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Selon un sondage de l'Ifop pour L’Opinion & la Fondation Concorde, les Français considèrent qu'Emmanuel Macron et Edouard Philippe incarnent le plus le libéralisme.
Selon un sondage de l'Ifop pour L’Opinion & la Fondation Concorde, les Français considèrent qu'Emmanuel Macron et Edouard Philippe incarnent le plus le libéralisme.
©Ludovic MARIN / AFP

Idée orpheline ?

C’est ce que révèle une étude Ifop réalisée pour la fondation Concorde qui met aussi en lumière tout ce que les Français pensent en bien et en mal des idées libérales.

Jonas Haddad

Jonas Haddad est Conseiller régional de Normandie, Président des Républicains de Seine-Maritime et co-président de la Fondation Concorde.

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Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico : L’Ifop publie un sondage pour L’Opinion & la Fondation Concorde : Les Français et le libéralisme – Vague 6. Quand on pose la question de qui représente le libéralisme aujourd'hui, on voit qu’il s'agit de Macron, Philippe, et dans une moindre mesure Le Pen et Sarkozy. Qu’est-ce que cela dit ? Est-ce que cela témoigne d’une mauvaise compréhension de ce qu’est le libéralisme ?

Jonas Haddad : Cela témoigne surtout de la notoriété de ces personnes bien plus connues que les autres personnalités sondées. Le duopole de tête Emmanuel Macron-Édouard Philippe le démontre. L’autre explication c’est que certains - surtout à gauche- assimilent de façon simpliste la droite au libéralisme. Les sondés de gauche classent donc les représentants de la droite (selon eux) en champions du libéralisme.

Frédéric Mas : Je crois qu'il y a deux points à retenir. Tout d'abord, malheureusement, les Français sont obligés de choisir un personnel politique qui, dans l'ensemble, n'est pas libéral et n'a pas la culture libérale, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de parti politique qui défende les libertés individuelles et la liberté d'entreprise. Les personnes choisies lors des sondages sont généralement de centre-droit ou de droite, comme Marine Le Pen. Le deuxième point concerne la confusion entre l'esprit d'entreprise et le libéralisme. Certaines personnalités politiques, comme Édouard Philippe ou Nicolas Sarkozy, sont associées à la fois au libéralisme et à l'esprit d'entreprise dans les médias. Emmanuel Macron a fait campagne sur l'idée de la tentation et a entretenu une relation privilégiée avec le monde de l'entreprise et de l'innovation, tout comme Nicolas Sarkozy. Cette confusion est courante en France, où l'on voit souvent des hommes politiques se comporter comme des entrepreneurs politiques. On peut même comparer des personnalités comme Bernard Tapie à des gens comme Donald Trump, qui ne sont pas nécessairement attachés à une plateforme théorique libérale. 

Est-ce cela veut dire que le libéralisme est aujourd’hui en France une idée orpheline de représentation ?

Jonas Haddad : Plutôt oui. Aucune des personnalités sondées ne se revendique clairement libérale. C’était pourtant encore les cas il y a quelques années. A droite toutefois, le parti des Républicains présidé par Éric Ciotti reste celui qui y reste le plus associé.

Frédéric Mas : En France, il existe une tradition intellectuelle libérale très vivante, mais la tradition politique est pratiquement inexistante. Cela est dû à l'histoire du pays et au fait que l'étatisme et la place de l'État ont toujours été extrêmement importants dans la construction de l'identité nationale. L'offre politique a toujours été très réduite, à l'exception de quelques personnalités notables, notamment dans les années 80. Cette offre politique s'est encore réduite ces dernières années, en particulier à la suite de la crise sanitaire et maintenant avec la montée d'un capitalisme mondialisé, qui est remis en question par un renouveau protectionniste de la part des grandes puissances, notamment les États-Unis. Cette tendance s'observe dans la chronologie ukrainienne, où une distance croissante est constatée entre ces grandes puissances et ceux qui étaient à l'origine de la mondialisation des échanges. 

Dans quelle mesure est-ce que cela explique la mauvaise presse du libéralisme auprès des Français ?

Jonas Haddad : Ça n’est pas forcément lié. Les politiques- surtout en ce moment- ont plutôt tendance à aller dans le sens de l’opinion. Si le libéralisme était très répandu dans la population, ils se revendiqueraient tous « libéral ».

Cette représentation du monde correspond pourtant à l’aspiration actuelle de la société: l’initiative individuelle et la personnalisation des parcours personnels.

Frédéric Mas : Je crois que la mauvaise image du libéralisme en France est due en grande partie à la forte tradition étatiste qui est présente tant à droite qu'à gauche, ainsi qu'à l'influence marxiste des socialistes à gauche. Cette combinaison amène les Français à se méfier des mécanismes de marché et des institutions associées au libéralisme, qui prône la liberté économique et individuelle. Fondamentalement, notre nation est conservatrice, étatiste et hiérarchique, avec une longue tradition économique corporatiste. Nous avons du mal à accepter une économie concurrentielle et la montée d'un secteur privé puissant, indépendant de l'emprise de l'État.

Quel a pu être l’impact du macronisme sur la vision du libéralisme et sur les idées libérales ?

Jonas Haddad : Le macronisme a agi comme un grand bol qui a absorbé plusieurs tendances politiques : le centrisme, le libéralisme et la social-démocratie.

On le voit dans le sondage, la « deuxième gauche » celle qui se revendique sociale-libérale n’existe quasiment plus.

A droite en revanche, le libéralisme reste plus présent dans les différents partis qui en sont crédités: une partie de renaissance, horizons et les républicains.

Frédéric Mas : Je trouve ce discours très négatif et même extrêmement naïf car il entretient une confusion mortifère entre le libéralisme politique et ce que l'on appelle en France "la deuxième gauche". Cette dernière est une forme d'interventionnisme modéré issu de la tradition Saint-Simonienne, qui est en réalité une forme d'autoritarisme bureaucratique et technocratique. Emmanuel Macron, qui est issu de cette tradition, n'est pas du tout un libéral au sens classique du terme, tel que défini par John Locke ou Tocqueville. Il est plutôt proche de la gauche rocardienne, ce qui implique un interventionnisme et un étatisme modérés. On pourrait qualifier cela de social-libéralisme, mais ce n'est pas du tout du libéralisme pur et dur. En fait, sa communication pro-business masque la réalité. 

Pour autant est-ce que ça veut dire qu’il n’y a pas de place pour le libéralisme en France ? Si non, quel libéralisme pourrait-on voir (ré)émerger ?

Jonas Haddad : Au contraire. Le paradoxe français c’est que notre société est de plus en plus libérale mais que les Français ne se sentent pas libéraux.

L’aspiration à mener sa vie professionnelle et personnelle comme on le souhaite explose. Dans la société actuelle, on valorise les parcours plutôt que les statuts, on préfère le sur-mesure et la personnalisation aux standards.

Comme le dit la chanson, en France « chacun fait ce qui lui plait » dans le registre économique et social mais personne ne se pense libéral.

Paradoxe d’autant plus saisissant que les penseurs originels du libéralisme sont des Français.

Frédéric Mas : Concernant la place du libéralisme en France, il est vrai que le pays est fortement étatisé et que libéraliser le marché du travail ou l'économie en général semble difficile. Toutefois, pour éviter l'asphyxie du pays sous le poids de la dépense publique, il est nécessaire d'envisager des réformes pour rendre l'économie plus dynamique. Heureusement, la France dispose d'une tradition intellectuelle libérale très riche et vivante, que certains considèrent comme la véritable tradition libérale. Cette tradition s'est développée en France depuis les physiocrates jusqu'à Benjamin Constant et mérite d'être réappropriée par les Français. Bien que le débat d'idées entre politiques soit actuellement peu animé, il est important de maintenir cette tradition vivante pour faire évoluer les mentalités et favoriser l'émergence de réformes nécessaires pour moderniser l'économie française. 

Le jugement des Français sur les libertés et les restrictions de liberté est-il la preuve que résiste malgré tout un fond de libéralisme et d’un intérêt pour celui-ci ?

Jonas Haddad : Clairement. D’abord, les Français considèrent à 64% que les libertés individuelles se sont réduites. Le sondage fait ressortir deux libertés que les Français sentent menacées: le droit de propriété et la liberté d’expression.

Ils pensent que ces deux libertés reculent. Pour le droit de propriété c’est certainement la conséquence de toutes les polémiques autour des squats, des ZAD ou encore du phénomène des casseurs - la violence contre les biens est devenue légitime pour certains.

Quant à la liberté d’expression, elle est menacée par ces tendances récentes comme le wokisme ou la cancel culture. C’est une nouvelle forme « cool » de censure qui vise à contrôler les paroles et les écrits de peur de heurter de supposées minorités.

Les Français commencent à considérer majoritairement que « on ne peut plus rien dire ».

Frédéric Mas : Ce constat témoigne d'un intérêt croissant pour le libéralisme. En effet, dans des situations critiques, il apparaît que nous sommes attachés à certaines libertés fondamentales qui sont inextricablement liées à la théorie de Berlin en matière de défense des libertés individuelles. Ces libertés sont essentielles et font partie intégrante du libéralisme.

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