Eric Dupond-Moretti : l’alliance du régalien et du vintage<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, lors d'une conférence de presse.
Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, lors d'une conférence de presse.
©BERTRAND GUAY / AFP

Garde des Sceaux

Ténor du barreau nommé à la surprise générale Garde des Sceaux et Ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti est la révélation de l’épisode des récentes émeutes.

Gaël Brustier

Gaël Brustier

Gaël Brustier est chercheur en sciences humaines (sociologie, science politique, histoire).

Avec son camarade Jean-Philippe Huelin, il s’emploie à saisir et à décrire les transformations politiques actuelles. Tous deux développent depuis plusieurs années des outils conceptuels (gramsciens) qui leur permettent d’analyser le phénomène de droitisation, aujourd’hui majeur en Europe et en France.

Ils sont les auteurs de Recherche le peuple désespérément (Bourrin, 2010) et ont publié Voyage au bout de la droite (Mille et une nuits, 2011).

Gaël Brustier vient de publier Le désordre idéologique, aux Editions du Cerf (2017).

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Le dernier baromètre IFOP révèle qu’Eric Dupond-Moretti bénéficie d’un bond de neuf points de confiance chez les Français, ce qui est considérable. A l’évidence, il a « bénéficié » de son action lors des récentes émeutes dans le pays. Il séduit particulièrement une France plutôt âgée, peu diplômée et allant du centre gauche au centre droit : soit un groupe assez central. Si le résultat de l’action de la justice est de 1000 arrestations et 600 incarcérations, les instructions du Ministre de la Justice ont marqué par leur tranchant et leur fermeté. Eric Dupond-Moretti a fait montre d’une fermeté explicite et économe en mot. De surcroit, il a préféré s’appuyer sur les procureurs que sur les community managers. Autre point, il a défini les délinquants par la nature des actes commis, évitant ainsi de laisser parasiter son action par des polémiques supplémentaires. Action déterminée et sans doute déterminante dans la non prolongation des émeutes, la circulaire Dupond-Moretti a été, dans ses grandes lignes, connue de tout le pays en un temps éclair. En situation de crise, le sursaut de la décision, le moment et le choix de son expression sont décisif.

Eric Dupond-Moretti, un personnage…

Avocat pénaliste de renom, « ténor du barreau », figure tonitrante issu du Nord populaire mais ne dégaignant pas fréquenter artistes et stars. Maitre Eric Dupond-Moretti a acquis, au fil des ans, une notoriété nationale et été l’emblématique avocat de nombre d’affaires très médiatisées. La jalousie de certains de ses collègues est bien connue, ainsi que les jugements à l’emporte pièce à son endroit. L’inculture en matière judiciaire a abouti à voir certains identifier l’avocat à ses cause, feignant de voir en l’avocat le double de certains prévenus. On l’accuse de terroriser les jurés lors des procès d’assises ;

Eric Dupond-Moretti fume et refuse le monde aseptisé tel que rêvé par beaucoup. Cela ne lui vaut pas que des amis. Son style de vie, son expression font penser à un film des années 1970 et il se défie des modes intellectuelles ou autres. Il fume et chante du Reggiani en conduisant, se méfie des excès de l’ère Metoo. « Acquittator » est clivant mais plait à une partie des Français excédés par les codes impulsés par les élites. A l’instar de Maitre Jacques Vergès, Maitre Dupond-Moretti est monté sur scène… et dans le même théâtre : le Théâtre de la Madeleine.

Eric Dupond-Moretti s’est fait de solides inimitiés, telles Edwy Plenel et la rédaction de Médiapart ou Marine Le Pen et la direction du Rassemblement National. Flétrissant les « populistes », il réalise la prouesse d’opérer une sorte d’appel permanent au peuple de citoyens éclairés par la raison, en se fondant sur les principes et l’égalité. Là où Maitre Vergès et sa défense de rupture se faisait « avocat de la terreur », Maitre Dupond-Moretti joue les principes jusqu’au bout. Toujours l’air en colère, il évite le « raisonnable » pour en appeler à la raison.

Etre une personnalité charismatique ne suffit pas…

Il y a eu un certain nombre de cas de personnalité de la « société civile » qui ont été nommées au gouvernement et qui n’ont pas réussi à leur poste. C’était d’ailleurs le destin promis à Eric Dupond-Moretti jusqu’à l’épisode des émeutes. L’échec le plus retentissant est celui de Nicolas Hulot, sur lequel il n’est nul besoin de revenir mais on ne peut s’empêcher de repenser au passage éclair au gouvernement de Léon Schwartzenberg en 1988.

… Il faut savoir incarne l’autorité du politique : le régalien

L’autoritarisme est à l’autorité ce que le caprice est au désir. Au moment de sa nomination, le nouveau Ministre de la Justice s’était rendu à la Prison de Fresnes. Les récriminations des oppositions de droite furent un véritable poème. Cependant, l’erreur d’analyse de ces oppositions consista à croire que cette visite était signe de laxisme d’un Ministre qui aurait hérité de sa vocation d’avocat pénaliste une supposée mansuétude pour les délinquants et criminels. L’autorité c’est de donner les moyens à la justice d’envoyer si besoin les coupables en prison et, « en même temps », de traiter dignement chaque individu frappé d’une peine de privation de liberté.

Pendant les journées d’émeutes, entre un Président de la République totalement absent et un Ministère de l’Intérieur manifestement dépassé ou en situation de l’être, le Ministre de la Justice fut le seul en peu de mots, quelques décisions fortes et une sobriété dans l’énoncé des prérequis de l’autorité républicaine à s’imposer non comme une personnalité « montante » dans les sondages mais comme une incarnation du régalien. Depuis le début des mandats d’Emmanuel Macron, et même de François Hollande, le régalien avait été tantôt frappé d’évanescence tantôt affaibli par la stratégie du « coup de menton ». La politique française souffre du verbalisme sinon tout simplement du verbiage. Nouveau venu dans le monde politique, marquant un moment troublé du sceau du sursaut de la décision, il a incontestablement donné une leçon de véritable politique à ses oppositions et ses collègues de la majorité. Il y a une petite différence avec la majorité de ses collègues : plus de trois décennies de barreau, de pratique pénale, venu du Nord, Eric Dupond-Moretti, lui, connait le peuple. 

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