La croissance économique se concentre dans les métropoles : que faire pour éviter le naufrage des autres régions (qui ne flambent pourtant rien…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Paris et les grandes métropoles concentrent de plus en plus l'emploi et la croissance.
Paris et les grandes métropoles concentrent de plus en plus l'emploi et la croissance.
©Flickr/unicellular

On estime généralement que les grandes agglomérations représentent environ les deux tiers à la croissance économique française.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Une analyse du McKinsey Global Institute portant sur plus de 178 pays a montré que la moitié de l'augmentation de la production mondiale au cours des deux premières décennies du millénaire a été générée par des régions représentant moins de 1 % de la masse continentale mondiale. A quel point est-ce que la croissance économique se concentre dans les métropoles à l'heure actuelle ?

Philippe Crevel : La croissance économique a toujours été concentrée dans les agglomérations. Avec une accélération du processus ces 30 dernières années. Les grandes agglomérations créent des synergies importantes au niveau intellectuel ou des échanges. Les chercheurs sont plus productifs s’ils sont nombreux dans un espace réduit. Et internet n’a pas changé les choses, contrairement à ce que certains auraient pu penser, au contraire, internet a accentué le phénomène. C’est le cas dans Silicon Valley, en Californie, mais tout autant en région parisienne ou encore au niveau de la Chine où, autour de quelques grandes villes, on observe des fortes concentrations dans un même lieu des centres de réflexion, des centres de recherche, des centres de formation et centres de production. A l'échelle mondiale, on estime que les 10 plus grandes régions urbaines réalisent 40% de la croissance et produisent 70 à 80% des technologies.

A quel point cela se traduit-il dans les chiffres ?

Philippe Crevel : En termes de croissance économique, la croissance liée à la mondialisation, à l'internationalisation de l’économie est tirée par cela. La production s'est concentrée dans quelques grands centres qui réalisent l’essentiel. On estime généralement à deux tiers du total la croissance issue de ces grandes agglomérations.  C'est un peu difficile à calculer parce qu'il y a toujours des spécificités. SI l’on calcule la croissance française, elle se concentre dans quelques grandes régions, mais cela n’empêche pas des échanges avec d’autres régions moins visibles. Il ne faut pas sursimplifier les choses en expliquant que les sièges sociaux sont concentrés à Paris, ce qui est vrai, car une entreprise peut avoir des établissements dans plusieurs régions, voire en milieu rural sans que ce soit forcément comptabilisé en tant que tel.  Néanmoins plus de la moitié de l'emploi total est concentré dans les métropoles. 

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Au cours des 20 dernières années, la croissance en France a été principalement portée par les grandes métropoles, avec un léger rééquilibrage entre la région parisienne et les grandes métropoles régiolnales. Parmi celles-ci, on peut citer en particulier Toulouse, Bordeaux, Nantes et Lyon. Ces grandes métropoles ont connu une croissance démographique de plus en plus marquée, devenant des pôles économiques où les activités tertiaires prédominent, au détriment de l'industrie qui s'est délocalisée à partir des années 60 vers des villes de taille moyenne en périphérie des grandes agglomérations. Les grandes villes n'étaient tout simplement pas intéressées, car la main-d'œuvre y était moins chère en milieu semi-urbain. Par conséquent, de nombreuses petites industries ont fermé, entraînant un recul de l'activité économique dans ces zones. Ainsi, les grandes agglomérations sont devenues le cœur de l'économie circulaire, où les échanges économiques se concentrent.

La concentration de l’activité économique se fait-elle nécessairement au détriment des autres régions ?

Philippe Crevel : La concurrence entre territoires a toujours eu lieu. Il y a des régions qui sont motrices, mais le problème se pose pour celles qui sont non connectées aux grands centres de création de richesse. Ça a longtemps été le cas pour la Bretagne de par son éloignement. Elle a finalement trouvé des ressorts économiques pour rebondir. C’est toujours très vrai pour les îles. La marginalisation n'est pas forcément éternelle. En France, la Vendée par exemple, fait figure de contre-exemple. La Vendée était un département pauvre qui, en se spécialisant sur la construction de bateaux de plaisance, a retrouvé une prospérité.  Il y a plein de contre-exemples de régions qui pouvaient être considérées comme marginales, qui ont réussi à se développer économiquement.

Malgré le fait que ce soient les grandes métropoles qui stimulent l'activité économique, on observe dans les périphéries de ces métropoles la présence de nombreux quartiers prioritaires relevant de la politique de la ville, pourquoi ?

Philippe Crevel : En effet, ces quartiers prioritaires ont été identifiés comme étant des zones nécessitant une attention particulière dans le cadre de la politique de la ville. Prenons l'exemple de la région parisienne, notamment la Seine-Saint-Denis, une partie du Val-d'Oise et du Val-de-Marne, qui constituaient autrefois la ceinture rouge et étaient fortement industrialisés. Avec la désindustrialisation, ces zones ont connu une perte d'emplois industriels, tandis que les emplois à forte valeur ajoutée se concentrent davantage à Paris, à La Défense et dans certaines villes des Hauts-de-Seine et des Yvelines, mais pas dans les banlieues où les problèmes se posent.

Ces quartiers rencontrent un taux de chômage extrêmement élevé, deux à trois fois supérieur à la moyenne nationale. Les emplois disponibles sont souvent à faible valeur ajoutée, principalement liés aux activités domestiques, et ne sont pas nécessairement situés sur place, mais plutôt dans le centre de l'agglomération. Beaucoup d'emplois à temps partiel ont été perdus, contribuant à la précarité et à la pauvreté. La Seine-Saint-Denis est l'un des départements les plus pauvres de France, un statut acquis au cours des 30 dernières années, alors que ce n'était pas le cas il y a 50 ans lorsque ces régions étaient encore industrielles, comme l'usine Citroën à Aulnay-sous-Bois.

Cette situation est également observable dans d'autres grandes agglomérations. Prenons l'exemple de Marseille, où la désindustrialisation a entraîné la dégradation des quartiers nord de la ville, avec un taux de chômage élevé et le développement d'activités souvent informelles. Ainsi, la désindustrialisation a contribué à l'appauvrissement de ces quartiers populaires situés en périphérie des grandes agglomérations, tels que le quartier nord de Marseille, en raison de l'extension géographique de la ville.

A quel point ces quartiers prioritaires des politiques de la ville sont-ils différents d’autres quartiers sinistrés ?

Philippe Crevel : La nature des problèmes n’est pas la même. Il y a bien évidemment des ressemblances, sur les déserts médicaux, la difficulté d’accéder à des services publics. Mais cela va concerner bien plus de personnes sur un territoire plus restreint. Le logement y coûte aussi plus cher. La Cour des comptes a montré que la politique de la ville avait donné lieu à des crédits importants mais qui rapportés à la population étaient bien moins intéressants. Et les résultats étaient mauvais.

Et qu'est-ce qui explique justement cet échec de la politique de la ville ? Et qu’est ce qui pourrait marcher ?

Philippe Crevel : Les cités qui posent problème aujourd'hui sont souvent les anciens bidonvilles des années 60. À l'époque, la France a construit de grandes cités pour répondre à un besoin urgent de logements. Cependant, ces constructions ont été réalisées rapidement, avec une qualité médiocre, et ont concentré des milliers de logements dans des immeubles de grande hauteur, rapprochés les uns des autres. La France est l'un des rares pays à avoir opté pour ce type d'urbanisme, d'autres pays tels que l'URSS et l'Allemagne de l'Est ont suivi des politiques d'urbanisme et de concentration similaires.

Aujourd'hui, nous faisons face aux conséquences de ces erreurs des années 60. Les quartiers prioritaires, qui étaient autrefois des bidonvilles, ont été construits dans la précipitation sans une réflexion rationnelle à long terme. Ces quartiers connaissent des problèmes d'urbanisme liés à une concentration excessive de population. De plus, la désindustrialisation a aggravé la situation, entraînant un poids social important. La population s'est retrouvée du jour au lendemain avec une perte d'emplois et une dégradation de la légitimité au sein des familles.

Le système éducatif a également connu des échecs. La gestion des populations immigrées, issues de nombreux pays différents, dans des classes surchargées avec des enseignants mal formés, n'a pas favorisé l'acquisition de connaissances essentielles. La désagrégation du tissu familial et la perte de repères éducatifs ont également contribué aux problèmes rencontrés. L'urbanisme peu convivial dans ces quartiers a ajouté à la situation actuelle. La politique de la ville a souvent adopté une approche saupoudrée, tentant d'apaiser les tensions sans une réelle volonté politique ni une vision à long terme. Il y a eu des aides aux associations, aux grands frères, mais cela n'a pas été suffisant pour véritablement changer la situation sur le long terme. On a essayé de saupoudrer de crédits et cela n’a pas marché.

Les cités existent toujours aujourd'hui, avec un manque de services publics, de commerces et d'espaces de vie dans ces régions. La politique de la ville a échoué dans ce domaine.

Quelles sont les solutions ?

Philippe Crevel : Les solutions à ces problèmes sont complexes. Elles impliquent une révision de la politique d'urbanisme, l'accélération des démolitions des cités et une refonte complète de l'aménagement du territoire. Cela nécessite de repenser entièrement la concentration des logements et d'adopter une approche plus diffuse, comme cela a été fait en Allemagne, mais cela présente des défis considérables.

Il est également essentiel de mettre l'éducation au premier plan, mais cela prend du temps. Il faut travailler sur une période de 10 à 15 ans pour obtenir des résultats significatifs. Il est nécessaire de rétablir des liens entre les habitants et la police, afin d'assurer l'ordre et de prévenir les troubles. Cela implique non seulement des effectifs, mais aussi une formation adéquate pour la police, qui doit appliquer la loi de manière équitable et s'engager dans la prévention et le soutien de la population des banlieues. Actuellement, les effectifs et la formation de la police ont été réduits au minimum, ce qui a également des conséquences dramatiques sur les relations entre les habitants et les forces de l'ordre.

 Comment faire pour aider les régions qui « souffrent en silence » ?

Philippe Crevel : C’est particulièrement difficile dans un moment où il est nécessaire de limiter les dépenses et de rationaliser les ressources disponibles. Je suis convaincu que le principe de subsidiarité est essentiel dans ce contexte. Cela signifie principalement que les régions doivent être compétentes pour réguler l'aménagement du territoire et contribuer au développement économique. Elles doivent avoir la responsabilité des transports, de l'économie et disposer des ressources nécessaires pour assumer ces compétences, conformément au principe de subsidiarité. Cependant, toutes les décisions ne peuvent pas être prises uniquement au niveau national. En revanche, la sécurité, notamment les fonctions de police, relève de l'État. Dans le domaine du développement rural et de l'accès aux services publics, ainsi que dans l'amélioration des conditions de vie en milieu rural, il est préférable que les régions ou les départements prennent en charge ces missions.

Le modèle du bocage vendéen pourrait-il être étendu au reste de la France ?

Philippe Crevel : La Vendée a réussi à se développer en jouant sur ses atouts. Les bateaux, le tourisme (le Puy du fou), l’agroalimentaire. Elle a aussi organisé une synergie forte entre les entreprises, permettant une mise en commun des compétences, la naissance d’une coopération et d’une solidarité très importante. La personnalité de Philippe de Villiers a été un catalyseur des énergies. Ce qui est toujours valable en dehors de la Vendée c’est évidemment cette solidarité et aussi l’innovation pour conquérir des parts de marché.

Aujourd’hui, la Vendée est l’un des départements qui connaît le taux de croissance le plus élevé, avec un chômage faible et avec une industrie qui exporte (dans l’agroalimentaire ou le naval). C’est un modèle partiellement reproductible ailleurs mais qui ne marche évidemment pas à chaque fois. Il faut les bons acteurs, le bon timing, etc. N’est pas la nouvelle Silicon Valley qui veut. Il faut que toutes les infrastructures suivent. Notamment des écoles et des centres de formations pour assurer le niveau de compétence.

Souvent, on prend l'exemple de de certaines régions d'Allemagne où d'Italie pour évoquer des régions qui ne sont pas métropolitaines et ou malgré tout, il y a un tissu qui se développe. Est-ce que cela peut exister en France ?

Philippe Crevel : L'Allemagne est un État fédéral doté d'une culture riche. Historiquement, il était composé de nombreuses principautés et petits royaumes, plutôt qu'un seul royaume centralisé comme la France avec son rôle prépondérant de la région parisienne. De plus, l'Allemagne présente une tradition ancienne d'activité économique diversifiée, avec une vraie composante industrielle, contrairement à une centralisation économique unique. Le pays abrite de nombreux pôles économiques importants tels que Munich, Francfort, Hambourg et Düsseldorf. Chacun de ces pôles est relativement indépendant, mais il y a une coopération étroite au niveau de l'entreprise, créant ainsi une forte solidarité. L’Italie est également connue pour son capitalisme familial, où les entreprises sont souvent transmises de génération en génération, bénéficiant d'une tradition industrielle et d'un apprentissage solide. Cette approche a permis de développer des secteurs spécialisés tels que la mode en Italie du Nord, où le savoir-faire culturel et les ressources financières, notamment le soutien bancaire. Cela joue un rôle clé dans le succès des grandes villes allemandes et de l’Italie du nord.

D’autres modèles pourraient-ils être mobilisés pour revitaliser nos régions ?

Philippe Crevel : Il est important de rester reliés à des centres économiques. L'impact du TGV sur des villes telles que Reims est remarquable. On peut observer comment ces villes, autrefois endormies, ont connu un essor important après l'arrivée de la ligne à grande vitesse. Bordeaux en est un exemple marquant, avec son développement notable depuis l'ouverture de la ligne TGV à 2h20. A l’inverse, certaines villes comme Limoges, Clermont-Ferrand et même certaines parties de la Normandie, telles que Le Havre ou Rouen souffrent encore d'une connectivité insuffisante qui les pénalise.

 En outre, la qualité de la formation est un facteur crucial à considérer. Il est nécessaire d'investir dans les ressources nécessaires pour améliorer les infrastructures et les compétences locales. Un autre aspect important est d'avoir des infrastructures adaptées pour attirer les entreprises intéressées par de tels projets. En général, les territoires qui réussissent sont ceux qui possèdent des conditions de vie agréables, attirant ainsi des flux migratoires vers des régions comme les Pays de la Loire. Cependant, il est essentiel de noter que la réussite économique n'est pas un processus instantané. Elle dépend de multiples facteurs qui doivent être réunis pour créer un véritable déclic économique.

Peut-on encore sauver les territoires sinistrés de leur situation ?

Philippe Crevel : Les exemples vendéen ou breton montrent que c’est possible. Il y a eu grâce au tourisme, mais également grâce à l'agroalimentaire, grâce également au à la haute technologie (autour de Lannion, Morlaix) un rebond économique qui fait que la Bretagne tend à faire partie des régions dynamiques en France. Les choses peuvent en fait changer assez vite. Mais cela nécessite des volontés politiques locales et nationales.

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