La Finlande a réussi à ne plus avoir de SDF et voilà comment elle s’y est prise<!-- --> | Atlantico.fr
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Le nombre de sans-abri en Finlande n'a cessé de diminuer au cours des trois dernières décennies.
Le nombre de sans-abri en Finlande n'a cessé de diminuer au cours des trois dernières décennies.
©OLIVIER MORIN / AFP

Pays du Père Noël

Le nombre de sans-abris en Finlande n'a cessé de diminuer au cours des trois dernières décennies, passant de plus de 16 000 en 1989 à environ 4 000.

Boris Cournède

Boris Cournède

Boris Cournède est chef-adjoint de la division des finances publiques à l’OCDE. Ses travaux portent sur la politique monétaire, la réglementation financière, les questions budgétaires et les réformes structurelles. Récemment, il a notamment conseillé les pays du G20 sur la compatibilité entre ajustement budgétaire et croissance inclusive dans une mission conjointe OCDE-FMI. Il a publié plusieurs études analysant comment les réformes de croissance influencent les risques de perte d’emploi et de revenu des travailleurs. Ancien élève de l’ENS Ulm et lauréat de l’agrégation de mathématiques, il est titulaire d’un D.E.A. de l’Université Paris-Dauphine, diplômé de l’ENPC et ingénieur en chef du corps des ponts. Il a enseigné l’économie à l’ENPC, l’ENSAE et l’ENA.

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Marissa Plouin

Marissa Plouin

Marissa Plouin est analyste des politiques de Logement et des affaires sociales. Elle est à la direction du pôle de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales de l'OCDE.

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Atlantico : Dans de nombreux pays, le nombre de sans-abris na pas cessé daugmenter ces dernières années et pour Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, le nombre de sans-abris a même doublé depuis 2012 en France. Pourtant un pays fait figure dexception en la matière : la Finlande. Comment a évolué le chiffre des sans-abris dans le pays ?

Boris Cournède et Marissa Plouin : Il est difficile de comparer les taux de sans-abris dans différents pays tant les définitions sont différentes. En Finlande, c’est une définition assez large, mais au Japon par exemple c’est très restreint et il s’agit des personnes qui vivent dans la rue ou dans l’espace public.

Il faut rappeler que le nombre de sans-abris est difficile à mesurer. Les données sur les sans abris ne sont pas compréhensives ou régulières. En France, le dernier recensement national officiel date en effet de 2012. Les associations comme celle de la Fondation Abbé Pierre mènent leurs propres recherches, mais le dernier chiffre officiel sortant de l’INSEE date de près de 10 ans. Par ailleurs, le phénomène est assez complexe et n’est pas toujours  « visible » au niveau des statistiques. Les méthodes de collecte de données varient : on peut compter les personnes dans la rue à des moments précis comme durant la « nuit de la solidarité » (réalisée dans quelques villeseuropéennes, dont Paris, -ce n’est pas un échantillon national, et reste partiel-), mais c’est une photographie. On pense que le phénomène est beaucoup plus vaste que ce que les chiffres officiels suggèrent.

La Finlande est en effet une exception. Il y a une réduction des chiffres de sans-abris dans d’autres pays, mais en Finlande cette diminution est assez frappante, significative et constante depuis de nombreuses années. Il s’agit du résultat de la politique « Logement d’abord », une stratégie bien connue depuis de nombreuses années et assez efficace. Mais en Finlande, ils ont réussi à la mettre en place il y a longtemps, à combiner cette approche avec des investissements constants dans la construction de nouveaux logements et une continuité politique que l’on voit rarement dans d’autres pays. Quelque soit le parti politique, ils ont continué cette approche et ça a payé. Un succès depuis 1989.

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Le pays est passé de 15000 sans-abris en 1989 à moins de 5000 aujourd’hui. Il n’y a quasiment plus personne dans des abris d’urgence.

Comment la Finlande a-t-elle travaillé spécifiquement sur ce problème ?

Depuis 1989, le pays a travaillé sur Logement d’abord, mais cela s’inscrit sur des mesures plus larges.

Il faut aussi préciser qu’il n’y a pas de profil type des personnes sans domicile fixe. Avant il y avait le stéréotype d’un homme, la cinquantaine qui avait des problèmes d’addiction, mais on s’aperçoit de plus en plus que la population est très hétérogène : ainsi, d’après les données disponibles, dans plusieurs pays il y a de plus en plus de familles avec enfants, de femmes, de personnes âgées et des jeunes. Les profils sont plus divers et les parcours qui conduisent à la rue sont multiples, ce qui complique la réponse politique. Il n’y a pas de solution unique qui puisse être adaptée à toutes les situations.

La réponse finlandaise a été large et ne visait pas un seul public. En effet, l’approche « Logement d’abord » peut être proposée pour des cas complexes. On peut, par exemple, financer le loyer d’individus sur une période limitée pour leur permettre de se remettre sur pied, mais pour d’autres publics il faut offrir d’autres services en plus. Un des principes de « Logement d’abord » est de compléter la fourniture d’un logement par des services supplémentaires adaptés : aide à l’emploi ou à la santé et c’est cela que la Finlande a mis en place. Pour certaines personnes, on ne peut pas résoudre la crise des sans-abris avec le logement seul, il faut une aide plus intégrée.

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L’accompagnement a donc été la solution finlandaise ?

Cette stratégie a permis de sortir du cercle vicieux de la rue. Dans les années 70 et le début des années 80, beaucoup de réponses au sans-abrise envisageaient le logement comme l’étape « ultime »d’aide, qui n’était proposée qu’après avoir eu recours à d’autres formes de soutien (que ce soit lié à la santé, l’emploi, etc.). . Cette approche coûteuse a ses limites, et il faut notamment y intégrer toute une gamme de services sociaux. 

Les Finlandais ont intégré les services sociaux dans la stratégie du logement tout en continuant à en construire de nouveaux. Faire face à la pénurie seule de logement abordable et sociale ne suffit pas, mais on doit continuer à construire des logements car le développement du logement représente aujourd’hui environ 0,06% du PIB en moyenne des pays de l’OCDE : ce chiffre représente l’investissement des états dans le développement du logement, quel que soit le type de logement; abordable, social, prix du marché…, le chiffre est également mis à jour suivant les dernières données dont on dispose). 

Les aides au logement sont importantes, mais il faut aussi agir du côté de l’offre. Si celle-ci est rigide, on rique de se trouver dans une situation où une bonne partie de l’aide au logement peut entraîner une pression sur les prix plutôt qu’augmenter l’offre.

La politique du sans-abrisme doit être cohérente avec ce qui est fait pour le logement social et abordable si elle doit être efficace à long terme et c’est ce que les Finlandais ont bien réussi.

La force des Finlandais a-t-elle été d’avoir une politique constante malgré des changements de gouvernements ?

Bien évidemment et il faut aussi noter que leur politique a été mise en œuvre à l’échelle nationale : cela a été important car des villes et territoires du pays ont poursuivi cette approche de « Logement d’abord ». Ils font ça depuis trois décennies de manière continue. Il s’agit d’une perspective plus globale sur le logement.

Même si il y a de nombreuses actions faites au niveau local, les politiques sociales de santé, de transfert relèvent largement de l’échelon national. Si on veut de tels résultats, on a besoin d’une application au niveau national.

Ont-ils réussi à éradiquer ce problème de société de manière durable ?

C’est ce que l’on peut constater et la crise du Covid l’a également montré. Alors que de nombreux pays de l’OCDE ont eu à mettre en place des solutions « d’urgence », la Finlande a pu réagir assez vite pour trouver des solutions d’hébergements car le système était déjà plus résilient du fait qu’il y avait moins de personnes dans le besoin. Le problème qu’ils ont eu à résoudre ne se posait pas à la même échelle que dans d’autres pays.

Alors quen France, nous devons tirer des enseignements de la pandémie et notamment sur son impact social, quelles leçons devons nous retirer de la stratégie finlandaise ? Est-ce applicable sur notre territoire ?

L’approche « Logement d’abord » existe en France depuis un certain nombre d’années, mais elle n’est en place que dans certains territoires. Le gouvernement actuel l’a mis à l’agenda, et il sera intéressant d’étudier ces modalités et ses résultats pour éventuellement comparer avec ce qu’a fait la Finlande et en tirer des leçons.

Là où la France peut faire un peu plus c’est au niveau des données afin de comprendre les différents profils et les parcours des personnes sans abris. Cela  nous aidera à mieux comprendre les défis, et identifier et rectifier les faiblesses systémiques. Par exemple, on voit qu’il y a un taux de sans-abrisme beaucoup plus élevé chez les personnes sortant d’institutions, comme par exemple chez les jeunes issus de l’aide social au moment où il deviennent majeurs, où les personnes sortant de prison ou d’hôpital psychiatrique car le volet de la transition n’est pas toujours assez approfondi.

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