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Finkielkraut dans le viseur de la police de la pensée : faut-il se résoudre à accepter que l'idée même de "Français de souche" soit interdite en France ?
©Reuters

Totalitarisme moral

Deux membres du Conseil National du Parti Socialiste ont saisi le CSA au motif que le philosophe Alain Finkielkraut a employé sur le plateau de l'émission Des Paroles et des Actes l'expression "Français de souche". Si le mot est interdit, il reste à savoir comment décrire ce qui continue d'exister dans les faits.

Atlantico : Mehdi Ouraoui et Naima Charai, respectivement ancien directeur de cabinet d'Harlem Désir et présidente de l'Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l'Egalité des Chances, ont récemment saisi le CSA au motif que le philosophe Alain Finkelkraut aurait utilisé l'expression "Français de souche" lors de l'émission "Des paroles et des actes", diffusée le 6 février sur France 2. Faut-il y voir un cas flagrant de la bien-pensance qui caractérise l’intelligentsia de gauche ? Cette police de la pensée est-elle plus présente que jamais ?

Denis Tillinac : Nous assistons à un cas flagrant de bien-pensance, qui frôle la pathologie, et qui vise diaboliser un écrivain et philosophe qui fait honneur aux lettres françaises. Cette manière de penser tourne à l’hystérie parce que les Français, de plus en plus, revendiquent le respect de leur mémoire et de leur identité. C'est une posture à la fois idéologique et hystérique qui ne peut aboutir qu'à un surcroit d'agressivité à l'intérieur du corps social. Ainsi les minorités seront les victimes.

Michel Maffesoli : Les joutes verbales entre Alain Finkelkraut, maintenant tenant d’une conception assimilassioniste de l’identité française et ceux qui au contraire prônent un égalitarisme total et un gommage des origines promet encore de bons moments. Elles sont pourtant, d’un côté comme de l’autre, des témoignages d’une incapacité à penser la postmodernité et les formes nouvelles que prend le vivre ensemble.

Alain Finkelkraut se cramponne à un modèle de République une et indivisible, dans laquelle les individus sont désaffiliés de tout lien communautaire et reliés par un contrat social abstrait et homogénéisant ; les défenseurs d’une République “Black, blanc, beur” quant à eux interdisent pareillement toute référence communautaire, et particulièrement celle qui différencierait les personnes en fonction du délai depuis lequel leurs ascendants vivent sur le sol français.

On se retrouve ainsi à l’époque de la “composition française” de Mona Ozouf, dans laquelle l’histoire et la littérature enseignées aux enfants interdisaient tout régionalisme, tout emploi d’une langue locale et toute référence à la province. Mona Ozouf dans ce beau livre constate d’ailleurs, que lorsqu’elle fut au parti communiste, le même type de censure lui était appliqué, qui lui interdisait les “romans bourgeois”, Proust par exemple (interdit qu’elle transgressa bien sûr).

La police des mots est toujours une police de la pensée et l’interdiction de l’expression et de la pensée libre dérivent toujours en totalitarisme, doux ou sanguinaire.

Le débat pourtant entre ceux qui chantent les louanges de l’immigration et de l’arrivée de communautés aux valeurs et coutumes différentes et ceux qui souhaitent que l’accueil en France signifie l’oubli des mythes et rites de son enfance n’est pas anecdotique. Il recouvre le jeu de valeurs contraires, toujours présentes, en mineur et en majeur, dans toute civilisation : sédentarité et nomadisme, traditionalisme et modernisme, ancrage dans l’archaïque et progressisme débridé.

Les civilisations se sont construites en relativisant certaines valeurs par rapport à d’autres, mais les cycles se succèdent.

Il me semble que la postmodernité est une époque paradoxale, dans laquelle coexistent des valeurs pour part contradictoires : le nomadisme est plutôt de règle, dans les relations de travail, l’habitat, les relations familiales, mais l’intérêt pour des valeurs traditionnelles et un imaginaire archaïque (premier) est également présent. L’intérêt pour les médecines et les techniques de bien-être traditionnelles comme tout ce qui signe un réenchantement du monde en témoigne.

Si bien que ce combat de mots témoigne d’un côté comme de l’autre d’une idéologie identitaire dépassée : on peut être de nos jours “Français de souche immigrée”, Fils de Harki et Breton, Africain et Parisien etc. De même qu’on peut, n’en déplaise à Alain Finkielkraut parler une très belle langue française en ayant été élevé dans l’hémisphère Sud et n’en déplaise à nos défenseurs des immigrés opprimés, Français de fraiche date et partisan de la porte fermée après son entrée. Mais surtout, hormis ceux qui en font un usage idéologique et partisan, ces identités, ou plutôt ces identifications sont multiples et changeantes.

Oui ces échanges à propos des qualifications sont bien caractéristiques de la bien-pensance actuelle, de l’intelligentsia de gauche comme d’une rigidité républicaniste de droite et de gauche.

La gauche morale croit-elle sincèrement qu’en condamnant l’emploi de l’expression "Français de souche", cela permettra de lutter plus efficacement contre la xénophobie et la tentation du repli identitaire ? Gommer un mot, cela ne revient-il pas à l’abandonner aux extrémistes de tout poil, et à éviter tout débat ?

Michel Maffesoli : L’interdiction d’expression, de pensée, la volonté d’éradiquer les fantasmes “incorrects” et d’éliminer le mal ne peut qu’aboutir au totalistarisme. La xénophobie et le repli identitaire sont effectivement des réactions de peur qu’une telle interdiction ne peut que renforcer.

Il est normal que dans des périodes de grand changement de valeurs, de bouleversement même de l’imaginaire collectif il y ait des réactions de peur et de repli. Mais il faut bien savoir que le changement à l’oeuvre est le passage du monothéisme quel qu’il soit (chrétien, juif, islamiste, marxiste, progressiste) à un polythéisme des valeurs.

Dès lors le monothéisme socialiste ne peut que renforcer le monothéisme conservateur et xénophobe. Ce n’est qu’en admettant que toutes les appartenances communautaires et toutes les attaches ont valeur (et non pas se valent) qu’on combattra la xénophobie et non pas en prônant une pureté républicaine libérée de tout ancrage de proximité.  

Denis Tillinac : La gauche morale ne croit plus à rien, elle est dans le déni le plus nihiliste des réalités qui ont fabriqué un peuple au long de son histoire. On se retrouve à chaque fois dans la logique d'interdire un débat sur l'identité nationale. C'était le titre du livre de Finkielkraut, d'ailleurs. Le fait même qu'il ait utilisé ce mot dans son titre est considéré comme répréhensible. Avoir une identité, si on n'est pas marginal ou immigré, est considéré comme un péché. On est revenu à la démonologie du Moyen-âge.

Si l’expression "Français de souche" n’est plus tolérée, comment alors nommer les personnes qui s’y rattachent ? Ne plus utiliser le mot est une chose, mais comment désigner la réalité qui, elle, continue d'exister ? A nier l’origine et l’identité des gens (ce qui semble être l’ambition du PS), quels risques prend-on ?

Denis Tillinac : Non seulement l'expression n'est plus tolérée, mais elle est, de surcroît, considérée comme méprisable, puisque j'ai moi-même été considéré par les Inrockuptibles comme "suintant" le Français de souche. Alors que c'est une expression parfaitement normale pour définir les 85 % de Français qui ont une tombe de famille au plus près d'un de nos clochers : Bretons, Bourguignons, Franc-comtois, Provençaux, Gascons... Tous voient ainsi leur identité montrée du doigt. Je réponds d'ailleurs à ce type "d'injure" dans mon prochain livre, "Du bonheur d'être réac".

Leur démarche est cohérente avec la négation du genre sexuel, et plus largement avec la négation de toute altérité. L'idéologie sous-jacente consiste en une espèce de cosmopolitisme qui ferait que des individus" hors-sol" se trimbaleraient dans une espèce "d'open field" mondial. C'est la mondialisation idéologique poussée à l'extrême, par des gens qui, paradoxalement, la dénoncent dans ce qu'elle a d'économique et de positif. La société qui en découlerait serait "Le Meilleur des mondes" d'Aldous Huxley, un totalitarisme intégral, l'homme vraiment socialisé.

Michel Maffesoli : Comme je l’ai dit plus haut, croire qu’il existerait une identité “naturelle” ou historique qui permettrait de qualifier les personnes et d’en déduire leurs valeurs, leurs croyances, leurs coutumes et leurs modes de pensée est dépassé. De plus en plus les mondes et les conceptions du monde (Weltanschauung) auxquels chacun se rattache sont multiples, changeants et largement imaginaires. Ce sont en quelque sorte les enracinements dans une société de plus en plus mobile, changeante. Des enracinements successifs, ce qui d'une certaine manière décrit un enracinement dynamique collectif. Il nous faut maintenant prendre acte de cette diversité et de cette mobilité des identifications et des affiliations collectives. Elles peuvent être éphémères, changeantes, et sont largement émotionnelles et électives.

Dès lors, se caractériser comme Français de souche ne devrait pas être considéré avec plus de sérieux que de revendiquer une origine “métis”, “provinciale”, un attachement cosmopolite ou au contraire un enracinement paysan.

D’une certaine manière, plutôt que d’interdire l’emploi de ces qualificatifs, il faudrait les promouvoir, en organiser la confrontation : de la même manière que dans un  bal de préfecture on pouvait distinguer, à leurs costumes, les différentes strates de la société de province, les nobles, les propriétaires terriens, les gros commerçants, les entrepreneurs, les fonctionnaires, les curés et autres rabbins et pasteurs, aujourd’hui, dans le métro, dans les supermarchés, sur les places des villes, bref dans les lieux qui rassemblent les foules, on distinguera à leur langue, leur costume, leur look, leur “style-genre”, leur attitude ceux qui appartiennent à ce moment-là aux diverses communautés postmodernes.

Refuser ces affinités électives communautaires pour prôner un républicanisme rigide risque au contraire d‘exacerber les conflits. En ce sens déférer quelqu’un au juge pour l’emploi d’un mot renvoyant à une identité, c’est à la fois accorder à celle-ci une importance démesurée et jeter de l’huile sur le feu d’une régulation des tribus urbaines qui doit s’éprouver peu à peu et consensuellement (cumsensu).

Quels régimes politiques  ont déjà pratiqué cette stratégie de la suppression des mots, et avec quelles conséquences ?

Denis Tillinac : Il ne faut pas chercher très loin, les staliniens et les nazis ont pratiqué ce refus totalitaire de l'altérité. Le but est de fabriquer un individu privé de repaires, livré tel un esclave à la machine étatique, avec sa police, sa justice, sa télévision... C'est un projet dont on peut dire qu'il est vraiment socialiste.

Michel Maffesoli : On connait tous nos classiques et l’on sait tous comment Hitler, Staline, Mao, PolPot etc. ont jeté au feu les livres interdits, retouché les photos, interdit l’emploi de certains mots. Il est plus intéressant de noter combien les hommes ont la mémoire courte, qui en voyant à l’époque les défilés en Chine n’ont pas su se rappeler qu’ils avaient vu de semblables images de l’Allemagne des années 30, qui en critiquant les manières d’être et de s’habiller de certains jeunes de banlieue, voire leur langage approximatif ne se souviennent pas des lazzis qui accompagnaient les immigrés d’Europe centrale à leur arrivée en France, qui ne se souviennent pas comment l’emploi d’un mot “honni” ou soudain indésirable envoyait des militants sincères au Goulag.

Le bannissement est une technique de maintien au pouvoir d’une tribu menacée : en ce sens Alain Finkelkraut, Mehdi Ouraoui et Naima Charai forment une belle alliance de notables.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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