Et si les oiseaux traversaient les océans en se guidant au son alors même qu’ils… n’ont pas d’oreilles<!-- --> | Atlantico.fr
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Un albatros en vol, Atlantico.fr
Un albatros en vol, Atlantico.fr
©Pixabay

Les oiseaux n’ont pas d’oreilles externes, contrairement aux humains. Cela ne les empêche pas d’entendre… et parfois mieux que nous ! Leur sens de l’audition permet ainsi aux albatros de traverser les océans. Explications.

Samantha Patrick

Samantha Patrick

Samantha Patrick est une spécialiste de l'écologie comportementale qui étudie les différences individuelles dans les stratégies d'accouplement ainsi que des comportements relatifs à la recherche de nourriture. Elle est maître de conférences en biologie marine à l'Université de Liverpool depuis 2015. 

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Les animaux parcourent des distances étonnantes lorsqu'ils sont à la recherche de nourriture. Si les caribous, les rennes et les loups voyagent très loin sur terre, les oiseaux de mer n'ont pas leur pareil pour parcourir de telles distances. Les sternes arctiques font l'aller-retour entre l'Arctique et l'Antarctique dans le cadre de leur migration annuelle. Les albatros errants (Diomedea exulans) arpentent l'équivalent de dix fois l'aller-retour sur la Lune au cours de leur vie.

De nombreuses recherches ont été menées sur la manière dont les oiseaux de mer choisissent leurs trajectoires de vol et trouvent leur nourriture. Ils semblent utiliser leur vue ou leur odorat pour évaluer les conditions locales.

Les albatros errants peuvent toutefois parcourir plus de 10 000 km en un seul voyage de recherche de nourriture, et nous ne savons pas grand-chose de la manière dont ces oiseaux utilisent les signaux à moyenne et longue portée de leur environnement pour décider de leur destination.

Pour la première fois, cependant, l'étude récente de mon équipe donne un aperçu de la façon dont les oiseaux tels que les albatros errants peuvent utiliser le son pour déterminer les conditions qui règnent plus loin.

Comment les oiseaux de mer utilisent les sons de basse fréquence

Des recherches antérieures ont montré que les oiseaux de mer ne cherchent pas seulement à savoir où trouver de la nourriture, mais aussi comment y parvenir efficacement. Nous avons découvert que la manière dont les albatros errants utilisent leur sens du son peut être cruciale.

Notre étude a porté sur la façon dont ces oiseaux réagissent à un type de son à très basse fréquence appelé infrason, qui peut se propager sur des milliers de kilomètres.

Bien qu'ils soient généralement inaudibles pour l'homme, nous savons que certains animaux peuvent entendre les infrasons. Lorsque les vagues se heurtent aux côtes, elles créent une fréquence d'infrasons appelée microbarums. C'est ce type d'infrason que notre étude a examiné.

Nous savons que les zones de forte activité des vagues peuvent être associées à des remontées d'eau - où les poissons sont ramenés à la surface. Les infrasons pourraient fournir des informations sur la localisation de ces zones et indiquer aux oiseaux les endroits propices à la recherche de nourriture.

Une recherche efficace de nourriture est particulièrement importante pour les grandes espèces d'oiseaux marins comme l'albatros errant, dont l'envergure des ailes atteint 3,5 mètres. Leur taille signifie qu'ils dépendent du vent pour décoller et voler efficacement, contrairement aux oiseaux plus petits tels que les macareux, qui battent des ailes jusqu'à 400 fois par minute.

Une forte activité des vagues indique également des vents forts. Comme nous savons que les albatros errants dépendent du vent pour voler efficacement, l'étude de mon équipe suggère que les infrasons pourraient leur donner des indications à longue distance sur les conditions optimales de recherche de nourriture.

Les infrasons sont également générés lorsque les vagues s'écrasent contre les côtes, et nous savons que de nombreux oiseaux marins côtiers utilisent la côte pour choisir leurs trajectoires de vol et retrouver le chemin de leurs colonies de reproduction. Les infrasons pourraient donc révéler l'emplacement d'éléments statiques tels que les côtes, fournissant ainsi aux oiseaux marins des informations importantes sur de longues distances.

Malgré le potentiel de cet indice pour les oiseaux de mer, notre article (publié dans PNAS) est la première preuve que les oiseaux de mer peuvent réagir aux infrasons, qui sont surveillés à l'échelle mondiale grâce à un réseau de capteurs installés par l'Organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (OTICE, CTBTO en anglais).

Ce système a été mis en place pour détecter les essais nucléaires, mais son sous-produit est une énorme quantité de données que les scientifiques peuvent utiliser. Nous avons combiné les enregistrements de l'OTICE avec nos propres données de suivi GPS de 89 albatros errants afin de comparer les microbarums et les mouvements des oiseaux.

Ce que nous avons appris

Nous avons pu isoler des données montrant comment ces albatros semblaient décider de la direction à prendre. Nos résultats ont montré qu'ils choisissaient la direction où les infrasons étaient les plus forts. Cela suggère que les oiseaux pourraient utiliser les infrasons pour trouver de la nourriture ou pour minimiser l'énergie qu'ils utilisent lors de leurs déplacements. Toutefois, nous ne sommes pas en mesure de dire avec certitude pourquoi les zones les plus bruyantes sont les meilleures.

Nos résultats pourraient également permettre aux scientifiques de comprendre comment d'autres oiseaux prennent des décisions sur des trajets de moyenne et de longue distance.

Comme de nombreuses études testant une hypothèse pour la première fois, l'étude de mon équipe soulève autant de questions qu'elle n'apporte de réponses. Si les oiseaux de mer réagissent aux infrasons, ils doivent être capables de les entendre et de savoir d'où ils proviennent. Des études en laboratoire ont montré que certains oiseaux peuvent entendre les infrasons, mais aucun test n'a été réalisé sur des oiseaux de mer.

Emmener un albatros errant dans un laboratoire et créer une chambre sonore suffisamment grande pour effectuer des tests expérimentaux semble peu probable à court terme, mais d'autres espèces d'oiseaux de mer peuvent vivre en captivité et la recherche pourrait se concentrer sur ce sujet.

Les évolutions météorologiques induites par le changement climatique et leurs effets néfastes sur les oiseaux de mer, ainsi que sur de nombreux autres animaux et plantes, sont bien connus : il leur est par exemple plus difficile de trouver de la nourriture.

À mesure que l'homme modifie les habitats océaniques, les infrasons peuvent aider les oiseaux à s'adapter en les aidant à trouver de la nourriture, même si les stocks diminuent. Par ailleurs, l'activité humaine, comme l'augmentation du bruit, pourrait masquer ce type d'informations essentielles, ce qui aurait des conséquences néfastes pour la faune et la flore. Quoi qu'il en soit, comprendre comment et pourquoi les oiseaux de mer utilisent les infrasons aidera les scientifiques à comprendre leur importance dans la crise climatique.

>>> La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation. <<<

Samantha Patrick, University of Liverpool

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