En marche vers le crash énergétique : mais pourquoi le redémarrage des réacteurs nucléaires accumule-t-il les retards ?<!-- --> | Atlantico.fr
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EDF et l’Etat pourraient-ils faire plus d'efforts pour accélérer le redémarrage des réacteurs ?
EDF et l’Etat pourraient-ils faire plus d'efforts pour accélérer le redémarrage des réacteurs ?
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Production en berne

EDF ne pourra pas produire autant d'électricité qu'elle le souhaitait lors de cet hiver 2022. Les centrales peinent à redémarrer.

Alexis Quentin

Alexis Quentin

Alexis Quentin est docteur en physique et ingénieur dans l'industrie nucléaire. Membre de l'association les voix du nucléaire.

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Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Atlantico : Alors que nous devions assister à une remontée en puissance avec des redémarrages en ce début novembre, les retards semblent s’accumuler. Quelles sont les explications techniques à ces différents retards ?

Alexis Quentin : En fait, si on regarde l'analyse du passage de l'hiver de RTE réalisée mi-octobre, on remarque que mi-novembre étaient attendus entre 26 GW et 33 GW, et on est dans cette fourchette aujourd'hui. Le moment de vérité sera surtout pour les trois semaines à venir. A noter que RTE doit mettre à jour son analyse du passage de l'hiver dans les jours à venir, de mémoire, on verra alors quelles seront leurs prévisions.

Loïk Le Floch-Prigent : Les explications sont nombreuses et dépendent de chaque unité mais lorsqu’il y a une urgence comme aujourd’hui et que cela patine, cela veut dire qu’il n’y a pas la mobilisation à la hauteur du problème posé par tous ces arrêts. Si tous les agents d’EDF et ceux des sous-traitants présents  sur les sites travaillaient ensemble dans l’enthousiasme de sauver le pays, on n’en serait pas là aujourd’hui et il faut rajouter à cette volonté de trouver des solutions l’Agence de Sureté Nucléaire et l’ensemble des administrations. Ce qui domine aujourd’hui c’est la peur, peur de mal faire, peur d’avoir un incident utilisé par les lobbies antinucléaires, peur de l’inspection du travail, peur de dépasser les budgets, la peur, toujours mauvaise conseillère et assurant les retards dans toutes les activités industrielles. Les salariés du nucléaire, leurs patrons , ont été rincés par des années de disette où il a fallu aller à l’étranger pour survivre, en Chine, en Finlande et en Grande Bretagne… sans parler de beaucoup d’autres pays où on fait de la maintenance ! Hier il fallait tout arrêter, et des annonces verbales, sans décisions formelles, annoncent un redémarrage. Mais des débats publics sont lancés  à travers les provinces depuis quelques semaines  sur l’intérêt du nucléaire avec essentiellement la présence comme orateurs d’antinucléaires et on continue à raconter que l’on a fermé Fessenheim pour des raisons de sureté ce qui est mensonger ! Le moral des personnels du nucléaire remonte mais ce n’est pas encore ça, ils attendent des décisions claires, qui ne viennent pas, à la fois avec des budgets de maintenance insuffisants, des appels d’offres longs et inutiles, des donneurs d’ordres pour partie en grève dans les centrales, bref, aucune volonté réelle d’aller vite avec l’ensemble du corps social qui semble craindre, à juste titre, un black-out cet hiver s’il fait froid. Peu importe les erreurs commises, il faut se retrousser les manches et arrêter de vouloir gérer au mieux la pénurie, et tout le monde doit s’y mettre, y compris les apeurés des agences de contrôle. La catastrophe pour le pays c’est la France dans le Noir, et donc la solution c’est "tout le monde sur le pont". Il y a des problèmes techniques, donc il y a des solutions et nous avons tout l’arsenal technique et les compétences nécessaires… si on ne les bride pas.

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On prend un exemple, la fameuse corrosion sous contrainte dont on a fait un fromage de peurs accumulées : il était pour un industriel inconcevable d’arrêter autant de réacteurs à partir du moment où ces circuits n’étaient pas essentiels, on pouvait les remettre en ordre pas à pas : la peur, toujours la peur ! Dans l’industrie celui qui a peur doit changer de métier.    

Ces problématiques de redémarrage peuvent-elles être aussi liées à des difficultés internes à EDF, notamment en raison des mouvements sociaux qui traversent l’entreprise  mais aussi dans la gouvernance ?

Alexis Quentin : Les difficultés sont surtout dues aux réparations des problèmes de corrosion sous contrainte qui semblent prendre plus de temps. Sur cette question, la filière et l'ASN apprennent en marchant, car c'est un problème inédit sur le parc. Les incertitudes sur les retards de travaux viennent principalement de là. Si la sécurité d'approvisionnement avait été mise en danger par les mouvements sociaux à EDF, nul doute que l'Etat aurait utilisé, comme il l'a déjà fait par le passé, les moyens légaux à sa disposition pour redémarrer les tranches qui pouvaient l'être.

Loïk Le Floch-Prigent : Il est clair que les grèves n’ont rien arrangé et on a  du mal à reconnaitre là le fonctionnement syndical historique qui a toujours privilégié l’intégrité de l’outil de travail ! Mais ceci est sans doute du à une accumulation d’erreurs commises dans la gestion des hommes dans une sorte de retraite acceptée par les cadres supérieurs qui se sont trop longtemps couchés devant des décisions techniquement inacceptables. Un chef d’entreprise qu’il soit public ou privé doit résister à son actionnaire lorsque celui-ci met en péril la société dont il a la charge, il n’y a pas d’alternative ! J’ai été choqué ces dernières années par la propension des Ministres et de leurs Cabinets à vouloir répondre eux-mêmes à des questions relevant des patrons, c’est vrai pour EDF comme pour la SNCF. Ceci est profondément malsain et l’ensemble de l’encadrement et des sociétés en cause ne sait plus qui commande.

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A quel point cela handicape-t-il actuellement notre production ?

Loïk Le Floch-Prigent : Il est clair que si l’on ne modifie pas en profondeur la prise de décision et la vitesse d’exécution en y mettant les moyens humains et financiers adéquats, en décrétant l’Etat d’Urgence absolue et mobilisant EDF, Framatome, les entreprises du GIFEN (Groupement Industriel Français de l’Energie Nucléaire) soit des dizaines de milliers de personnes, nous prenons le risque de ne pas avoir les MWH nécessaires en temps utile. On voit bien que l’on amuse la galerie avec un projet de loi sur l’accélération des procédures pour les énergies éoliennes et solaires qui n’auront aucun impact sur la production en période difficile, aucun impact, car dans l’hiver qui se prépare d’une part elles seront toujours en projets et elles n’ont aucun intérêt en hiver, car à la période critique, celle du pic, il n’y a ni vent ni soleil. En mettant en scène ce projet de loi et en organisant ces débats antinucléaires indignes actuels, les gouvernants montrent bien à l’ensemble du monde de l’énergie et en particulier au monde nucléaire qu’ils ne veulent en rien résoudre les problèmes posés mais simplement dire : arrêtez de prendre des douches, apprenez à être sobres, faites pénitence, vous avez beaucoup péché…

Si on voulait vraiment résoudre le problème de cet hiver, on aurait aussi regardé les centrales thermiques arrêtées récemment, celle du Havre qui est semblable à celle de Cordemais (Nantes/Saint Nazaire) donc charbon/ pellets et celle de Porcheville (fioul).

Quand on ne veut pas traiter un problème, il vaut mieux le dire, c’est plus clair.

Dans quelle mesure cela nous met-il en danger pour cet hiver ?

Alexis Quentin : Réponse lors du prochain point RTE. Mais on sait dans les faits depuis des années que les hivers 2022 à 2025 vont être tendus, et ce sans avoir de cygne noir de la CSC. On doit donc tout mettre en oeuvre sur l'efficacité, la maîtrise de la conso pour passer l'hiver.

Loïk Le Floch-Prigent : Bien sur, c’est l’hiver qui va décider et pour l’instant nous bénéficions d’un réchauffement bien venu, ce qui ne nous empêche pas de nous en plaindre. Par ailleurs le prix de l’électricité et du gaz vont avoir comme conséquences des arrêts industriels nombreux d’ici fin Décembre, cela va aider la baisse de consommation mais c’est une catastrophe pour le pays avec une accélération de la désindustrialisation. Mais si l’hiver est rude, tout cela ne suffira pas et il va falloir gérer des black-outs, des arrêts d’alimentation de certaines villes, départements ou régions. Déjà tous les générateurs électriques à base de gazole ont été achetés par les usines ou les particuliers, montrant bien que c’est une hypothèse vraisemblable ! Il n’y a plus qu’à espérer que les climatologues aient raison et que la France se réchauffe même l’hiver !

EDF et l’Etat pourraient-ils faire plus pour accélérer le redémarrage des réacteurs à l’heure actuelle ? Auraient-ils pu mettre plus de pression pour ce faire ?

Alexis Quentin : Cela parait compliqué. Toutes les équipes d'ingénierie sont mobilisées sur le sujet, tous les sous-traitants aussi, et il n'y a pas vraiment de salariés disponibles en plus. L'ASN décide des redémarrages des tranches, et elle est indépendante, l'Etat n'a donc pas à faire pression dessus. Le problème vient aussi de plus loin. La filière ayant eu ces dernières années une vision à long terme inexistante, il y a eu aussi un déficit d'investissement en formation et recrutement, ce qui fait qu'il y a moins de personnel disponible en cas de besoin.

Il faudra clairement avoir un retour d'expériences cet épisode, que cce soit niveau EDF, mais aussi au niveau politique.

Loïk Le Floch-Prigent : Il est clair que chacun doit faire son travail, mais que les agences de contrôle nombreuses et variées qui empêchent quotidiennement les industriels de travailler ont aussi leur part de responsabilité dans ce qui nous arrive. A vouloir jouer la sureté, la sécurité, la précaution contre l’industrie et à vouloir faire des économies permanentes sans justification technique on arrive à la fin à ne plus avoir ni les moyens, ni le personnel ni l’envie de résoudre les problèmes, c’est là que nous sommes aujourd’hui. L’Etat dans son ensemble a été défaillant, il s’est trompé en s’affichant anti nucléaire depuis plus de vingt ans, il a réduit les compétences, il a organisé la pénurie , il a surinvesti dans des installations inutiles, il aurait pu se racheter en mettant en urgence un rattrapage sur les centrales existantes comme les Suédois qui ont accru la puissance de leurs centrales nucléaires pendant la maintenance de 10 à 15%, en mettant en fonctionnement Flamanville 3, en étudiant le redémarrage de Fessenheim, en ignorant la « contagion «  de la corrosion sous contrainte, bref en prenant ses responsabilités. Il est encore temps, il n’est jamais trop tard, notre pays est en danger, nous avons tous le devoir de l’en sortir, les ingénieurs et les techniciens du nucléaire et de l’énergie y sont préparés, ils ne demandent plus que la volonté politique et des décisions claires avec des responsables de la mise en œuvre compétents.

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