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Le président américain Joe Biden prononce une allocution aux côtés de la vice-présidente Kamala Harris à la Maison Blanche le 24 juin 2021 à Washington.
Le président américain Joe Biden prononce une allocution aux côtés de la vice-présidente Kamala Harris à la Maison Blanche le 24 juin 2021 à Washington.
©KEVIN DIETSCH / GETTY IMAGES AMÉRIQUE DU NORD / GETTY IMAGES VIA AFP

Signaux contradictoires

Les flux migratoires à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis sont repartis très fortement à la hausse. Le mur souhaité par Donald Trump ne les avait pas stoppés mais la politique migratoire de Joe Biden semble les alimenter.

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico : Les premières données du mandat de Joe Biden semblent indiquer une reprise des flux migratoires illégaux à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Kamala Harris s’est voulue ferme lors d’un déplacement à la frontière, rompant avec une relative bienveillance depuis le début du mandat. Quels effets ont ces signaux contradictoires ?

Arnaud Lachaize : Il est certain que les mouvements migratoires sont très sensibles aux signaux qui sont envoyés aux candidats à l’immigration. Pour prendre le contre-pied de Trump, Biden a fait de l’immigration le marqueur de son début de mandat. Son premier acte après son élection fut de déposer un projet de loi facilitant les régularisations de 11 millions de sans-papiers, la délivrance de visas et l’accès à la citoyenneté. Le mot « étranger » devrait disparaître de la loi pour être remplacé par le terme de “non-citoyen”, afin de “mieux refléter les valeurs du président sur l’immigration” selon l’un de ses conseillers. Le nombre de visas accordés annuellement aux migrants dans le cadre du programme Diversity Visa passerait de 55 000 à 80 000. C’est un grand classique. Quand les politiques dits progressistes prennent le pouvoir, ils veulent se distinguer de leurs prédécesseurs en se montrant ouverts et généreux sur l’immigration. Puis, face aux conséquences de leurs décisions, ils reviennent en arrière et jouent la fermeté. On connaît cela en France chaque fois que les socialistes arrivent au pouvoir, en 1981, en 1997 comme en 2012. Ils ouvrent la porte puis tentent en vain de la refermer. Idem en Espagne, en Allemagne.  Les questions d’immigration sont prises en otage des postures politiciennes. Mais quand les dirigeants reviennent en arrière, il est trop tard, le mouvement est enclenché.

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Donald Trump, au-delà du mur qu’il souhaitait construire, tenait un discours très ferme sur l’immigration. Le fait de montrer ostensiblement une position peu amène est-il de nature à décourager, au moins en partie, ceux qui voudraient émigrer clandestinement ? A-t-on d’autres exemples à travers le monde (par exemple au Danemark en 2015) ?

La jeunesse des pays du Sud connaît souvent des situations de désœuvrement et de paupérisation avec des taux de chômage dépassant les 60% des jeunes. Songeons que la richesse moyenne d’un habitant du Niger est 100 fois inférieure à celle d’un habitant de l’Europe occidentale ! A cela s’ajoute les contraintes familiales, l’instabilité et les conflits armés, le rôle dévastateur des filières criminelles qui sont à l’origine de 80% des parcours d’immigration illégale. Dès lors, face à cette pression migratoire, les messages lancés par les pays de destination exercent un puissant effet sur le « rêve d’Amérique ou d’Europe ». Il est difficile de mesurer l’effet que produit un discours de fermeté. On peut simplement constater que lorsque les gouvernements montrent une volonté manifeste de maîtrise de l’immigration les flux migratoires se stabilisent – sans pour autant diminuer. Ce fut le cas pendant le mandat de Trump mais aussi en France, de 2002 à 2012, où les statistiques des « premiers titres de séjour délivrés » se sont maintenues autour de 180 000 par an. Sous le gouvernement Jospin entre 1997 et 2002, l’augmentation fut continue sous l’effet de la hausse de l’immigration clandestine suivie de régularisations. Dès 2012 et le retour au pouvoir de la gauche, le mouvement haussier a repris fortement (nous étions à 260 000 en 2019).  Il ne fait aucun doute que le discours favorable à l’accueil, les signaux de relâchement et de laisser-aller face à l’immigration clandestine suivie de régularisations qui ne disent pas toujours leur nom, entraînent toujours des mouvements qui peuvent être considérables et sur lesquels il est très difficile de revenir.   

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En matière de régulation de l’immigration clandestine, le discours est-il plus important que les actes eux-mêmes ?

Sans doute. En 2005, l’annonce d’une régularisation massive en Espagne avait déclenché un phénomène migratoire massif en Afrique. Des centaines de milliers de personnes s’étaient mises en route au péril de leur vie avant de se heurter aux barrières de Ceuta et Melilla. Plus récemment, en 2015, le geste de Mme Merkel se posant en « mère des réfugiés » avait contribué à amplifier la vague massive d’arrivées de demandeurs d’asile en Allemagne dont le nombre fut évalué à un million. Les messages d’ouverture lancés par les dirigeants des pays riches font ainsi l’effet d’une étincelle sur un baril de poudre. Mais ensuite, ces mêmes dirigeants, à l’image de l’Administration Biden, paniquent devant l’effet produit par leurs paroles. Les signaux lancés aux habitants des pays d’origine déclenchent à chaque fois de faux espoirs et des catastrophes dont les premières victimes sont ceux qui les ont crus. Ne pas les avoir anticipés malgré l’expérience mille fois prouvée est un signe patent d’irresponsabilité de la part des dirigeants qui tentent d’utiliser l’immigration pour soigner leur image.

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