L’Inde va dépasser la Chine en nombre d’habitants : et voilà ce que la superpuissance oubliée pourrait changer à la marche du monde<!-- --> | Atlantico.fr
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Des acheteurs se pressent dans un marché avant Diwali, la fête hindoue des lumières, à Chennai, en Inde, le 22 octobre 2022.
Des acheteurs se pressent dans un marché avant Diwali, la fête hindoue des lumières, à Chennai, en Inde, le 22 octobre 2022.
© Arun SANKAR / AFP

Démographie

La population indienne devrait atteindre 1,43 milliard d’habitants en 2023.

Jean-Luc Racine

Jean-Luc Racine

Jean-Luc Racine est directeur de recherche émérite au CNRS (CESAH-EHESS) et chercheur senior au think tank Asia Centre.

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Atlantico : L’Inde est en passe de dépasser la Chine comme pays le plus peuplé au monde. A quoi est-ce dû ?

Jean-Luc Racine : C’est plutôt dû à ce qu’il se passe en Chine. Cela fait des années que les deux pays proches se rapprochent l’un de l’autre en termes de population,  car la population chinoise vieillit et ressent les conséquences de sa politique de l’enfant unique. Et, pour la première fois, elle a légèrement régressé. L’Inde a une population plus jeune, d’environ 10 ans en moyenne. Cela fait que mathématiquement, l’Inde va dépasser la Chine dans le courant de l’année. La croissance démographique se poursuit en Inde, quoique de manière inégale. Le Sud du pays a quasiment fait sa transition démographique.

A population égale, le PIB chinois est environ 5 fois supérieur au PIB indien. Quand l’Inde, dans les discours optimistes de Narendra Modi, parle de dividende démographique et rappelle que la jeunesse de la population est un acquis et un atout, c’est vrai. Mais ous réserve de trouver un emploi aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail. C’est une question délicate car le degré de scolarisation et le système éducatif, restent plus intense  en Chine que ce qu’il est en Inde. Ce qui a des répercussions sur l’emploi.

L’Inde est-elle en capacité de capitaliser sur sa démographie ?

C’est tout l’enjeu. L’indice de développement humain est très parlant en la matière. L’Inde, cinquième puissance économique mondiale, est 132e de l’IDH, là où la Chine est 79e.  C’est un vrai problème puisque le discours sur la « croissance inclusive », vocabulaire du parti du Congrès (au pouvoir de 2004 à 2014), continue à être tenu, mais il est encore trop rhétorique, malgré certains programmes sociaux. Tout le monde peut avoir conscience de l’impérieuse nécessité de fournir des emplois mais dans un pays encore très rural, c’est compliqué.

Qu’est-ce qui a fait que la Chine a su se développer bien plus que l’Inde, à partir d’un PIB par habitant similaire jusque dans les années 1990 ?

Le tournant a eu lieu sous Deng Xiaoping dans les années 1980. Il y a eu une volonté du pouvoir de favoriser la croissance économique en jouant l’équilibre entre pouvoir d'État et secteur privé. Pour l’Inde, le grand tournant arrive en 1991, lorsque Manmohan Singh est ministre des Finances et commence à libéraliser l’économie. Il y a eu, une décennie plus tard, au début des années 2000, une croissance significative, mais qui a été suivie de ralentissements. Certains experts estiment que pour sortir l’Inde par le haut, elle aurait besoin d’une croissance de 9 à 10 % pendant plusieurs années. Ce qu’a connu la Chine. On comprend bien d’ailleurs pourquoi la Chine, qui s’est développée, n’a plus ces taux de croissance très élevés. En Inde, même si Narendra Modi est partisan de la libéralisation, défenseur d’une politique « Make in India » incitant à venir fabriquer en Inde, certains estiment qu’il est encore difficile de venir s’ y installer. L’Inde a un taux de croissance actuel de l’ordre de 6 à 6,5% C’est la puissance économique mondiale qui connaît la plus forte croissance, mais cela reste insuffisant par rapport aux besoins.

De quoi a besoin l’Inde pour capitaliser sur sa démographie ?

Il faut d’abord qu’elle renforce son système de formation par l’éducation. L’Inde compte de bonnes universités, de très bons instituts de management et de technologie, mais la diffusion de l’enseignement de qualité reste trop inégale. L’autre aspect serait de sortir une partie de la population de la ruralité au profit d’un développement urbain de qualité. Mais on ne peut pas multiplier les postes qualifiés si l’éducation n’est pas au rendez-vous. C’est particulièrement difficile car l’État indien est une fédération, le gouvernement central est fort, et il a un rôle décisif, mais il n’a pas son mot à dire sur certains sujets, qui sont du ressort des 28 États régionaux.

Y a-t-il donc une problématique d’efficacité de la gouvernance ?

Il y a bien sûr des inégalités dans la gouvernance, mais ce n’est pas surprenant. Il y a des États où la formation (taux d’alphabétisation, statut des femmes, etc.) est meilleure et où la transition démographique s’opère mieux. Dans l'État le plus peuplé, l’Uttar Pradesh et ses 220 millions d’habitants, il est évidemment plus difficile de mener une action efficace, indépendamment du gouvernement en place, car les données socio-économiques sont moins bonnes de longue date que dans les États les plus avancés.

Le déclin démographique relatif de la Chine, et la vitalité de l’Inde, pourrait-il rebattre les cartes et offrir un nouveau rôle à l’Inde ?

Pas encore. On glose beaucoup sur la montée de puissance de l’Inde. C’est assurément un pays émergent mais pas encore, en tant que telle, une grande puissance à l’échelle mondiale. Elle a des raisons de s’inquiéter des ambitions géopolitiques chinoises, a fortiori depuis l’arrivée de Xi Jinping. Il y a ainsi eu des accrochages frontaliers sévères e long de dans l’Himalaya en 2020. Le rapprochement sino-russe résultant de la guerre en Ukraine est vu avec circonspection à New Delhi. L’Inde a des relations anciennes avec la Russie, qu’elle préserve, mais la montée en puissance de la Chine l’inquiète, bien qu’elle soit pour l’Inde un partenaire commercial important. L’Inde n’a pas voulu s’associer aux routes de la soie, en particulier en raison du corridor économique sino-pakistanais qui passe par le nord du Cachemire que contrôle le Pakistan et que l’Inde continue de revendiquer, et elle s’inquiète des avancées de la Chine dans l’océan Indien. Mais le budget militaire chinois est sans commune mesure avec celui de l’Inde. Narendra Modi veut faire de l’Inde un pays développé d’ici le centenaire du pays, en 2047. La Chine s’est longtemps revendiquée pays en développement et a cessé de l’être pour devenir la seconde puissance mondiale. L’Inde continue d’être un pays émergent. Elle est attractive dans certains secteurs économiques, mais il reste du chemin à faire…

D’où un balancement géopolitique marqué d’une part par son appartenance au Quadrilateral Security Dialogue (QSD ou Quad), avec le Japon, l’Australie et les Etats-Unis dans l’Indo-Pacifique, d’autre part par son appartenance à l’Organisation de coopération de Shanghai, une initiative sino-russe initialement prévue pour assurer la stabilité en Asie centrale et qui élargit son horizon. En 2023, l’Inde préside à la fois l’Organisation de Coopération de Shanghai et le G20, et veut y laisser sa marque, mais ce ne sont que des présidences tournantes.

Est-ce que l’Inde a plutôt vocation à rallier la Chine et la Russie contre l’Occident, ou s’arrimer aux Etats-Unis, ou encore créer une troisième voie ?

C’est une question débattue en Inde. Le rapprochement sino-russe, et la guerre en Ukraine, incitent certains à plaider pour une poursuite du rapprochement avec les Etats-Unis. La ligne officielle, c’est que l’Inde choisit selon ses propres intérêts, selon une logique de pure realpolitik. Ses discours peuvent être parfois anti-européens. La BBC a été censurée en Inde après un documentaire sur le rôle de Modi pendant les émeutes du Gujarat en 2002. Le ministre des Affaires étrangères a réitéré en mars dernier qu’il n’avait pas de leçons à recevoir des Occidentaux sur ce que sont les valeurs universelles. L’anti-occidentalisme vise surtout à rejeter les attaques en illibéralisme. Mais sur le plan militaire, il n’y a aucun traité d’alliance ni avec la Russie et la Chine, ni avec les Etats-Unis, mais des accords existent bien pour des coordinations militaires entre l’Inde et les Etats-Unis. Et la part de la Russie dans les ventes d’armes à l’Inde, premier importateur mondial, est en train de baisser au profit des Occidentaux.

Les Occidentaux ont-ils intérêt à courtiser l’Inde pour essayer de l’arrimer ?

C’est clairement la stratégie américaine. Quand il y a eu des tensions sur l’Ukraine, en raison des abstentions répétées de l’Inde à l’ONU notamment, Joe Biden a fait part de son agacement, mais le Département d’État a fait savoir que les Etats-Unis comprenaient les liens historiques de l’Inde avec la Russie. Les Américains, dans le même temps, multiplient les visites. Les contacts sont nombreux. L’Inde reste perçue comme l’un des États capables de rééquilibrer la montée en puissance de la Chine. En définitive, l’Inde a le potentiel d’être un acteur majeur, mais elle ne joue pas encore dans la même catégorie que son grand voisin chinois. 

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