La France doit enfin rentrer dans le XXIème siècle en favorisant la démocratie collaborative<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
La France doit enfin rentrer dans le XXIème siècle en favorisant la démocratie collaborative
©

Démocratie liquide

Dans un récent rapport, la Commission européenne souligne l'importance pour la croissance de la création de nouveaux produits et services qui créent de nouvelles relations entre les individus. Une innovation que la France semble pourtant ignorer.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

C’est le propre des ères où des changements radicaux interviennent : les contemporains n’en retiennent que les désordres et les crises qu’ils produisent. Ils n’en mesurent que difficilement les avancées et les progrès. Notre époque, bouleversée par l’arrivée d’Internet et des immenses possibilités qu’il ouvre, n’échappe pas à cette règle.

Avec Internet, en effet, les sociétés humaines entrent dans un univers fondé sur la collaboration permanente entre les individus. La collaboration n’est plus un moyen, elle devient une fin en soi, une façon d’être. Là où nous apprîmes, sur les bancs de l’école, que le développement personnel était un cheminement solitaire, un exercice individuel, le monde du réseau nous enseigne exactement l’inverse : on ne devient soi-même qu’en collaborant constamment avec les autres. Ce qu’au baccalauréat on appelle encore injustement la fraude devient un modèle de construction du savoir.

Ce seul exemple montre le retard colossal pris par la France vis-à-vis de l’innovation sociale. Tout ce que la culture française stigmatise est devenu le modèle d’organisation de la société de demain.

C’est précisément notre problème, et le ferment de la crise profonde de notre modèle.

La Commission européenne l'a rappelé en juin, en publiant un intéressant rapport intitulé Funding social innovation in Europe. Le document souligne que l’essentiel de la croissance économique provient aujourd’hui de cette innovation sociale injustement boudée et méconnue en France.

Que regroupe cette expression? Les technocrates diraient que l’innovation sociale est une nouvelle façon de produire de l’externalité positive. La Commission la définit comme les «innovations qui sont sociales à la fois dans leurs finalités et dans leurs moyens. Plus spécifiquement, on définit les innovations sociales comme de nouvelles idées (produits, services et modèles) qui répondent à la fois à des besoins sociaux (plus efficacement que des alternatives) et créent de nouvelles relations sociales ou collaborations» (page 17 du rapport).

Concrètement, l’innovation sociale déborde très largement le simple cadre des écosystèmes créés par les réseaux sociaux, et concernent même la sphère financière. L’invention du crowdfunding par exemple permet de mobiliser des fonds directement auprès du public, sans l’intermédiaire de l’industrie bancaire, pour financer des petits projets d’avenir. Le crowdfunding, ou financement collaboratif, repose essentiellement sur les mises en réseaux directes qu’Internet permet.

Le fonctionnement pyramidal se meurt

Nous sommes loin de connaître toutes les possibilités que nous réserve ce monde, mais nous pouvons dire qu’il modifie déjà en profondeur notre horizon. Sur Internet, des communautés se créent chaque jour fondée sur l’esprit démocratique que Tocqueville attribuait à l’Amérique : égalité des individus, liberté d’initiative.

Cette évolution est lourde de sens pour notre conception traditionnelle de l’organisation sociale. Le fonctionnement pyramidal auquel nous étions habitués, avec une hiérarchie qui monopolise le pouvoir de penser et d’initier, se meurt. Il fait place à un fonctionnement liquide: l’ordre est horizontal, et les initiatives suscitent des courants passagers entre les personnes qui décident de mettre leur énergie en commun pour avancer sur des projets qui leur tiennent à cœur.

Sans surprise, la France et ses élites nourries au lait de la domination individuelle se battent becs et ongles pour endiguer aux frontières les effets de ce mouvement planétaire.

Nous avons ainsi produit la fameuse loi Hadopi qui autorise la violation des libertés individuelles pour protéger les intérêts des intermédiaires de la culture.

Plus profondément, les textes et les décisions se multiplient pour étouffer le mouvement qui naît. Ainsi, François Hollande a eu la bonne idée de faire apparaître l’économie numérique dans un intitulé de ministère. Pour le priver immédiatement de toute capacité d’action, puisqu’il s’agit d’un ministère délégué, sans autonomie et rattaché au fameux Redressement productif.

La presse s’est fait l’écho d’une note produite l’an dernier par le directeur de cabinet de M. Montebourg, Stéphane Israël, pour le think tank Terra Nova. Cette note très bien faite a le mérite de balayer tous les champs économiques de l’innovation, sauf un : celui de la révolution collaborative, qui met en péril le monopole des élites traditionnelles de ce pays en matière de décision collective.

Or, imaginer que la France pourra relever le défi de la compétitivité internationale en se contentant de développer des technologies, sans intégrer leur mode d’emploi - la fin de la pyramide de décision, et l’adoption d’une organisation liquide - est un leurre.

La véritable révolution que nous devons mener n’est pas financière, ni bancaire. Elle est cette révolution tocquevillienne, fondamentalement libérale, qui consiste à reconnaître à chacun le droit de participer librement aux décisions collectives. Dans la cité comme dans l’entreprise.

Ce qu’on appelle la démocratie liquide ou collaborative.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !