La France et le double discours allemand : entre vertu écologique et subversion anti-nucléaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo montre une tour de refroidissement de la centrale nucléaire d'Emsland à Lingen, dans l'ouest de l'Allemagne, en avril 2023.
Une photo montre une tour de refroidissement de la centrale nucléaire d'Emsland à Lingen, dans l'ouest de l'Allemagne, en avril 2023.
©INA FASSBENDER / AFP

Transition énergétique

Afin de garantir la compétitivité de ses entreprises face à ses partenaires européens, l’Allemagne a mené une campagne d’actions auprès des institutions européennes pour écarter le nucléaire de tout système de subvention. L’Allemagne a exploité la transition énergétique comme un outil politique, industriel et commercial.

François Jeanne-Beylot

François Jeanne-Beylot

François JEANNE-BEYLOT est spécialiste de la recherche d'information, l'intelligence économique, la veille et l'influence. Dès 2000, il créé la société Troover qui accompagne toujours aujourd'hui ses clients et France et Europe et en Afrique dans la recherche d'information structurée, l'intelligence économique et la veille sur Internet (www.troover.com). En parallèle, il a créé en 2007 la société InMédiatic (www.inmediatic.net), dédiée à la gestion de notoriété et d'influence sur Internet. Longtemps associée à différentes agences de RP puis de communication, InMédiatic est aujourd'hui une filiale à 100 % de Troover en faisant un des rares cabinets à proposer des prestations conjointes et coordonnées de veille et d'influence en ligne, allant de la formation à l'externalisation en passant par toutes les étapes de l'accompagnement.

Il a rédigé ou participé à la rédaction de plusieurs ouvrages, il est professeur associé à l'École de Guerre Économique de Paris, intervenant fondateur de l'École Panafricaine d'Intelligence Économique et stratégique de Dakar et intervenant régulier de plusieurs autres écoles, conférences et colloques en tant que spécialiste d'Internet, de l'intelligence économique digitale et de l'influence.

Très présent en Afrique, il est l'initiateur et le coordinateur des Assises Africaines de l'Intelligence Économique qui sont devenues, depuis 2016, le rendez-vous incontournables des professionnels de l'IE en Afrique. Il est également Rédacteur en chef du Portail Africain de l'Intelligence Économique qui publie notamment plusieurs lettres de veille en France et en Afrique.

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La vertu, à la différence du vice est une force morale avec laquelle l'être humain tend au bien, s'applique à suivre une règle, une loi morale. Elle se drape donc souvent des meilleures intentions du monde. Mais il arrive parfois que ces intentions se télescopent voire soient guidées par un autre, au nom d’intérêts plus bas qu’ils n’y paraissent, en tout cas moins moraux. 

Il semblerait que la vertu écologique puisse être aussi utilisée comme arme économique.  Assurément, elle est dans l’air du temps ; Outre-Rhin, on pourrait dire qu’elle a le Zeitgeist avec elle. Et bien justement chez nos « alliés allemands » elle tend à devenir l’argument suprême pour régler des différends géostratégiques, comme la lutte du sabordage ‘‘légitime’’ des filières nucléaires françaises par la praxis allemande. 

L’École de Guerre Économique avait déjà publié en mai 2021 un dossier intitulé « Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie ». Il précédait le débat public sur l’importance de l’énergie nucléaire pour la résilience énergétique de notre pays. En juin 2023, Les étudiants de cette même école, que j’ai eu le plaisir d’accompagner, publient cette fois-ci un rapport d’alerte sur l’ « Ingérence des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française ». Retour sur leur analyse : 

Au commencement était une décision. Une décisionpolitique. En réaction à l’accident nucléaire de Fukushima, la chancelière Merkel avait annoncé en 2013 la sortie du nucléaire et l’accélération de la transition énergétique allemande vers des énergies renouvelables. Cependant, la brusque bascule politique vers l’arrêt du secteur nucléaire et la hausse du prix de l’énergie qui en découlerait, risquait alors d’impacter directement la compétitivité de l’industrie allemande. Le mix énergétique du pays dépendait à hauteur de 22 % de l’atome, qui représentait également son énergie la moins coûteuse. La facture de cette transition était alors estimée 200 milliards d’euros[1]

Sur la même période, la France restait en capacité de produire une énergie bon marché et plus fiable grâce à son parc nucléaire, et la gestion de son électricité par EDF. Devant la possible augmentation du coût de l’énergie allemande par rapport à l’avantage productif français, il était impératif pour Berlin de supprimer ledit avantage. Cette vision est partagée par Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, qui s’exprimait devant la commission d’enquête « visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France » en ces termes : « L’obsession allemande depuis trente ans, c’est la désintégration d’EDF. Ils ont réussi »[2]. Afin de garantir la compétitivité de ses entreprises face à ses partenaires européens, l’Allemagne a donc entamé une campagne d’actions auprès des institutions européennes pour écarter le nucléaire de tout système de subvention. En parallèle de ces actions européennes, Berlin s’est également appuyé sur deux de ses fondations pour déstabiliser le secteur nucléaire français : les fondations Heinrich Böll et Rosa Luxemburg. 

Au cœur de ce travail de sape donc, se situent des fondations politiques allemandes, grassement financées par Berlin à hauteur de 500 millions d’euros par an, afin «d’influencer le développement de pays à travers une orientation de leurs élites dans un sens sociopolitique déterminé» parfaitement en adéquation avec les intérêts industrialo-économiques de Berlin. L’Allemagne agit en ce sens dans le cadre d’une guerre cognitive afin d’affaiblir la France, notamment dans le domaine du nucléaire, et afin d’assurer la suprématie de son modèle énergétique et le succès de ses mesures nationales. Berlin entend donc modeler la politique européenne de l’énergie selon ses intérêts propres. À ce titre, l’Allemagne dispose de trois entreprises majeures dans le secteur des énergies renouvelables – Siemens, Enercon et Nordex – qui bénéficient de nombreuses aides européennes grâce au lobbying allemand. Avec son rôle stratégique dans la redistribution du gaz à l’échelle européenne, le pays cherche à se positionner comme un véritable hub gazier sur le continent, et entend devenir un acteur énergétique indispensable au sein de l’Union européenne, renforçant ainsi son rôle de poumon économique. 

En ce sens, le réseau de lobbying allemand est amplement sollicité dans le cadre des négociations autour du Green Deal européen, et plus particulièrement autour d’une des principales mesures : la taxonomie verte. Par le verrouillage des institutions européennes et la pression constante exercée sur la politique européenne, l’Allemagne assure la pérennité de son industrie. Alors qu’une première proposition concernant la taxonomie avait été faite dès mai 2018, le Parlement européen avait fait le choix, sous la pression de l’Allemagne, d’exclure le nucléaire de l’équation en mars 2019 avant que celui-ci n’obtienne finalement le « label vert » en juillet 2022. 

L’Allemagne exploite donc la transition énergétique comme un outil politique, industriel et commercial. Elle mène des campagnes de déstabilisation pour éteindre la filière du nucléaire en France, considérée comme l’obstacle le plus important à son hégémonie sur le marché de l’énergie bas carbone. Elle s’appuie sur ses fondations politiques comme Heinrich Böll Stiftung – affiliée au parti Les Verts – pour intervenir directement en France et pratiquer un encerclement cognitif de la société civile via un narratif anti-nucléaire, au travers de notes, de position papers, de rapports, de financements, de lien de copinages ou de contrôle direct ou indirect de nombreuses associations sur le territoire français et européens … 

Par conséquent, ces pratiques offensives de la part de notre voisin d’Outre-Rhin placent la France dans une position délicate, entre volonté d’union de l’Europe et de protection de son indépendance stratégique. La France se révèle particulièrement démunie et mal préparée pour défendre ses choix en matière de politique énergétique, alors même que l’influence allemande se fait sentir sur le territoire national de manière insidieuse et détournée. À croire que le différend franco-allemand a vie longue ! 

François JEANNE-BEYLOT

CEO Troover – InMediatic

Professeur associé à
l’Ecole de Guerre Economique


[1] 20 Minutes, L’Allemagne adopte le projet de loi d'abandon du nucléaire, 2011. [en ligne]

[2] La Tribune, Déboires d’EDF et du nucléaire français : Proglio et Lauvergeon mettent leur rivalité de côté pour accuser l'Allemagne, 2022, [en ligne]

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