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L'Occident sera-t-il englouti 
par l'Asie ?
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Le soleil brille à l'Est

La fin de 500 ans de domination occidentale sur le monde ! C'est la thèse défendue par l'historien britannique et professeur à Harvard, Niall Ferguson, pour qui la crise financière de 2008 et la crise de la dette de 2011 ne sont que des symptômes d'un transfert de puissance économique de l'Ouest vers l'Est. Retour sur ses arguments, développés dans une présentation lors du Oslo Skagen Funds Event.

C'est un historien qui ne fait pas dans la dentelle. Tout britannique qu'il soit, Niall Ferguson est un habitué des thèses fracassantes et des controverses intellectuelles outre-atlantique (il enseigne à Harvard) . Dans son dernier livre paru en novembre dernier (Civilization. The West and the rest/ Civilisation, l'Occident et le reste), l'historien assène sa conviction que nous sommes en train de vivre la fin de "500 ans de domination occidentale". Et que la question qui nous pend au nez n'est pas celle d'un clash des civilisations, mais d'un affaissement de l'Occident, laminé par ses faiblesses intrinsèques et par ce qu'il perçoit comme étant l'irrésistible ascension de la Chine.

Ainsi pour Niall Ferguson, les deux crises enchaînées de 2008 et de 2011 ne seraient pas de simples cycles économiques mais le symptôme et l'accélérateur d'un changement radical de l'équilibre des puissances mondiales dont le centre de gravité semble dériver plus ou moins doucement de l'Occident vers l'Asie : les puissances économiques de demain ne seront plus les États-Unis et l'Europe mais bien la Chine et l'Inde. 

Proche des néo-conservateurs, M. Ferguson jouit du crédit que lui a apporté son livre paru au printemps 2008, L'irrésistible ascension de l'argent, de Babylone à Wall Street dans lequel il anticipait avec lucidité la crise financière qui allait se déclencher quelques mois plus tard.

Récapitulatif des arguments de l'historien tels que présentés lors d'une conférence au Oslo Skagen Funds Event.

En 1913, les richesses étaient clairement détenues par les pays colonisateurs (représentés en bleu sur le graphique ci-dessous). Ainsi, l'Autriche, la Belgique, la France, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, l'Espagne, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis regroupaient 61% du PIB (GDP en anglais) mondial, alors que les colonies n'en regroupaient que 18%. En superficie pourtant, les colonies (en rouge) représentaient 48% du territoire mondial et 31% de la population de la planète .

On s'aperçoit que dès 1500, le rapport était presque identique : les puissances occidentales représentaient 43% du PIB mondial (GDP).

Si on se concentre sur le PIB par habitant,  en 1600, on constate encore plus le déséquilibre entre les pays occidentaux et les autres. Les habitants de pays de l'ouest étaient beaucoup, beaucoup plus riches que ceux du reste du monde. A noter cependant un rattrapage grand V qui s'est enclenché au 20ème siècle. Le PIB par habitant de l'Inde qui ne représentait que 2% de celui du Royaume-Uni en 1600 a progressé jusqu'à 10% (en bleu sur le graphique ci-dessous). Même tendance pour celui des Etats-Unis rapportés à celui de la la Chine (en rouge).

Et ce rattrapage enclenché au 20ème siècle s'est fait proportionnellement plus vite pour les pays asiatiques que ce qu'avait connu les pays occidentaux auparavant. Sur le graphique ci-dessous, on peut observer l'ampleur des révolutions industrielles par pays (qui se sont produites à des moments différents dans le temps). En bleu foncé, la croissance du PIB sur toute la durée de la révolution industrielle : 4,4% pour le Royaume-Uni, 5,3% pour les États-Unis, 7,7% pour le Japon et 10,3% pour la Chine. En jaune on retrouve la croissance annuelle moyenne du PIB pendant ces périodes de "révolution industrielle" : 2,2% pour le Royaume-Uni entre 1830 et 1900, 3,9% pour les États-Unis entre 1870 et 1913, 9,3% pour le Japon entre 1950 et 1973 et 9,4% pour la Chine entre 1978 et 2004. 

Et cette croissance soutenue à l'Est produit immanquablement ses effets : sur le graphique ci-dessous, on voit clairement que les parts du PIB mondial des pays de la zone euro (bleu foncé), du Canada (en rouge), du Japon (en vert), du Royaume-Uni (en violet) et des États-Unis (bleu turquoise) sont en baisse ou en stagnation. La part de PIB mondial de la Chine a, elle, décollé depuis le début des années 2000 (courbe jaune).

Une croissance chinoise qui semble inarrêtable. Le graphique ci-dessous montre une projection (source Goldman Sachs) de l'augmentation du PIB par pays en milliards de dollars entre 2010 et 2050. Les courbes de la Chine (en rouge) et de l'Inde (en vert) laisseront loin derrière les PIB des pays occidentaux. Seul les États-Unis (courbe bleu ciel) parviendront à conserver une croissance relativement soutenue de leur PIB après 2025. La Chine deviendrait dans ces prévisions, la première puissance économique mondiale devant les Etats-Unis à partir de 2026/ 2027.

Si on s'intéresse à des pays ayant un moindre poids démographique, le découplage est/ouest est également perceptible. Cette forte croissance des pays asiatique se retrouve ainsi dans la comparaison de l'évolution du PIB du Royaume-Uni et de celui Japon entre 1870 et 2008. Là encore le Japon (courbe rouge) connaît depuis les années 60 un accroissement économique nettement supérieur au Royaume-Uni (courbe bleue).

Désindustrialisation du monde occidental ? Le concept est à la mode et pourrait bien devenir central dans la campagne pour l'élection présidentielle 2012. Verdict sans appel : en termes de production industrielle, la Chine est le seul pays qui connait une forte augmentation depuis le début des années 90 (courbe rouge). Tous les autres pays stagnent ou sont en baisse significative. C'est le cas notamment des États-Unis (en bleu clair).

La Chine, Ferrari du 21ème siècle! La rapidité du boom de l'Empire du milieu est confirmée par les chiffres de son PIB comparé à celui des États-Unis. Sur cette courbe qui comprend la Chine, Hong-Kong et Taïwan, on peut observer que leur PIB conjoint atteint quasiment 90% de celui des États-Unis en 2009 contre à peine un peu plus de 10% en 1950.

Chéri, j'ai rétréci l'occident ! Le déclin de l'Ouest n'est pas qu'économique mais aussi démographique : la courbe ci-dessous représente la population de l'Ouest en pourcentage de la population mondiale. On peut observer qu'alors qu'elle regroupait 20% des habitants de la planète en 1950, elle tombera à une part de 10% en 2050.

Si la vitalité démographique des pays occidentaux est en panne, la dette des pays dits développés, elle, ne connaît pas de limite à son creusement... Selon les chiffres du FMI, la dette des pays avancés parmi ceux appartenant au G20 atteindra près de 120 de leur PIB d'ici 2015 contre 66% en 2000, celle des pays en voie de développementg (low income) qui était de plus de 80% de leur PIB en 2000 tomberait à un peu moins de 40% en 2015.

Et la gueule de bois a déjà commencé pour les pays occidentaux... La facture de cette dette accumulée nous est déjà présentée. A cet égard, le graphique ci-dessous sur le bondissement des taux des obligations d'Etat à 10 ans grecques, irlandaises et portugaises se passe de commentaires. 

Pire, le renchérissement de la dette ne fera qu'accroître son creusement... Les projections ci-dessous montrent que dans le scénario le plus pessimiste, la dette pourrait atteindre 300% des PIB portugais, espagnols ou irlandais en 2040, 400% du PIB grec, 450% du PIB américain et plus de 500% du PIB britannique...

Tant de dette accumulée ne peut pas être sans conséquence sur la stabilité politique mondiale. 

Aucune crise de la dette ne s'étant jamais soldée sans monétisation et/ou inflation, la Chine est bien consciente du risque que font peser les pays occidentaux sur la stabilité économique mondiale. Le ministre du Commerce Chen Deming déclarait ainsi l'an passé : "Les États-Unis impriment de la monnaie sans être contrôlés et les prix des matières premières continuent à augmenter, la Chine subit l'inflation importée. Ces incertitudes posent de gros problèmes aux entreprises."

Cela pourrait-il provoquer une guerre des changes ? Car les Occidentaux, eux, considèrent que c'est la politique de change chinoise qui pose le plus grand problème pour la santé économique mondiale. Le yuen est structurellement sous-évalué.

Il y a quelques mois, Barack Obama déclarait ainsi aux Nations unies que si "les Chinois ne prenaient pas des mesures -pour cesser la manipulation de leur devise-, nous avons d'autres moyens de protéger les intérêts américains."

A quoi, le Premier ministre chinois Wen Jiabao, sur ce sujet d'une éventuelle "guerre des devises", lui avait rétorqué : " Ne tentez pas d'exercer une pression sur le taux du renmibi [le nom officiel du Yuan]. Beaucoup de nos entreprises devraient fermer et les ouvriers devraient retourner dans leur village. Si la Chine subit une crise sociale et économique, ce serait catastrophique pour le monde."

Sur le marché des changes, le rapport entre un dollar américain et un yuan a décroché depuis 2005.

Face aux risques de déstabilisation sociale et politique, les dirigeants chinois ont un plan simple : consommer davantage. Le graphique ci-dessous montre l'évolution des ventes de l'industrie automobile de la Chine (à gauche) et de l'Inde (à droite). Les ventes de voitures chinoises sont passées de 2 millions de véhicules par an en 2005 à 14 millions aujourd'hui (contre 11 millions pour les Etats-Unis. Et la demande chinoise de voitures pourrait encore être multipliée par 10 !

En 2035, la Chine utilisera 20% de l'énergie mondiale, soit une augmentation de 75% par rapport à 2008.

Et cette consommation passe aussi par une hausse de ses importations. La Chine est devenue l'un des plus gros importateurs mondiaux. Elle est le plus gros client du Brésil (12,5% de ses exportations en 2009), l'Afrique du Sud (10,3%), le Japon (18,9%) et l'Australie (21,8%) selon the Economist.

Une telle croissance doit se nourrir : selon l'Institut mondial pour le charbon (World Coal Institute), la Chine consomme désormais 46% de la production mondiale de charbon.En 2009, la Chine a consommé 2 fois plus d'acier brut que l'Union européenne, les Etats-Unis et le Japon réunis. (the Economist)

Les Chinois se sont également lancés dans une politique d'investissements et d'achats stratégiques à l'étranger. C'est notamment le cas en Afrique qui absorbe 41% des investissements chinois, juste derrière les autres paus asiatiques (44%). En janvier 2010, les investisseurs chinois ont directement investi 2,4 milliards de dollars dans 420 entreprises étrangères de 75 pays, principalement dans les secteurs des communications, des transports et de l'industrie pétro-chimique. Près de 800 000 expatriés -hors immigrés- chinois sont répartis dans le monde pour gérer ces investissements.

En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées! Ce slogan des années 70 peut-il encore tenir de feuille de route pour les pays occidentaux dépassés par cet effet de masse? Quid de l'innovation dans les pays développés ?

On peut observer ci-dessous un graphique comparatif du nombre de brevets déposés par pays. En tête, le Japon (courbe bleue), les Etats-Unis se maintiennent en 2e position (courbe rouge) grâce à leur "importation" massive de cerveaux étrangers. Ils sont suivis de la Corée du Sud (en vert). Les pays qui enregistrent les plus fortes progressions sont le Japon, qui passe de 180 000 brevets environ en 2005 à 240 000 en 2008, et la Chine (courbe bleue clair) qui enregistre une hausse d'environ 100% en trois ans (25 000 brevets en 2005, 50 000 en 2008). 

Sans surprise, cette distribution mondiale des brevets reflète aussi les performances des systèmes éducatifs. Selon l'OCDE, la Grande-Bretagne et l'Italie sont les deux pays ayant la plus forte proportion de jeunes peu ou non qualifiés. En tête des pays dont les jeunes sont le plus qualifiés, on retrouve la Corée du Sud.

Ce sont d'ailleurs les élèves asiatiques qui obtiennent les meilleurs scores dans les tests internationaux. Le premier graphique ci-dessous montre les résultats aux tests de mathématiques d'enfants de 14 ans. Dans le top 5, uniquement des territoires asiatiques : dans l'ordre, Taipei (Taïwan), la Corée du Sud, Singapour, Hong-Kong et le Japon.

On retrouve quasiment les mêmes dans le classement aux tests de science avec en première position Singapour suivi de Taipei, du Japon et de la Corée du Sud.

Ainsi, les scientifiques et les chercheurs de demain viendront tous sans doute de l'Est ?

Dans son livre paru en novembre, Niall Ferguson joue quelque peu au prophète de malheur. Selon lui, l'effondrement des grandes civilisations se produit de manière très rapide. L'Empire romain Rome, écrit-il a "implosé en l'espace d'une seule génération"; "la transition catastrophique entre l'équilibre confucéen et l'anarchie de la Chine de l'ère des Ming" a pris un tout petit peu plus qu'une décennie et l'Union soviétique est "tombée d'une falaise" plutôt qu'elle n'a lentement déclinée. "Les civilisations, conclut-il sont des systèmes hautement complexes qui reposent sur l'interaction d'un très grand nombre de composantes organisées de manière asymétrique, de telle sorte que leur construction ressemble plus à une termitière namibienne qu'à une pyramide égyptienne”. 

"De tels systèmes peuvent sembler fonctionner de manière stable pendant un certain temps“, continue-t'il, "apparemment en équilibre mais en réalité constamment dans l'ajustement". Mais il arrive un moment critique : "une petite perturbation peut déclencher une phase de transition entre cet équilibre de façade et une crise majeure. Un simple grain de sable causant l'effondrement de tout le château sur lui-même". 

Niall Ferguson est-il un visionnaire ou un addict du catastrophisme comme le lui reprochent nombre de ses commentateurs ? Rendez vous en 2012. 

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