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L’affaire GameStop est-elle la Révolution française de l’industrie de la finance ? 
©Michael M. Santiago / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Réaction nobiliaire

De petits acteurs ont fait de grosses frayeurs aux acteurs traditionnels de la finance en faisant monter l’action de GameStop. Si les premières réactions sont épidermiques, un mouvement de société est peut-être en train de se former.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico.fr : Les marchés financiers ont été affolés par la montée en valeurs des actions GameStop, que s’est-il passé ?

Mathieu Mucherie : Le mécanisme est assez connu : c’est du « short short » si on peut le dire ainsi. Cela touche des fonds spécialisés qui jouent avec les titres à la baisse. Ils ont d’ailleurs leur utilité sur le marché car on ne peut pas avoir que des acteurs qui jouent à la hausse notamment pour sanctionner les entreprises qui se moquent du monde ou manipulent leurs chiffres. Donc ces fonds « short » ont des stratégies qui appuient sur des leviers : elles passent par l’endettement et gagnent lorsque l’action baisse. Ces gens là ont tendance à chasser en meute. Ayant peut-être abusé de cette stratégie sur Tesla, qui a été l’action la plus shortée de l’histoire et s’en est très bien sorti, ils se sont reportés sur d’autres thématiques. Sauf qu’Elon Musk a cherché à se venger. Or désormais il fait la pluie et le beau temps sur les marchés. Par ailleurs il y a des gens qui veulent se débarrasser des fonds « short ». Donc il y a des individus, souvent amateurs, sur des plateformes spécialisées, qui, se sentant appuyés, se mettent à s’agréger pour faire monter les titres qui sont les plus shortés. Par exemple GameStop qui était visé par plusieurs fonds. Il y a eu une agrégation pour les contrer et les dépouiller avec ce qu’on appelle du « short squeeze ». Cela peut arriver assez vite puisque cela repose sur un effet de levier qui peut jouer beaucoup contre celui qui l’utilise quand il ne marche pas. Je trouve cela relativement sain. Il y a des excès, du panurgisme, donc tout n’est pas bien, mais certains de ces fonds méritent un peu ce qui leur arrive. Tarir les liquidités pour faire exploser un titre à la hausse ou à la baisse, ça a toujours été fait. Ce fut le cas dans l’affaire Volkswagen/Porsche en octobre 2008 par exemple. Aujourd’hui, ça se passe de manière plus collaborative, sur des plateformes ou des réseaux sociaux comme Reddit ou Robinhood.

Ce genre d’action peut-il annoncer un changement d’ampleur du monde de la finance ?

On est peut-être au début de quelque chose qui ressemble à un mouvement de société. Il y a des acteurs nouveaux, qui ne vont pas revenir sur les titres d’assurance ou de fonds de pension après avoir pris une telle adrénaline. Ces gens ont vu monter ou baisser des actions de 300 % par jour. Parmi eux, il y a des amateurs éclairés, des justiciers et des opportunistes ! On verra si ce genre de coalition tient dans le temps ou si c’est un fusil à un coup. J’ai l’impression que c’est le début de quelque chose mais il faudra voir jusqu’où cela va. Selon moi, la méritocratie se porte très mal en Occident, les plus âgés s’accrochent au pouvoir et vivent de plus en plus longtemps et les jeunes, même très qualifiés, ont du mal à trouver du travail. Donc ma théorie, c’est que si vous avez trente ans, un peu d’argent mais pas assez pour acheter de l’immobilier, que vous n’avez pas envie d’aller sur l’obligataire parce qu’il ne rapporte rien, ni sur les private equity qui sont pour les riches, il ne vous reste pas grand-chose pour vous amuser. On vous propose des plateformes avec des frais de gestion minimaux qui permettent d’accéder à du trading pour 30 euros. Si en plus vous vous y amusez beaucoup et avez l’impression de pouvoir y gagner de l’argent voire de faire le bien, c’est très attrayant. Cela fait au passage la fortune de ceux qui fournissent les armes à ces nouveaux venus. Alors peut être que « ces passions violentes auront des fins violentes » mais, en attendant la purge, je pense que cela va se diffuser. C’est déjà le cas d’un point de vue numérique, avec des petites mises, mais quand 300.000 personnes s’y mettent ça peut suffire pour déstabiliser. Ce qui me fait dire aussi que cela pourrait amener du changement, c’est la peur panique de certains professionnels. Ils ont une réaction que je qualifierai de nobiliaire car c’est très embêtant pour leur crédibilité et leur légitimité.

Vous parlez de réaction nobiliaire, qu’est-ce que cela veut dire et à quel genre de réactions doit-on concrètement s’attendre de la part des acteurs traditionnels du marché ?

Le terme d’élu est vraiment adapté. Certaines composantes des professions financières ont besoin de rationnaliser le fait qu’ils gagnent beaucoup d’argent. Dans la finance, on gagne plus que la moyenne et la médiane, voire beaucoup plus. Et il est insupportable de penser que le succès financier est dû à la chance. Donc pour rationnaliser le fait de gagner 500.000 dollars par an en appuyant sur des boutons, sans faire gagner beaucoup d’argent à son institution, il y a différentes techniques. L’une d’elles est de dire que c’est une profession assez aristocratique parce qu’elle demande un gros bagage de connaissances. Mais il en faut beaucoup plus pour être un vrai champion d’échecs. La théorie financière peut se résumer en quelques heures de cours. Les instruments, eux, ne sont pas très intuitifs mais avec une formation ou un bon stage, cela peut suffire. Donc les Robinhood trader, les Reddit, nous disent qu’il n’y a peut-être pas besoin d’avoir fait cinq ans de finance à Harvard pour bien gagner sa vie. Cela est très gênant pour les professionnels parce qu’on réalise qu’ils sont plus substituables qu’on ne le pensait, que le ticket d’entrée pour faire du trading n’est peut-être pas si élevé que ça et que l’on n’a pas besoin d’une grosse infrastructure pour le faire. Donc cela accroit le problème de légitimité du monde de la finance. D’un côté les trackers ETF tuent la légitimité d’une partie des investisseurs en montrant qu’il est possible de dupliquer les indices pour quelques euros : c’est la délégitimation des gérants par le bas. De l’autre côté, il y a aussi une délégitimation par le haut avec les stock pickers. Et désormais il y a une nouvelle source de délégitimation par les nouveaux venus. On verra s’ils finissent par s’installer dans le temps et selon quel rapport rendements/risques. Avec un peu de chance, cela va forcer l’investisseur traditionnel, après une première réaction nobiliaire, à s’adapter : perdre de sa morgue aristocratique et traiter le grand public de façon différente et ne pas lui parler comme s’il était complètement stupide, avec plus de pédagogie. Cela permettra aussi, peut-être, une baisse des frais. Il est évident qu’il va y avoir des tentatives de régulation pour empêcher ce genre de coalition parce que cela déplait à un certain nombre de gens. Cela pourrait aussi intéresser les régulateurs et banquiers centraux. J’espère que les acteurs traditionnels ne vont pas essayer de pousser à interdire toutes les discussions relatives aux sujets financiers sur les plateformes pour éviter qu’ils s’allient. La réaction nobiliaire est hors sujet et la réaction règlementaire serait corporatiste et de mauvais aloi. La bonne chose à faire serait de se demander ce qu’on peut en retenir et ce que cela dit des insuffisances des investisseurs mais aussi de la société. Si des gens veulent du 7% par jour là ou les investisseurs traditionnels cherchent du 7% par an, cela pose question. Ils ont peut-être une préférence pour le présent trop forte, mais la question demeure : pourquoi ? Cela nous dit peut-être qu’il faut rétablir des choses comme la participation pour que le jeune ait une perspective salariale et de revenu plutôt que de se laisser entraîner dans une course au profit très incertaine. Il faut en définitive, leur proposer un projet de société.

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