Financement de la sécu : pourquoi l'équilibre 2017 affiché est 100% trompe l'œil<!-- --> | Atlantico.fr
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La question de l’équilibre des comptes de la sécurité sociale est dépourvue de sens. En effet, les comptes de la sécurité sociale sont trop intimement liés à ceux de l’État pour qu’il soit possible de déterminer où se situent les déficits.
La question de l’équilibre des comptes de la sécurité sociale est dépourvue de sens. En effet, les comptes de la sécurité sociale sont trop intimement liés à ceux de l’État pour qu’il soit possible de déterminer où se situent les déficits.
©Wikimédia

PLFSS 2017

Le PLFSS 2017 doit être soumis au vote des députés ce mercredi 2 novembre. Si la gestion du budget de la sécurité sociale s'est légèrement améliorée, la situation est loin d'être aussi radieuse que ne veut bien le croire l'exécutif.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Mercredi 2 novembre, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour le cru 2017 sera soumis au vote des députés. Le gouvernement a à plusieurs reprises mis en avant un retour à l'équilibre des comptes. Qu'en est-il réellement ? Les bilans des différents organismes de la Sécurité sociale laissent-ils effectivement apparaître une gestion saine ?

Jacques Bichot : La question de l’équilibre des comptes de la sécurité sociale est à peu près aussi dépourvue de sens que celle du sexe des anges. En effet, les comptes de la sécurité sociale sont trop intimement liés à ceux de l’État pour qu’il soit possible de déterminer où se situent les déficits. La sécurité sociale bénéficie d’énormes subventions, par exemple 7 Md€ pour les régimes de retraite spéciaux ; elle compte également sur le produit des ITAF, impôts et taxes qui lui sont affectés, comme la C3S, Contribution sociale de solidarité sur les sociétés, et la "contribution additionnelle" qui a été créée en 2004. Cerise sur le gâteau, il y a les retraites des fonctionnaires, dont le Conseil d’Orientation des retraites nous dit qu’elles ne sont pas nettement plus généreuses que celles du privé, mais qui ne sont financièrement équilibrées que grâce à des taux de cotisation employeur se montant à 126 % pour les militaires et 74 % pour les civils. Par rapport à un employeur ordinaire, le supplément de cotisations patronales versées par l’État dépasse 15 Md€, somme que le Trésor est bien en peine de payer si ce n’est en s’endettant.

Dans l’état actuel des rapports entre la sécurité sociale et l’État, ni le déficit de la sécurité sociale, ni celui de l’État, ne sont significatifs ; le budget de l’État et celui de la sécurité sociale sont des vases communicants ; seule la somme des deux déficits a un véritable sens. Et cela durera jusqu’à ce que ce que l’on appelle très justement l’État providence soit remplacé par de véritables assurances sociales, dotées d’une réelle autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics.

Pour apprécier si la gestion est saine, il faut se référer à d’autres indicateurs. Par exemple, la Cour des comptes relève globalement, depuis quelques années, une diminution des erreurs commises par les différentes caisses : c’est un progrès. En revanche, les errements du régime des indépendants ont été épouvantables, et ils sont hélas encore loin d’avoir disparu. 

Jean-Yves Archer : En premier lieu, il est assez surprenant de voir une ministre hisser le grand pavois alors que les chiffres appellent à une réflexion plus nuancée. Il est objectivement présomptueux de dire que l'on a " sauvé la Sécu " alors que l'analyse mérite d'être plus fine.

Si effectivement trois branches seront probablement à l'équilibre (famille, accidents du travail, retraite) en 2017, il n'en est rien pour ce qui concerne la branche maladie (déficit programmé de 2,6 mds d'euros) et pour le FSV : Fonds de solidarité vieillesse qui présentera un déficit d'au moins 3,8 milliards d'euros.

A ce stade, il faut se souvenir de la casse de la politique familiale qu'a conduite Madame Touraine (modulation des allocations en fonction des revenus et abandon du principe d'universalité) et ajouter qu'elle bénéficie dans "son" bilan de l'impact favorable de la réforme des retraites du gouvernement Fillon de 2013. Le nier serait naïveté ou goût pour la contrevérité.

Plus fondamentalement, il faut savoir que la Commission des comptes de la Sécurité sociale prévoit, pour l'exercice 2017, un déficit de 10,3 milliards.

La branche maladie étant alors déficitaire à hauteur de 8,3 mds là où Madame Touraine a avancé – sans détour – le chiffre de 2,6 mds. Une légère approximation dans un rapport de 1 à 3,5.... Drôle de sauvetage au parfum électoraliste.

De plus, l'annonce des 400 millions de déficit consolidé repose sur les hypothèses initiales du gouvernement pour 2016, autrement dit sur les fameux 1,5% de croissance longtemps maintenus (contre toute vraisemblance et avis du HCFP) et qui risque de se solder par un chiffre de 1,2% qui impactera défavorablement les recettes de la Sécurité sociale.

Vous me demandez si la " gestion est saine " alors qu'il ressort de textes émis par l'Etat que la réalité est loin du contenu des propos ministériels.

Pour parler clair, la gestion est en voie d'amélioration mais sera mise à mal par les perspectives de 2017 qui s'annonce comme une année difficile : il suffit de se reporter au tassement de croissance envisagé par l'OCDE et par la hausse du nombre de chômeurs (en 2017) d'ores et déjà annoncés par l'UNEDIC.

Comment évaluer alors la dette réelle de la Sécurité sociale ? Celle-ci se trouve-t-elle dans un meilleur état qu'au précédent quinquennat ?

Jean-Yves Archer : Avant d'aborder la question du régime général, je souhaite attirer l'attention de votre lectorat sur la croissance de la dette des hôpitaux. La Cour des comptes (dès son rapport du 11 Avril 2014) indiquait que la dette des hôpitaux publics a triplé en 10 ans pour atteindre près de 30 milliards (29,3 pour être précis).

Pour mémoire, les hôpitaux réalisent un chiffre d'affaires annuel de 77 mds ce qui invite le citoyen à réclamer à la Ministre le listing de la dette consolidée des établissements hospitaliers, emprunts toxiques inclus. Et leur calendrier d'exigibilité de remboursements.

Si sauver la Sécu, c'est étouffer l'hôpital, voilà une drôle de conception des exigences de la gestion publique. D'autant que le projet de développer les GHT (Groupements hospitaliers de territoire) sera porteur de moindres économies d'échelle qu'escompté. Seul l'essor de l'ambulatoire pourra être un puissant paramètre.

Un lien intéressant sur la situation : http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/dette-hopitaux-situation-critique-selon-cour-comptes-20140416.html

La gestion sociale du précédent quinquennat n'était pas plus satisfaisante. Tout le monde en convient, chiffres définitifs en mains.

Jacques Bichot : La dette de la sécurité sociale est principalement portée par la CADES, la Caisse d’amortissement de la dette sociale. Cet organisme fait bénéficier ses prêteurs d’une garantie totale de l’État, ce qui lui permet d’emprunter au même taux que le Trésor public. Mais c’est aussi le signe qu’il s’agit simplement d’une composante de la dette de l’État. En raison du méli-mélo qui est la règle entre la sécurité sociale et l’État, la notion de dette de la sécurité sociale n’a pas de consistance : il s’agit d’une fiction administrative et juridique, pas d’une réalité économique. 

Par ailleurs, que pensez-vous de l'idée de faire voter une loi portant sur la gestion d'un budget comme celui de la sécurité sociale ? A quelles dérives cela peut-il mener selon vous ?

Jacques Bichot : Faire voter par le législateur toutes les recettes et dépenses de la sécurité sociale, par exemple en incorporant l’ONDAM (Objectif national des dépenses d’assurance maladie) dans la LFSS, revient à confondre la loi et la gestion, le législatif et l’exécutif – et il ne s’agit même pas de l’exécutif au sens "pouvoirs publics", mais des gestionnaires de la sécurité sociale. Montesquieu doit se retourner dans sa tombe !

Le Parlement devrait travailler à définir les règles de fonctionnement de la sécurité sociale, par exemple en précisant son périmètre (peut-on continuer à prétendre que l’Agirc-Arrco est un organisme de sécurité sociale en droit européen mais pas en droit français ?), ou en unifiant nos retraites par répartition, stupidement divisées en 3 douzaines de régimes. En revanche, ce n’est ni à lui, ni au Ministre des Affaires sociales, de s’occuper de la tarification des médicaments ou des opérations chirurgicales. On voudrait déresponsabiliser les gestionnaires, ceux des caisses de sécurité sociale et ceux des établissements de santé ou médico-sociaux, qu’on ne saurait mieux faire. Pour gagner en efficacité et en humanité (ne séparons pas les deux !) il faut que les gestionnaires aient les coudées franches, et soient ensuite jugés sur leurs résultats. Remplaçons la LFSS par de véritables conseils d’administration, où des parlementaires spécialisés pourront siéger à côté d’autres personnes compétentes pour dispenser blâmes et félicitations, et la sécurité sociale se portera mieux !

Jean-Yves Archer : L'Etat est souverain dans sa gestion des dépenses sociales qui représentent plus de 800 mds dont 390 mds pour la Sécurité sociale. Le Parlement joue à la marge et ne dispose pas des informations en temps réel. Un exemple ? La gestion de l'Acoss (Agence centrale des organismes de Sécurité sociale). Du fait du QE de la BCE et des taux bas, l'Acoss présente depuis deux ans un résultat financier excédentaire (82 millions) tandis qu'elle a souscrit 25,3 milliards d'emprunts additionnels (ce que la Ministre omet de dire à l'opinion). 

Quand on voit comment l'Etat peut contourner la pression parlementaire (le vote de l'Ondam apporte-t-il sérieusement quelque chose ? Sanctions de son dépassement ?) On imagine mal un débat crédible sur l'ensemble des méandres qui constituent l'édifice complexe de la Sécurité sociale.

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