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Elisabeth Borne, ministre des Transports, en réunion avec des représentants de la CFDT.
Elisabeth Borne, ministre des Transports, en réunion avec des représentants de la CFDT.
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Main tendue ?

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, et Didier Aubert, secrétaire général de la CFDT Cheminots, viennent de signer une intéressante tribune dans Le Monde, qui sonne à la fois comme une main tendue et un avertissement au gouvernement. La CFDT rappelle au bon souvenir d’Emmanuel Macron le rôle central qu’elle joue depuis plusieurs années dans le dialogue social en France. On suivra avec intérêt l’éventuel changement de pied du Président. Il n’est pas évident que ce texte ne finisse de convaincre Emmanuel Macron de tourner une page de notre histoire sociale.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Ce qui se joue entre le gouvernement et la CFDT sur l’affaire de la SNCF n’est pas anodin, et c’est peut-être même le cœur du volet social que l’on peut lire dans ce dossier épineux. La suite des événements donnera une bonne indication sur la conception « sociale » du macronisme et méritera d’être suivi avec attention de ce simple point de vue.

Un employeur peu enclin au dialogue social

En tant qu’employeur final de la SNCF, ni Emmanuel Macron, ni Edouard Philippe, ni Elisabeth Borne ne brillent par leur sens aigu du dialogue avec les partenaires sociaux. On peut être un patron ou un actionnaire décidé à réformer une entreprise sans agiter systématiquement tous les chiffons rouges qui font hurler les représentants syndicaux. 

Dans le cas de la SNCF, on peut s’interroger sur l’ambition réformatrice du gouvernement (qui ne propose pas de fermeture de lignes ni même une privatisation). En revanche, son inexpérience en matière de négociation saute aux yeux. Elle éclate au grand jour quand Elisabeth Borne réserve à la presse des annonces qu’elle aurait dû faire de longue date aux syndicats. Elle éclate plus encore lorsque c’est Benjamin Griveaux qui répond aux syndicats excédés:

« On ne choisit pas son interlocuteur, le meilleur moyen pour discuter, ça n’est pas de quitter la table et de claquer la porte, a déclaré M. Griveaux lors du compte rendu du conseil des ministres. C’est en s’asseyant autour de la table qu’on arrive à avancer et les discussions se feront avec Mme Elisabeth Borne, ministre des transports en charge du dossier. »
Le gouvernement est rigide. Si l’on se souvient qu’une grande partie de la tension à la SNCF vient de son absence d’engagement sur la reprise de la dette et sur le contenu de la future convention collective qui remplacera de fait le statut des cheminots, on mesurera combien son inexpérience en matière de négociation coûte cher aux usagers de la SNCF. Avec une meilleure prise en compte des demandes compréhensibles voire légitimes des syndicats, on serait loin du blocage actuel. Et le gouvernement serait probablement en capacité de faire passer sans heurt une réforme bien plus profonde que celle qui est programmée aujourd’hui.

Une instrumentalisation politique des cheminots par Macron?

Ceux qui préfèrent penser que la politique est affaire d’intention cachée avant d’être une affaire d’incompétence soutiennent que ces blocages sont orchestrés par Emmanuel Macron. Le Président aurait intérêt à montrer la détermination du gouvernement face aux syndicats pour plaire à l’opinion. La grève profiterait à la popularité d’un Macron affaibli notamment par la mauvaise tournure des événements à Notre-Dame-des-Landes. 

Il n’est pas bien sûr que le raisonnement tienne la route. En revanche, il est de plus en plus visible qu’Emmanuel Macron accorde peu d’importance au dialogue social en général, et à ses relations avec les organisations syndicales de salariés en particulier. L’indifférence qu’il manifeste vis-à-vis de Laurent Berger, le secrétaire général de la SNCF, en est le meilleur signe. Alors que ce dernier était le partenaire privilégié et parfois exclusif de François Hollande, il semble superbement ignoré par l’actuel président de la République.

On ne sait d’ailleurs pas trop d’où vient cette disgrâce manifeste. On peut comprendre que les atomes des uns s’accrochent moins bien avec ceux des autres. S’agissant de la CFDT, la lecture du phénomène n’est pas compréhensible en dehors d’un raisonnement politique: Emmanuel Macron considère qu’il n’a pas besoin de la CFDT pour régner et qu’il est donc inutile de forcer sa nature à crantant une relation avec un Laurent Berger dont le profil est très différent du sien.

CFDT et macronisme: deux visions pour un seul monde bienveillant

Le raisonnement du Président se tient en partie. C’est vrai que sa « famille » politique et sa vision du monde ne procèdent pas exactement de l’héritage démocrate chrétien ambiant à la CFDT, incarné à outrance par Laurent Berger. Idéologiquement diaphane, Berger est le parangon d’un monde obsédé par la bienveillance et le Vivre Ensemble. 

On ne lira pas autrement les positions de la CFDT sur la question de l’immigration. La CFDT n’est plus très loin d’accuser le gouvernement de xénophobie. Mais la même CFDT considérait en 2015 que le travail détaché conduisait à des situations « extrêmement nocives« . On connaît ce paradoxe propre au monde de la bienveillance et de l’excuse. Lorsque l’étranger est une victime, il faut l’accueillir. En revanche, lorsqu’il est l’égal des Français, qu’il ne peut être infériorisé et maintenu dans un état de commisération, alors il faut fermer les frontières devant lui. 

Sur cette inclination à la victimation de l’autre comme condition préalable à l’empathie, le macronisme est beaucoup plus ambigu. La pensée jeune-turque au pouvoir s’embarrasse moins facilement de l’indignation morale que les démocrates chrétiens ne peuvent le faire. 

De ce point de vue, la CFDT et En Marche ne sont pas alignés sur le même fondement idéologique. Le macronisme, parce qu’il est jeune-turc, procède souvent par affirmation de la volonté individuelle de quelques réformateurs comme moteur de l’énergie politique. Un Laurent Berger préfère le « collectif » d’un consensus mou, qui a moins d’énergie mais soulève moins de réactions urticantes.

Cela ne signifie pas que les deux visions soient irréconciliables. Toutes deux sont toujours celles d’un monde de la protection et du bien triomphant contre de nombreux maux conservateurs et nationalistes. Mais, au-delà de cette ressemblance partielle, les sillons idéologiques diffèrent. 

La main mal tendue de Laurent Berger

C’est à l’aune de cette arrière-fond complexe qu’il faut lire la tribune de Laurent Berger. Celle-ci peut apparaître comme une proposition de médiation entre le gouvernement et les syndicats de cheminots. Laurent Berger y propose les pistes d’un compromis qui le remettrait, ce faisant, au centre du jeu.

Les éléments techniques de cet arrangement sont relativement simples. Pour Laurent Berger, il faut d’abord qu’Emmanuel Macron arrête de lier, comme l’Allemagne l’avait fait avec la Deutsche Bahn, la reprise la dette et la réforme du statut. Pour la CFDT, la dette est le problème de l’Etat. Il n’y a donc pas lieu de négocier sa reprise.

Pour la CFDT, il est aussi urgent de négocier une convention collective « de haut niveau ». Cette revendication parait désormais incontournable. On voit mal comment le gouvernement pourrait ne pas y céder. Il est même contre-productif de ne pas y céder vite, car plus le temps passe et plus les exigences syndicales risquent d’être élevées quant au résultat final.

Enfin, Laurent Berger conteste la transformation de la SNCF en société anonyme. Il appelle de ses vœux un grand débat sur l’avenir de l’entreprise. 

Moyennant un respect de ces points, on comprend que Laurent Berger pourrait entrer dans la danse et « casser » la grève en disloquant le front syndical. On mesure pour le gouvernement le désaveu qu’il s’infligerait à lui-même en suivant ces propositions. On retrouve ici la conviction traditionnelle de la CFDT. Il vaut mieux réformer peu et lentement, mais bien, plutôt que réformer vite et fort. C’est le raisonnement qui justifie l’immobilisme dans lequel la France est plongé depuis de longues années. 

Et si le gouvernement passait outre?

Reste à savoir si le ralliement de la CFDT est indispensable pour le gouvernement, ou s’il est simplement souhaitable. 

Dans la pratique, avec sa manie de faire de grandes théories moralisatrices pour pas grand chose et de couper les cheveux en quatre, Laurent Berger constitue un poids embarrassant pour un gouvernement décidé à réformer le pays en profondeur. Le secrétaire général de la CFDT aime en effet la temporisation, les grands débats entre membres des corps intermédiaires où les pratiques de l’ancien monde, les vieux champs sémantiques et le vocabulaire de la bienveillance justifient un millier de précautions, d’hésitations, de retours en arrière pour finalement arriver à des décisions « équilibrées », loin des « postures », c’est-à-dire à la réinvention de l’eau tiède.

Pour qu’Emmanuel Macron ait besoin de passer sous ces fourches caudines, il faudrait qu’il y soit absolument contraint. Cette situation montrerait alors que le bonapartisme jeune-turc qu’il incarne serait tenu en échec dans le pays et aurait besoin d’un soutien constant de l’aile démocrate chrétienne qui constitue la partla moins « confortable » de son électorat de l’opinion. S’agissant de la SNCF, tout laisse à penser que le gouvernement peut jouer le pourrissement du conflit sans prendre de risque excessif. Les ordonnances adoptées, la vigueur du mouvement de grève se perd peu à peu dans les méandres d’un calendrier où le sujet lasse. 

Cahin-caha, le prix à payer pour un ralliement de la CFDT sur ce dossier serait probablement plus élevé que le prix à payer pour le pourrissement d’un conflit qui sera finalement vain pour les cheminots. Le bon sens consiste donc à passer outre, tant que l’opinion ne se fâche pas excessivement contre un mouvement où les torts sont partagés. 

C’est accessoirement la meilleure façon de réduire les prétentions excessives de Laurent Berger à jouer les faiseurs de roi. Cette illusion lui avait été donnée par un François Hollande qui peinait à décider. Emmanuel Macron étant moins faible que son prédécesseur, il ne peut qu’être agacé par cette espèce d’exaltation du Homais flaubertien qu’incarne Laurent Berger. 

Pour les prochaines négociations, comme la réforme systémique des retraites, cette stratégie permettra de rendre la CFDT moins indispensable. A charge pour Emmanuel Macron de ne pas couper tous les ponts avec elle. A terme, ce syndicat godillot peut avoir une utilité. 

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