Inutile de renoncer à des services publics pour payer moins d'impôts, ce qu'il faut c'est un meilleur management de la fonction publique<!-- --> | Atlantico.fr
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Beaucoup de Français seraient prêts à renoncer à des services publics pour payer moins d’impôts.
Beaucoup de Français seraient prêts à renoncer à des services publics pour payer moins d’impôts.
©Reuters

Bonne nouvelle

Les Français seraient plus de 60 % à se dire prêts à renoncer à des services publics pour payer moins d’impôts (enquête BVA-Institut Paul Delouvrier). Mais envisager la question sous cet angle est une erreur, puisque cela revient à dire que lesdits services sont bien gérés et qu'ils pâtiraient forcément d'une baisse de financement.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Un récent sondage d’opinion a jeté les bases de la nouvelle communication gouvernementale: beaucoup de Français seraient prêts à renoncer à des services publics pour payer moins d’impôts. L’affirmation vaut d’être bien pesée : elle nourrit l’idée que les services publics sont bien gérés et que, pour diminuer les impôts, la seule solution consiste à supprimer des services rendus aux citoyens.

Cette équation est une aubaine pour les fonctionnaires: elle évite de pointer du doigt la gabegie dans les dépenses publiques. C’est probablement le principal cheval de bataille de la technostructure publique aujourd’hui: éviter à tout prix que le contribuable ou ses représentants ne mettent le nez dans les petits arrangements entre amis et alliés qui prospèrent depuis plusieurs années à l’abri des regards. Que des réductions de dépenses soient inévitables, certes! Mais les fonctionnaires font tout pour qu’elles les épargnent, et qu’elles ne nuisent qu’aux contribuables eux-mêmes.

C’est probablement le paradoxe de la politique gouvernementale : sous couvert de diminuer les dépenses publiques, se prépare une préservation du périmètre des administrations existantes, et une diminution des services rendus aux citoyens. Pour maîtriser les dépenses, on garde la Mercedes, mais on diminue les kilomètres parcourus, là où il faudrait tout simplement changer de véhicule et de moteur.

Lors de ses vœux aux fonctionnaires, à Metz, Jean-Marc Ayrault l’a d’ailleurs revendiqué avec un aplomb totalement stupéfiant: « Pourquoi voulez-vous que les économies se fassent sur le dos des fonctionnaires ? », a-t-il déclaré aux journalistes. Forcément, si les économies ne se font pas sur le dos des fonctionnaires, elles se feront sur le dos des contribuables...

La caricature de cette lutte becs et ongles pour préserver des rentes de situation est probablement donnée par les douanes. Le 21 janvier, les douaniers sont descendus dans les rues un peu partout en France pour protester contre les réductions d’effectifs dans les services d’ici à 2018. Il faut pourtant rappeler quelques réalités simples. En 1950, la France comptait 15.000 douaniers. En 2014, alors que les frontières directes avec la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, ont disparu, la France compte 17.000 douaniers. Comment expliquer que les effectifs de la douane augmentent alors que les frontières diminuent?

Les douaniers aiment à répéter, pour justifier cette évolution aberrante, que les missions ont changé, que l’activité à augmenté, et autres fariboles qui sont autant de nuages de fumée pour égarer le citoyen. Là encore, un exemple simple suffit à montrer la folie des résistances farouches dans l’administration. La Normandie compte deux régions (la Basse-Normandie dont le chef-lieu est Caen, et la Haute-Normandie dont le chef-lieu est Rouen), mais... trois directions régionales de la Douane (Caen, Rouen et Le Havre), alors que le seul contact de la Normandie avec l’étranger se fait par la mer. Qui peut encore justifier ce genre d’aberrations ?

Il est évident qu’un programme visant à ramener les effectifs de la Douane française au volume existant il y a cinquante ans, époque où tout véhicule sortant de France était arrêté et contrôlé, permettrait une diminution de la masse salariale de 15 % dans cette direction très grassement rémunérée, sans qu’aucun Français ne s’en aperçoive. Mais, pour rendre cet arbitrage élémentaire, il faudrait que les ministres aient encore une quelconque autorité sur les départements qu’ils dirigent, et qu’ils soient décidés à en faire usage.

Dans cet ordre d’idée, les fonctionnaires savent tous qu’aucun département ministériel n’échappe à ces petits arrangements. Mais comme à la glorieuse époque de Dominique Strauss-Kahn où pas un journaliste ne parlait des dangereuses déviances du personnage, pas un fonctionnaire aujourd’hui ne se décide à mettre sur la place publique les dysfonctionnements connus de chacun.

Pourtant, certains sont accablants. Par exemple, en 2014, le ministère de l’Education Nationale ouvre 75 postes aux concours externes de philosophie, et 275 postes en lettres classiques. Dans le même temps, l’inspection de philosophie plaide pour l’extension de la philosophie à la classe de première, parce que les sureffectifs sont tels qu’on ne parvient plus à les écouler devant les classes de terminale. En lettres classiques, les effectifs inscrits au lycée sont également confidentiels, et le ministère se garde bien de les communiquer. Mais il est de notoriété publique que les cours de latin ou de grec se donnent souvent devant des classes de moins de 10 élèves.

Pourquoi maintenir des concours pléthoriques chaque année dans ces filières ? Parce que l’existence de ces enseignements dans certaines universités de province en dépend. L’enseignement de la philosophie dans des universités comme Caen, des lettres classiques dans des universités comme Reims, doit sa survie aux débouchés offerts par les concours nationaux du second degré. C’est pour cette raison que ces options sont artificiellement maintenues en vie dans les lycées: il ne s’agit pas de mieux former les élèves, mais de protéger le fromage d’universitaires influents qui veulent garder leur pré carré local.

Lorsque Vincent Peillon prétend sauver l’enseignement en France en ouvrant 60.000 emplois aux concours, il commet une imposture scandaleuse au regard de l’avenir de nos enfants. L’enjeu ne consiste en effet pas à mettre les emplois en adéquation avec les besoins effectifs des élèves, mais plutôt à préserver des filières d’emplois publics qui bloquent l’évolution de l’offre éducative depuis des années. Les principaux bénéficiaires de cette politique ne sont pas les citoyens (en l’espèce les élèves), mais les fonctionnaires (en l’espèce des universitaires qui voient leurs emplois protégés de cette façon).

Ces quelques exemples montrent qu’il serait tout à fait possible de diminuer les dépenses publiques dans de fortes proportions sans toucher à la qualité du service rendu aux citoyens. Mais, pour y arriver, il faudrait que l’administration soit "managée". Et cela, c’est un gros mot pour les hauts fonctionnaires.

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