La politique familiale vue par la Cour des comptes : circulez, y a rien à voir<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue de la Cour des comptes.
Une vue de la Cour des comptes.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Budget et argent public

La Cour des comptes a enquêté sur la manière dont les différentes règles fiscales prennent en compte la composition familiale (couple et enfants) pour la détermination de l’impôt.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Le rapport de 102 pages publié jeudi (en téléchargement ici) m’inspire trois observations principales.

1 - La Cour des comptes décrit un machin horrible et conclut qu'il est préférable de ne rien changer.

La première section décrit plutôt bien la variété des dispositifs : indigestion assurée. J'y découvre plein de détails que j'ignorais. La deuxième décrivant la conséquence de ce fouillis est bien titrée : "Des règles parfois méconnues par les contribuables, des contrôles peu fréquents par l'administration". La troisième section semble voir poindre la lumière au bout du tunnel : "Les effets discutés des quotients conjugal et familial", se terminant même par une sous-section 3.4 alléchante : "D'autres modèles de prise en compte de la composante familiale". 

La timide "conclusion intermédiaire" de la 3e section, en page 93, est un modèle d’invitation au conservatisme :

"Malgré sa complexité, le système fiscal français, assure, par son articulation avec les prestations sociales, l’objectif de redistribution assigné au système socio-fiscal dans son ensemble. Des réformes d’imposition des familles sont néanmoins régulièrement proposées, qu’il s’agisse de l’individualisation de l’imposition ou de l’ouverture optionnelle de l’imposition conjointe aux couples non mariés et pacsés. Sous réserve de leur constitutionnalité, elles emporteraient des coûts de mise en œuvre significatifs et des transferts de charge importants et ne pourraient être envisagées que dans le cadre d’une réforme globale de la prise en compte des charges de famille par les systèmes sociaux et fiscaux".

Pour être positif, je soutiens fortement la fin de la dernière phrase : si on veut faire évoluer la politique familiale française, il est obligatoire d’intégrer dans une même réforme à la fois les allocations familiales, les dispositifs sociaux calculés en fonction des enfants à charge et la machinerie fiscale.

2 - Le document énonce dix recommandations (listées page 10) dont aucune ne remet en question la complexité technocratique du machin. 

La lecture est édifiante : un exercice où les technocrates parlent aux technocrates. On ressent tout de même que les orientations ne plairont pas à tous les citoyens.

Recommandation n° 1. (DLF) : Aligner le régime fiscal des veufs ayant des enfants à charge sur celui des parents isolés à l’issue d’une période transitoire consécutive au veuvage. 

n° 2. (DLF) : Engager la suppression de la demi-part pour les personnes vivant seules ayant un enfant majeur non rattaché qu’elles ont élevé pendant au moins cinq ans au cours desquels elles vivaient seules.

n° 3. (DLF) : Homogénéiser progressivement les niveaux de plafonnement du gain en impôt procuré par les demi-parts additionnelles.

n° 4. (DLF) : Remplacer l’abattement en faveur des contribuables ayant des enfants majeurs mariés ou chargés de famille rattachés à leur foyer fiscal par l’attribution des mêmes parts de quotient familial que pour les enfants mineurs.

n° 5. (DLF) Évaluer les effets de l’absence de conjugalisation de l’impôt sur la fortune immobilière et proposer des scénarios d’évolution.

n° 6. (DLF, DSS) Uniformiser les majorations de revenu fiscal de référence pour toutes les demi-parts supplémentaires dans la détermination des seuils d’allègements fiscaux en matière de taxe foncière et de contributions sociales.

n° 7. (DGFiP) : Prévoir une obligation de dépôt des justificatifs attachés à la déclaration des revenus sur l’espace personnel numérique pour toute première demande d’un avantage lié à la situation familiale.

n° 8. (DGFiP) Évaluer les effets du dispositif mis en place en 2023 pour s’assurer que les pensions alimentaires déduites du revenu imposable sont symétriquement déclarées par leurs bénéficiaires.

n° 9. (DGFiP, DSS) : Redresser, le cas échéant, les droits éludés de taxe foncière et de contributions sociales consécutivement à un contrôle fiscal ayant conduit à majorer le revenu fiscal de référence ou à minorer le nombre de parts fiscales.

n° 10. (DGFiP) : Mettre à disposition des services gestionnaires un applicatif de gestion des remboursements de malus CO2 et de la taxe sur la masse en ordre de marche.

[Fin de citation]

Afficher cette liste est un test : l’avez-vous réellement lue ? Avez-vous tout compris ?

3 - Il faut attendre la fin (sous-sous-sous-section 3.4.1.4) pour que soit évoquée très succinctement "une cohérence à rechercher avec les prestations sociales".

On voit alors apparaître page 90 un petit graphique dont l’allure générale est familière pour ceux qui suivent depuis longtemps les travaux du think tank AIRE :

Le choix de ce graphique parmi l'infinité de cas possibles ne doit rien au hasard : un conjoint y étant rémunéré au Smic, il gomme la première tranche à gauche (lorsque la somme des salaires est nulle à inférieure à 1 Smic) où on voit apparaître les effets du RSA et le plateau initial de la section en bleu clair. En y intégrant la fin de dégressivité de l'allocation logement, que l'on affecte aux enfants, on donne à penser que les plus modestes sont les mieux lotis, ce qui est contraire à la réalité dans beaucoup de configurations familiales (en particulier c’est tout l’inverse pour les familles monoparentales, dont les plus aisées touchent le jackpot). 

La Cour des comptes aurait pu choisir un autre graphique, par exemple celui tracé par Léon Régent dans "La face cachées des prestations familiales" concernant des couples mariés/pacsés avec 4 enfants à charge :

On y visualise mieux que la fiscalité représente moins de la moitié du sujet, ce que le rapport de la Cour des comptes mentionne à la fin de sa synthèse (page 9) :

"si le coût des dispositions fiscales liées à la composante familiale est estimé à 28 Md€ en 2021, les prestations familiales représentaient un montant comparable de 29 Md€ cette même année, auquel devrait être ajouté le montant des majorations liées au couple et aux enfants qui existent pour la grande majorité des prestations monétaires sous condition de ressources (aides au logement, minima sociaux, etc.) ainsi que les droits familiaux de retraite (majorations de pension ou de durée d'assurance, pension de réversion...)".

Ma conclusion :

La mission donnée à la Cour des comptes concernait "la prise en compte de la famille dans la fiscalité". La technocratie répond à la question posée et ne prend jamais l’initiative de l’élargir.

La démocratie est tout autre chose : cela consiste à demander aux citoyens ce qu'ils pensent des systèmes et équipes qui gouvernent leurs existences. La meilleure réponse à cette autre question est le repentir récent du haut-fonctionnaire Jean-Pierre Jouyet :

"Avant, je ne voyais pas ou je minimisais l’importance de la bureaucratie et son rôle souvent néfaste sur la bonne marche du pays. (…) Je suis même devenu comme eux, indifférent à la complexité administrative que doivent affronter les citoyens ordinaires. (…) La réforme, aux yeux de l’écrasante majorité des responsables politiques, ce n’est pas un travail de fond, mais une manière de communiquer au gré de l’actualité. (…) Les présidents, en France, depuis quarante ans, préfèrent les réformes sociétales à celles qui touchent à l’organisation de l’État. C’est moins risqué. »

La conclusion saute aux yeux : tant que le rôle des élus de la Nation consistera à débattre d’une infinité de détails imaginés par une technocratie orientée vers sa conservation et sa progression de carrière, aucune réforme ambitieuse et sensée n’est possible.

Au fait, pour la politique familiale : la proposition la plus évidente consiste à ce que les CAF versent à tous les parents une somme mensuelle de quelques 250 € par enfant à charge, et on supprime tout un fatras inepte qui occupe agréablement l’intelligence des hauts-fonctionnaires mais n’intéresse en rien les citoyens. 

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