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Gâchis alimentaire : pour qu'un aliment soit considéré comme "bon", doit-il nécessairement être beau ?
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Miam

Une campagne de sensibilisation contre le gâchis a été lancée pour sensibiliser au gaspillage alimentaire. Un curry géant a d'ailleurs été organisé à Paris composé de légumes qui n'étaient pas commercialisables faute d'esthétisme.

Jean-Pierre Corbeau

Jean-Pierre Corbeau

Jean-Pierre Corbeau est Professeur de Sociologie de la consommation et de l’alimentation à l’Université de Tours où il est responsable de la licence professionnelle de « Commercialisation des vins ».

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Atlantico :  Notre alimentation est-elle essentiellement régie par l'esthétisme?

Jean-Pierre Corbeau : Je ne pense pas qu'aujourd'hui notre alimentation soit gérée essentiellement par l'esthétisme.  A moins que l'on considère le packaging de produits transformés comme forme d'esthétisme et que l'on affirme qu'il est déterminant dans l'acte d'achat (ce qui ne se vérifie pas dans les enquêtes menées à ce sujet). Dans votre exemple vous faites référence à des produits basiques végétaux. Le consommateur ou la consommatrice vont donc se les approprier (surtout les légumes, à travers un acte culinaire : l'épluchage et la cuisson). L'imperfection d'un légume disparaîtra à la cuisson, par contre l'épluchage risque d'être plus long et des consommateurs ont tendances à choisir le légume  qui leur paraît le plus rapide à préparer (sans tache, sans grosses différences de niveau pour l'éplucheur, etc.)  Ceci étant, à contrario, des personnes qui désirent des produits sains, voire bio, (dans la cadre d'une forme de distribution particulière, le marché, le magasin spécialisé bio, les AMAP, etc. et non dans la grande distribution perçue, même à travers des produits bio, comme imbriquée dans la mondialisation et la standardisation) interprètent les « défauts » du légume ou du fruit comme un signe de qualité.

On arrive alors à une sorte de paradoxe, les légumes ou les fruits les moins chers (ceux dont on a du mal à connaître l'histoire - provenance, type de production, type de conservation, etc.) qui ne possèdent pas de signe de qualité particulier sont ceux qui doivent- esthétiquement être irréprochables. Ceci est particulièrement  vrai pour les fruits (qui ne subissent qu'accessoirement un acte culinaire de cuisson -compote, tarte, clafoutis, etc.) et dont le visuel est le seul critère de construction de la confiance du consommateur (particulièrement si celui-ci n'est pas dans une logique d'action culinaire ou de suspicion au moment de leur incorporation et du risque en terme de santé pour un avenir plus ou moins lointain (phyto, OGM, etc.).

Selon des trajectoires différentes de consommateurs on saisit que le prix, la santé, la praticité, le plaisir gustatif espéré, constituent les éléments d'un système où l'esthétisme est présent avec un  rôle variable le plaçant entre la première place pour des achats quasi pulsionnels ou en dernière si la confiance existe et que le produit perçu sain est totalement identifiable.

Faut-il réhabituer les personnes à manger bon et non beau ? Ou au contraire les deux sont intimement liés (l'importance du visuel dans le goût) ?

Je pense qu'il faut habituer les gens à manger bon et à être acteurs de cette alimentation en participant à la réalisation de celle-ci. Le beau devient alors le problème de la présentation et de la dimension ludique qui risque de l'accompagner. Une compote avec des épices particulières ou des fruits différents se métissent dans une vérine peut être très belle même si les bananes, les pommes, les poires, les mangues, les abricots, les prunes qui la composent étaient des fruits parfois éclatés ou abimés pour partie.

N'est-ce pas hypocrite de vouloir lutter contre ce gaspillage alors que tout le monde recherche toujours le fruit ou le légume le plus visuellement appétissant ?

Je pense avoir montré que tout le monde ne cherche pas le visuel. Concernant le gaspillage il est très important dans les restaurations collectives sociales où, là, un effort, particulièrement dans la restauration hospitalière et celle des personnes âgées devrait être fait pour rendre le met attrayant  (la restauration scolaire, même si cela est inégal, a fait de gros progrès.)

Plus largement, qu'est-ce que cette obsession de l'esthétisme alimentaire révèle sur notre société ? Pourquoi, par exemple, prenons nous de plus en plus en photo nos aliments ?

Il est sûr (au-delà de ma démonstration initiale) que l'esthétisation de la nourriture est une dynamique forte dans notre société. Ce qui est intéressant, c'est qu'au-delà de la consommation assez passive d'images (de livres de recettes, de pubs, etc.) beaucoup de cuisiniers amateurs photographient leurs réalisations (cela peut aller jusqu'au blog) ce qui est un moyen -inconscient le plus souvent- d'exister socialement, de trouver une reconnaissance chez l'autre qui n'a pas pu partager l'aliment mais se contente de son signe. Cela est vrai aussi des personnes qui, copiant un  peu les asiatiques, photographient le plat qu'on leur apporte au restaurant ou chez des amis pour que cette "Madeleine" espérée trouve un support visuel -quasi éternel- lorsqu'on l'évoquera ultérieurement.

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