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Et s’il fallait obliger les responsables politiques à apprendre l’empathie comme cela se fait désormais chez tous les petits ?
©Reuters

Morale élémentaire

"Le manque dont le monde actuel souffre le plus aujourd'hui est le manque d'empathie" disait Barack Obama avant même d'être élu président. Un programme appelé Racines de l'empathie ("roots of empathy") prévoit d'éduquer à l'empathie, l'attention aux autres dès l'enfance, dans les écoles.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Des Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne et jusqu'en Nouvelle-Zélande, en quoi consiste ce programme ? comment l'empathie peut-elle s'apprendre ?

Pascal Neveu : Peut-être faut-il dans un premier rappeler ce qu’est l’empathie. Il s’agit d’être capable de se mettre à la place de l’autrui, de reconnaître et comprendre les émotions et ressentis d’une autre personne.

Elle est à distinguer de la sympathie, de la compassion qui porte une dimension affective supplémentaire. En effet, être empathique ne nécessite pas de ressentir la même émotion qu’autrui, ni de se la faire sienne, mais d’être en capacité de l’imaginer et se la représenter.

Un programme d’éducation à l’empathie n’est pas sans soulever plusieurs questions, quant à son origine.

En effet, l’empathie existe chez les animaux. Non seulement dans le cas de deuils (par exemple chez les hippopotames qui veillent un des leurs plusieurs heures en se plaçant en cercle autour de la dépouille), d’aide (comme chez le chimpanzé capable d’ouvrir la porte donnant accès à la nourriture pour son congénère affamé, mais pas à lui, quand ce n’est pas une éléphante qui accompagne sur la route un autre éléphant aveugle), de réconfort (les primates vont adopter des petits orphelins mais aussi entourer les plus faibles)… Nombre de vidéos partagées sur les réseaux sociaux nous font rappeler que l’empathie n’est pas le propre de l’homme.

C’est le célèbre et réputé éthologue Frans de Waal qui explique le mieux que l’empathie est liée à l’instinct maternel (cf. son livre : L’âge de l’empathie, leçons de la nature pour une société solidaire ; éditions Actes sud ; 2011), même si d’autres chercheurs ont trouvé un lien avec l’hormone de l’amour : l’ocytocine.

Chez l’homme, la relation mère-nourrisson développe et amplifie l’empathie. En effet, une mère est capable de reconnaître et identifier les différentes sortes de pleurs de son enfant (angoisse, faim, soins…).

Cette dyade mère-nourrisson, à travers une systémique où l’enfant n’a pas encore conscience de son propre Moi, où il se pense indifférencié de l’autre, va progressivement évoluer vers une interaction d’auto-observation réciproque mais également d’assimilation des données émotionnelles de l’autre.

Cette empathie se développe également dans les relations frères/sœurs.

Le programme « Racines de l’empathie » est basé sur la présentation et l’observation d’un bébé, 27 fois dans l’année, à des classes d’enfants depuis la maternelle jusque 8 ans. Finalement de rejouer l’accompagnement d’un petit frère ou d’une petite sœur.

Le but est de les éveiller au développement d’un bébé, à sa fragilité… et accroître les capacités et compétences sociales ainsi qu’émotionnelles de l’enfant… et surtout la possibilité de pouvoir reconnaître l’expression émotionnelle d’un bébé, et être capable également de s’exprimer sur leurs propres émotions.

Cette sensibilisation permettrait aux futurs adultes de mieux comprendre son prochain, de parvenir plus facilement à exprimer ses émotions  face à certaines situations, donc mieux se comprendre soi-même et dans le lien avec l’autre, et donc d’abaisser le taux de comportements agressifs.

Le monde de la politique souffre de ce manque d'empathie, le constat est renouvelé chaque jour. Peut-on imaginer un programme de ce genre dans le milieu de la politique, une formation politique à l'empathie ?

Tout le monde conserve en mémoire les images du président américain en déplacement dans les îles sinistrées suite à l’ouragan, ses comportements, ses phrases… témoignant d’une absence totale d’empathie, en décalage total avec les attentes.

Et combien de médias ont comparé son attitude à celle de son prédécesseur.

Même s’il en est, et nous ne pouvons le nier, nous ne pouvons pas non plus dire que tous les hommes politiques sont des sans cœur, assoiffés de pouvoir et prêts à tout… anesthésiés de leurs sentiments pour des finalités d’ego, de pouvoir et réélection.

J’ai côtoyé et travaillé avec un grand nombre qui pensent l’intérêt général et ont toujours exprimé une sincérité émotionnelle, une empathie réelle.

Je pense néanmoins qu’il ne faut pas se voiler la face.

La dynamique et l’esprit politiques ont toujours eu pour principe la pensée de Machiavel « La fin justifie les moyens ».

Il ne s’agit pas de normaliser l’absence ou la restriction de l’empathie dans le champ du politique.

Il ne s’agit pas non plus de s’empêcher une utopie pour un monde meilleur.

Mais même des animaux tels certains singes, qui vivent une organisation très hiérarchique, sont capables d’organiser des putschs afin de renverser un leader.

Cependant les neuroscientifiques ont mis en évidence des neurones miroir, activés lors de tâches d’apprentissage, en lien avec l’émotion et la communication. Ainsi, certaines parties du cerveau sont principalement activées et mobilisées lorsque nous interagissons avec autrui. Aussi, lorsque nous voyons une personne rire, pleurer, souffrir… ces neurones activent les mêmes régions que si nous vivions l’événement.

J’ai décrit l’origine de l’empathie dès l’enfance. Bien évidemment, celles et ceux moins ouverts au monde émotionnel pourraient profiter d’un éveil.

Cependant gare à ne pas vouloir sans cesse éduquer, voire rééduquer des êtres humains singuliers.

Notre monde actuel prend conscience de la monstruosité de l’être humain et demande, légitimement, aux politiques d’être des exemples d’humanisme et d’empathie.

Cela n’a jamais empêché l’élection de monstres tels qu’Hitler, mais aussi d’autres tyrans ou dictateurs actuels.

Un « stage empathie » délivrant un label, garantirait-il réellement la sincérité attendue par la société ? La communication politique sait déjà utiliser les mots et images les plus attendus.

Paul Bloom, un professeur et psychologue à l'université de Yale défends l'idée dans son livre "Contre l'Empathie : le cas de la compassion rationnel", que ressentir la douleur de l'autre est mauvais quand il s'agit de faire de la politique : "l'empathie biaise le jugement, rend tribal et cruel". Le politique ne devrait-il pas finalement garder la tête froide et l'esprit rationnel dans ses prises de décisions, son action politique ?

Nombre de spécialistes (tel Paul Bloom, dont les arguments développés dans son livre sont fort intéressants), mettent en garde contre l’empathie excessive, qu’ils dénoncent comme étant une nouvelle pathologie de notre société.

L’alerte porte sur l’observation de groupes qui se dirigent uniquement vers les plus « faibles », délaissant les autres.

Autrement dit, ce serait une redéfinition complète de la société, avec une possible « rébellion » des plus forts qui deviendraient des êtres plus cruels.

Il se formerait alors deux clans : les forts et les faibles, les opprimants et les opprimés, créant de grosses tensions sociétales, voire des guerres, car certains useraient de manipulation à des fins politiques, de manière à monter deux types de population l’une contre l’autre.

Mais ils pointent du doigt également la trop grande aide/émotion apportée par exemple à une victime d’agression, d’attentat, de viol… l’enveloppement trop grand empêchant ses capacités de résilience, voire la ramenant à un statut de victime, handicapée de la vie.

Selon moi tout est question de dosage et d’harmonie.

Il ne s’agit nullement de délaisser son prochain.

Il ne s’agit pas de cultiver un monde dominé/dominant.

Il ne s’agit pas de réserver le pouvoir politique à des névropathes sans émotion.

Si nous tentons de ramener ce sujet de l’empathie du politique à des images moins fantasmées.

Le politique est un dirigeant, un homme de pouvoir.

Tout comme un chef d’entreprise, tout comme un père de famille.

Or, je ne connais pas une mère, un père… n’ayant pas du prendre un jour des décisions fortes, autoritaires, sanctionnantes… auprès d’un enfant qui s’est forcément dit « ils ne me comprennent pas ! », tel parent restant dans l’empathie de son acte, souvent même culpabilisant.

L’être humain porte en lui cette capacité à allier intellect et affect.

Même si la tendance naturelle est de laisser exprimer nos émotions et réagir en fonction, il est évident qu’un homme politique, qu’un président de la république ne peuvent se laisser déborder par leurs émotions et leur empathie face à des prises de décisions très importantes. Sans évoquer certaines qui relèvent du secret d’Etat ; je pense bien évidemment au terrorisme, à la guerre.

Sans parler d’éducation à l’empathie, il n’en reste pas moins que la guerre à gagner n’est pas celle de l’empathie en politique, mais celle de l’ego et du principe de réalité auprès de politiques qui, à un moment donné, basculent dans une dimension qui nous échappe et leur échappe.Nulle excuse à travers ces mots.

Il serait facile de rebondir face aux propos de Jean Dion quand il écrit « l’empathie est une vertu publique obligée alors que l’indifférence est un vice privé ».

L’entourage et les événements de la vie propres à tout individu sont les seuls capables de maintenir l’éveil des consciences et d’une bienveillance, d’une empathie universelle.

Preuve en est que la question est posée, reflète un manque, et demande un réajustement.

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