assez intéressant. Il l'a présenté comme faisant partie d'une stratégie visant à s'engager et à soutenir les pays en développement, en particulier ceux du Sud. Ce point de vue est intéressant parce qu'il est à la fois négatif et positif. D'une part, il met l'accent sur la réduction des dépendances à l'égard de la Chine. D'autre part, il souligne l'intention de renforcer les capacités des pays en développement et de leur permettre de prospérer. Le G7 s'efforce d'accroître sa présence auprès de ces pays, reconnaissant qu'à défaut, les liens économiques et politiques avec la Chine risquent de se resserrer. Cette perspective souligne la concurrence pour l'influence sur les orientations politiques et économiques des pays du Sud. Il semble que le gouvernement allemand, et plus particulièrement la chancellerie fédérale, considère qu'il s'agit là d'un aspect important de la réduction des risques. L'accent mis par le chancelier Scholz sur cet aspect diffère légèrement des cinq points soulignés par von der Leyen, qui a mis l'accent sur les défis sécuritaires en tant que force motrice essentielle de la réduction des risques dans les relations avec la Chine.

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Avons-nous une idée de la raison pour laquelle le terme "découplage" a récemment été remplacé par celui de "dé-risquage" ? Serait-ce parce que nous nous sommes rendu compte qu'un découplage complet avec la Chine pourrait être difficile et qu'il n'y a pas assez de preuves pour étayer une telle évolution ?

D'une part, il n'y a jamais eu de consensus sur le découplage lui-même, mais il y a un vif débat à Washington sur ce sujet. L'administration Biden a toujours déclaré qu'elle ne poursuivait pas le découplage, tandis que les politiques américaines à l'égard de la Chine indiquent des tentatives de découplage sélectif. Néanmoins, le découplage n'est pas réaliste et il faudrait beaucoup de temps pour établir de nouvelles chaînes d'approvisionnement en dehors de la Chine. Il est beaucoup plus faisable de rester connecté au marché mondial tout en essayant de réduire les dépendances spécifiques. 

D'autre part, la réduction des risques est un concept plus abstrait, et la question clé est d'identifier, de définir et d'évaluer les risques spécifiques impliqués. Quels sont les secteurs visés par le "de-risking" ? L'élimination des risques peut comporter deux volets : D'une part, la réduction de l'engagement en Chine et, d'autre part, la recherche active d'options alternatives dans le Sud. La question cruciale à laquelle chaque pays du G7 devra répondre est de savoir comment équilibrer ces deux composantes.  

Cela signifie-t-il que la réduction des risques est un objectif plus réalisable pour les pays occidentaux ?

Comme je l'ai mentionné précédemment, tout dépend de la définition que l'on donne à la notion de "de-risking". Se concentrer sur l'exploration de marchés alternatifs et réduire les dépendances spécifiques à l'égard de la Chine (en particulier dans les secteurs de haute technologie) peut devenir un objectif réalisable une fois qu'une liste de ces risques a été établie. 

Cela nous ramène à la question initiale : Les pays occidentaux, en particulier les 27 États membres de l'UE, ont-ils des stratégies et des niveaux d'exposition à la Chine similaires ? Cette question dominera certainement le débat, en particulier lorsqu'il s'agira de discuter des contrôles des investissements à l'étranger, qui étaient auparavant associés au découplage, mais qui peuvent maintenant être discutés dans le cadre de la réduction des risques. 

Il est intéressant de noter que, d'une part, des pays comme la France et l'Allemagne abordent leurs relations avec la Chine dans une optique économique plus pragmatique qu'idéologique. D'autre part, certains pays d'Europe de l'Est s'alignent plus étroitement sur les États-Unis en considérant les dimensions géopolitiques et idéologiques dans leurs relations avec la Chine. Il faudra attendre de voir dans quelle mesure les États membres de l'Union européenne auront une évaluation unifiée des risques.

Le fait que l'administration Biden ait adopté le terme "de-risking" signifie-t-il quelque chose sur l'état actuel des relations diplomatiques entre l'UE, les Etats-Unis et la Chine ?

Il est en effet remarquable que les États-Unis adoptent maintenant un terme qui a été introduit par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avant son départ pour Pékin (en tant que contre-argument européen du découplage). Bien qu'il soit encore trop tôt pour tirer des conclusions concrètes, il est remarquable que les États-Unis alignent leur rhétorique sur celle de l'Europe. Cela intervient à un moment où l'administration Biden a fait part de son intention d'améliorer les relations bilatérales avec la Chine. 

Néanmoins, l'adoption de ce terme n'a pas encore beaucoup de signification concrète car nous n'avons pas encore assisté à la mise en œuvre de politiques coordonnées spécifiques au nom du "de-risking". Il pourrait s'avérer utile de faciliter les discussions transatlantiques maintenant qu'il existe un terme commun auquel se référer, ce qui permettrait de délibérer sur ses véritables implications. Contrairement au découplage, qui avait une connotation purement négative puisque tout le monde était contre, le de-risking offre un cadre plus positif. L'étape suivante consiste toutefois à définir ce qu'implique réellement le "de-risking".

Dans quelle mesure les pays occidentaux s'appuient-ils sur la Chine dans les différents secteurs de leur économie ?

La Chine est indéniablement l'un des principaux partenaires commerciaux de nombreux pays européens, ce qui crée des dépendances économiques potentielles (par exemple, les terres rares, les batteries ou les ingrédients pharmaceutiques). D'un point de vue économique, la Chine détient une part de marché importante dans certains domaines, et il n'est peut-être pas souhaitable que des technologies ou des ressources clés soient transférées de manière excessive vers la Chine pour des raisons économiques. Certaines mesures, telles que l'examen des investissements en provenance de Chine, ont été introduites par le passé. Toutefois, lorsqu'il s'agit de réduire les risques, l'application pourrait être beaucoup plus large. 

Nous assistons aujourd'hui à une prise en compte croissante des risques politiques dans l'équation de la dépendance économique. La dimension politique et sécuritaire est devenue plus centrale dans les relations sino-européennes. 

Par exemple, Bruxelles a souligné la nécessité d'éviter de renforcer les capacités de la Chine en matière de sécurité et de renseignement. La réduction des risques peut donc impliquer une surveillance accrue de l'économie par l'État, y compris le contrôle des investissements à l'étranger. Le débat sur le contrôle des investissements sortants, qui se poursuit aux États-Unis, a finalement atteint l'Europe. La Commission européenne semble s'aligner étroitement sur les États-Unis dans son évaluation de la Chine en tant que menace politique.

Quelle est la réponse de la Chine, le cas échéant, à la position occidentale ?

La partie chinoise considère la position occidentale comme une tentative d'entraver les objectifs de développement de la Chine. Elle la critique comme une politique visant à entraver les progrès de la Chine. Naturellement, ils s'y opposent vigoureusement. Toutefois, il est important de noter que la Chine a également ses restrictions en matière d'investissements à l'étranger et ses "listes négatives". D'une certaine manière, la réponse du G7 reflète l'approche précédente de la Chine (devenir comme la Chine en essayant de répondre à la Chine). Malheureusement, il semble qu'il y ait un manque de dialogue et de réflexion significatifs entre les deux parties. Le conflit actuel entre les États-Unis et la Chine éclipse de nombreux autres aspects de la situation. Les Chinois perçoivent les déclarations et les actions du G7 comme une simple extension des tensions entre les États-Unis et la Chine.

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