Emmanuel Macron joue cyniquement de l’indifférence civique d’une grande partie de la population face à sa dérive illibérale<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron a répondu aux questions de sept lecteurs du Parisien. Il s'est notamment confié sur la crise sanitaire et sur sa stratégie.
Emmanuel Macron a répondu aux questions de sept lecteurs du Parisien. Il s'est notamment confié sur la crise sanitaire et sur sa stratégie.
©STEPHANE MAHE / POOL / AFP

Emmerder les Français

Dans un entretien accordé au "Parisien", Emmanuel Macron a affirmé vouloir "emmerder" les personnes non-vaccinées "jusqu'au bout".

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : En assumant vouloir « emmerder les non-vaccinés » sans pour autant assumer une vaccination obligatoire, Emmanuel Macron assume une forme de harcèlement de citoyens pourtant respectueux de la loi qui n’a pas plus grand chose à voir avec le nudge. L’irrationalité et le complotisme de certains antivax justifie-t-il d’un point de vue démocratique cette stratégie présidentielle ?

Arnaud Benedetti : Il assume la traque des non-vaccinés, les désignant à la vindicte de son bloc électoral, oligarchique, qui attend cette ligne. Il nourrit ainsi politiquement le ventre des élites qui le soutiennent, en ostracisant des Françaises et des Français auxquels on a donné le choix de ne pas se faire vacciner. C’est une ligne là d’une immense perversité politique, assez malsaine au demeurant. Mais il s’appuie sur l’indifference civique d’une grande partie de l’opinion quant à l’évidente dérive illibérale dans laquelle nous sommes entrés et sur le soutien implicite des autres formations de gouvernement qui refusent de combattre le passe vaccinal et en conséquence d’essayer de faire bouger les opinions sur ce sujet pourtant primordial des libertés publiques. Emmanuel Macron enflamme le débat public, il le fait par souci tactique, mais un homme d’Etat a-t-il vocation à jeter aux orties sa mission de rassemblement pour privilégier un usage purement machiavélique du contexte ? La crise sanitaire opère comme un bouclier protecteur de la majorité, Emmanuel Macron en use et en abuse, quitte à sortir de son rôle. Aucun chef d’Etat et de gouvernement  occidental n’est allé aussi loin ces derniers mois que le président français dans ce qu’il faut bien appeler une radicalisation communicante.

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S’agit-il pour vous de l’une de ses petites phrases « dérapages » dont il avait promis qu’il n’y reviendrait plus ou d’un cynisme parfaitement assumé afin de surfer sur les instincts et l’exaspération de son électorat ?

Il révèle encore une fois la vraie nature du macronisme : celui-ci est dominateur, suprémaciste socialement, c’est le Trumpisme des oligarchies qui assument une forme de sécession avec la France périphérique ou d’en bas. Emmanuel Macron ossifie, visse ainsi son socle électoral, il vise même à le galvaniser dans une forme de croisade anti-populiste, en spéculant sur l’atonie des classes populaires à ne pas ou peu se déplacer électoralement en Avril prochain. Il sonne la charge. Cela plaira à la partie vieillissante et la plus encline à une certaine forme de morgue « élitiste » de son électorat. Il suffit d’observer déjà les posts de certains de ses épigones sur les réseaux sociaux pour s’en convaincre. Sur le fond, une fois le temps de l’exégèse tactique passée, ce type de propos qui va très loin, puisque le chef de l’Etat s’habilite à désigner ce qui relève ou non de la citoyenneté, contribue à déchirer un contrat social déjà fort mal en point.

Quel impact électoral en attendre ? On a vu que la République en marche avait repris les propos du président en appuyant sur le fait que l’opinion exprimée par le président serait celle d’une majorité de Français. Sont-ils prêts à se laisser flatter de la sorte et à le suivre ?

Le pari est risqué, mais il n’est pas dénué d’une potentielle efficience, hélas. Hélas car cette tactique est dangereuse à terme en matière de cohésion, de respect des grands principes démocratiques qui sont indéniablement malmenés par cette brutalité politique. Le leitmotiv de cette majorité finissante consiste à imposer l’enjeu sanitaire comme facteur d’inhibition des rapports de forces politiques, de glaciation même des tectoniques politiques en période électorale, de faire reculer toujours plus par petites touches les limites de l’acceptable et du légitime démocratiquement, et de monopoliser les arguments de « raison» en imposant sa lecture exclusive, parfaitement discutable, du chaudron épidémique. Or il y a beaucoup d’irrationalité aussi dans leur argumentation sanitaire qui est d’abord politique avant d’être sanitaire. Le passe vaccinale est un objet assez monstrueux juridiquement dont la finalité est de corneriser le village gaulois des non-vaccinés. Il constitue un instrument qui ne limite pas la circulation du virus, qui laisse de côté la question de la durée de la couverture vaccinale, qui occulte le sujet de sa réitération éventuelle et qui en concentrant toutes les attentions, les controverses, escamote les causes racines de la souffrance sanitaire, à savoir le désarmement hospitalier sur l’autel de l’immédiateté et de l’amnésie collective. Au fur et à mesure que la campagne reprendra ses droits, les concurrents d’Emmanuel Macron qui auront l’intelligence et l’habileté de réimposer la critique de la gestion de la crise sanitaire permettront de déverrouiller le débat et de fragiliser le sortant. En auront-ils les capacités et la volonté, c’est toute la question.

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