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Émeutes de 2005, enlèvement barbare d'Ilan Halimi... : qu'avons-nous donc raté depuis 10 ans pour que la situation de la France soit pire encore aujourd'hui ?
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Leçons de l'histoire

Dix ans après la mort d'Ilan Halimi et les émeutes dans les banlieues françaises, la France n'a semble-t-il toujours pas pris à bras-le-corps le problème de la radicalisation de toute une partie des populations des quartiers sensibles. Un aveuglement idéologique qui se paye cher aujourd'hui, alors que la sécurité des Français préoccupe de plus en plus.

Zohra Bitan

Zohra Bitan

Membre fondatrice de La Transition, Zohra Bitan est cadre de la fonction publique territoriale depuis 1989, ancienne conseillère municipale PS de l'opposition àThiais (94), et était porte-parole de Manuel Valls pendant la primaire socialiste de 2011. Militante associative (lutte contre la misère intellectuelle et Éducation), elle est l'auteur de Cette gauche qui nous désintègre, Editions François Bourin, 2014.

 
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Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Atlantico : Il y a dix ans, Ilan Halimi était séquestré et torturé parce qu'il était juif. Quelques mois auparavant, en 2005, des émeutes historiques éclataient dans les banlieues de toutes les grandes villes de France suite à la mort de Zyed Benna et de Bouna Traoré, alors qu'ils cherchaient à échapper à un contrôle de police. Dix ans après, quel état des lieux des tensions dans les banlieues et de l'antisémitisme peut-on faire ? Comment celles-ci ont-elles évolué depuis ?

Yves Roucaute : Les événements de ces derniers mois démontrent que nous payons très cher le retard pris pour régler les questions qui auraient dû être réglées bien avant 2005 et qui, fait qui paraît invraisemblable aujourd’hui, ne l’ont pas été malgré 2005. En 2005, les émeutes des banlieues avaient démontré la gravité de la situation et la faillite de toutes les politiques d’intégration menées depuis 1981. Hélas, les élites politiques ont encore et toujours préféré leur confort intellectuel et fermer les yeux. Pourtant, l’éruption de boutons était telle qu’elle révélait une grave maladie du corps social français. Il y avait quelque chose de pourri dans le royaume. L’affaire Ilan Halimi, en janvier 2006, arrive comme l’acte politique et religieux d’un groupe qui s’est radicalisé. Ce fut le premier symptôme du passage de la délinquance généralisée et de la crise de légalité, révélée en 2005, à la radicalisation islamiste qui s’est développée depuis. Radicalisation qui appelle évidemment l’antisémitisme actif. Elle annonçait la phase II de la radicalisation, celle qui succédait à la phase I qui avait connu son point ultime en 2005.

Phase I, d’abord.

2005 est une date très intéressante, car il est alors parfaitement clair que la classe politique a laissé dégénérer la situation et que la France a perdu pied sur ses valeurs. La France devient un Etat failli au point de ne plus pouvoir assurer la sécurité de sa population et le respect de la légalité. C’est, paradoxalement, la fin d’un long processus. Car il y a bien longtemps que sont brûlées des voitures, attaqués des transports en commun ou des enseignants dans les écoles. Cela durait depuis 15 ans. L’aveuglement des élites fut tel que lorsque certains pointaient la radicalisation d’une partie de la jeunesse issue de l’immigration, ils étaient traités de racistes et la droite républicaine elle-même se taisait où en rajoutait dans le politiquement correct par craine d’être accusée de favoriser l’idéologie sécuritaire et le Front national. Cela était d’autant plus grave que les jeunes qui cassaient les voitures, les bus, menaçaient les instituteurs, caillaissaient la police, attaquaient les médecins de nuit, étaient en général des enfants nés en France. 2005, cela aurait dû être un signal d’alerte clair et un appel à une autre politique. Onze ans plus tard, on peut le constater, la dénégation a été la règle. Le mot d’ordre des politiques a été "courage fuyons !".

On assista à deux stratégies d’évitement. L’une qui consistait à ne voir dans chaque cas, qu’un cas particulier. Et cela malgré la répétition de ces cas. L’autre qui consistait à dire que les coupables n’étaient pas responsables : c’était la faute à la société, au capitalisme, à l’inégalité, aux injustices.

C’est dans ce cadre que se situe le second problème qui apparaît avec cette montée en puissance de l’irresponsabilité. Cela concerne les actes antisémites de ces mêmes jeunes. Et la montée d’une vraie menace déniée : l’islamisme, qui était lié à cet antisémitisme d’un type nouveau. Les actes antisémites s’étaient multipliés avant 2005, par des insultes, des profanations de cimetière, des agressions, des graffitis antisémites dans certaines cités. La montée de l’islamisme radical et celle de la délinquance étaient clairement concomitantes. Ce qui ne devait pas être vu, c’était l’échec spirituel envers ces jeunes nés en France. Et la montée du radicalisme islamiste qui était la vraie cause des débordements, quand les islamistes n’en étaient pas les organisateurs, parfois à partir de mosquées sauvages dirigées par des imams djihadistes ou des Frères musulmans. Un islamisme qui mettait en avant l’antisémitisme comme un de ses moteurs de recrutement et d’apprentissage de la violence par la haine.

Les politiques avaient déjà feint de ne pas voir que dans quantité de quartiers, des jeunes avaient salué les attentats de 2001 à New-York. Ils n’avaient pas vu se développer le port du niqab ou les comportements violents envers les "Gaulois" et surtout les femmes, sans même évoquer les huées contre la Marseillaise ou les drapeaux français brûlés lors de certaines rencontres sportives. Ils ont refusé de voir l’antisémitisme. L’antisémitisme a été relayé par l’extrême-gauche. On ne dira jamais assez la part de responsabilité de cette extrême-gauche et de ces philosophes postmodernes, comme Foucault ou Derrida, dans la montée de l’antisémitisme et de l’islamisme radical. Au nom de la lutte des "dominés" contre les "dominants" et le système capitaliste, ils justifiaient tout, y compris l’ignominie. Leur responsabilité dans les actes horribles qui allaient survenir est entière. Chaque jour, l’extrême-gauche, à l’exception de quelques groupes, dénonçait ainsi Israël et le sionisme au nom de l’oppression des Palestiniens. Ce qui justifiait en retour la haine d’Israël mais jamais celle des Etats voisins dont certains n’étaient pourtant que des dictatures sanguinaires, n’hésitant pas, parfois, à financer le terrorisme et l’horreur. Sous prétexte d’accuser le "sionisme", doctrine qui vient d’ailleurs de la gauche socialiste, c’est l’antisémitisme qui était développé.

On a ainsi vu une connexion de l’islamisme et de l’extrême-gauche. Phénomène qui ne fut d’ailleurs pas spécifiquement français, puisque l’on assista au même processus en Italie et en Espagne mais aussi en Egypte et en Iran où les islamistes et l’extrême-gauche, qui souvent se sont rencontrés en prison, ont développé en commun un antisémitisme souvent ouvert. En face de cela, les deux stratégies d’évitement ont été mises en place. Les délinquants et les criminels agissant en groupe le plus souvent, et issus de la seconde voire de la troisième génération, étaient soit des cas isolés, soit des réactions de jeunes qui ne supportaient pas l’injustice. Jamais des actes relevant d’une même idéologie islamiste qui grossissait..

2005, aurait pu être l’occasion de changer de politique, mais rien ne fut changé. Au lieu de prendre les mesures adéquates, les politiques ont laissé passer la crise. Il est assez incroyable de constater la tendance des professionnels politiques de gauche de ne pas vouloir affronter les questions par démagogie, car c’est exactement de cela dont il s’agit, la peur de perdre des voix en étant accusés de racisme. Ce qui a d’ailleurs permis au Front national de commencer à grossir, fort de cet aveuglement républicain. L’irresponsabilité a été globale.


La phase II arrive assez naturellement peu de temps après.

L’horreur du supplice d’Ilian ne laisse aucun doute sur la volonté destructrice antisémite des ravisseurs. Jusqu’à avoir rasé ses cheveux à la façon dont opéraient les bourreaux des camps d’extermination. Il aurait été inutile de torturer avec autant de jouissance s’il ne s’était agi que de récupérer une rançon. Et il s’agissait de l’acte d’un "gang", dirigé et composé par de jeunes islamistes. Fait qui a été nié par l’avocat de l’un des bourreaux incapable d’expliquer pourquoi la police a retrouvé du matériel de propagande salafiste ainsi que du matériel du Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens, lié aux terroristes du Hamas. Incapable de voir la relation entre l’islamisme de Youssouf Fofana, qui dirigeait le groupe, et qui, aujourd’hui encore, en appelle au djihad en prison et l’abjection. Incapable de comprendre la motivation de cette multiplicité des violences sadiques.

Nous entrions dans une nouvelle ère. Et, faute d’une politique responsable, la France allait payer très cher ce laxisme. En effet, passé le temps de la colère qui put faire croire, un instant, au réveil des hommes politiques sur la nouvelle phase où s’engageait une partie de cette jeunesse non assimilée de 2005, on vit les mêmes, à gauche, dénoncer la politique "sécuritaire", et, à droite, reprendre les rengaines de la politique d’intégration. Nous payons aujourd’hui encore cette incroyable cécité.

Zohra Bitan : Depuis la mort atroce d’Ilan Halimi, il y a eu Merah, Nemmouche puis les attentats de janvier 2015 et ceux du 13 novembre. Cela fait beaucoup, c’est énorme, c’est trop ! Les gouvernements successifs de ces 30 dernières années mettent les banlieues en scène chaque fois qu’un évènement concerne ces territoires. Cela dure le temps médiatique, puis il ne se passe plus rien. Pour les Français, y compris les habitants des banlieues, il n’y a pas de temps médiatique, il y a le quotidien et son lot de problèmes. On a d’un côté ceux qui n’y habitent pas et dont la mémoire fige les actes d’une minorité et emmène avec elle tout le monde sans aucune distinction ; et d’un autre côté les habitants des cités qui eux ne voient rien changer.

Quand j’observe les orientations de la politique de la ville, j’ai l’impression d’être encore dans les années 80,90. Les mêmes mots, les mêmes concepts, les mêmes phrases avec une nuance près : la prévention de la radicalisation. Pourtant, la cour des comptes, en 2012 a dressé un bilan sévère la qualifiant d’inefficaces, peu évaluée et à un coût très important au regard des résultats obtenus. Enfin, la politique de la ville a revu les chiffres des quartiers prioritaires pour passer de 2500 à 1500, puis a modifié ses indicateurs pour ramener ceux-ci aux seuls revenus des foyers. Ce qui a permis d’intégrer des zones rurales. Cette comptabilité pour initiés n’a pour l’heure pas encore créé de changement concret pour ces quartiers.

Seuls les alerteurs ont vu venir la montée d’un refuge identitaire dont l’islam est le terreau, mais personne n’a voulu croire que ces cités abandonnées à l’entresoi fabriquaient le "hors la République" ou le "sans la République". On assiste non pas à un islamisme radical mais à la radicalisation de l’islam. L’islam comme une foi intime devient un instrument d’attaque contre les autres, la société, et ceux que l’on accuse de nous exclure, discriminer etc.

Ce qui a changé entre la mort d’Hilan Halimi, les émeutes de 2005 et aujourd’hui, c’est une fracture encore plus profonde entre une communauté nationale et des Français qui habitent les cités. Le chômage est venu rajouter une hauteur de barbelés à un mur de fer déjà bien haut qui entoure ces territoires. Aucune réponse pertinente n’a été apportée depuis. La politique de la ville n’a absolument rien apporté de plus que ce qu’elle a toujours fait ; de l’éducation sur mesure version paternalisme, compassion et misérabilisme. Pour preuve, les propositions du ministre qui évoquait de faire appel au stand up et au hip hop... Quel mépris là encore que cette réponse médiocre. Comme si l’éducation avait un mode d’emploi pour leur progéniture et une autre pour les pauvres. 

Il faudrait réorienter les moyens vers un plan d’accompagnement des parents pour qu’ils prennent pleinement leur rôle et leur responsabilité dans l’éducation de leurs enfants. Il manque les moyens de punir les actes de délinquance des mineurs lorsque ces actes sont à leur début. Faute de structures, il n’y a pas de punition et on ne peut éduquer sans punir. Il manque un discours qui sort de la peur d’en rajouter une couche. Je m’explique et je cite ce que j’entends : "comme ils (dans les cités) subissent déjà le racisme, les discriminations, le chômage, on ne va pas non plus les désigner sur l’islam". Premièrement, tous les habitants des cités ne sont pas musulmans et tous les musulmans qui habitent ces cités n’ont pas une pratique radicale. J’ajoute que l’islam n’a pas à être invité dans des questions de l’ordre de l’éducation, de l’économie, du logement ou encore de la culture. Et constatant la pléthore de religieux conviés sur les plateaux télé et au chevet des politiques en mal de réponses à la terreur, c’est encore une fois poser l’islam comme recours !

Quelle erreur, quel danger, et quel mépris ! Réintégrer ces cités dans la communauté nationale passe par un pacte fort entre l’état et ces cités par du donnant-donnant. Accompagner vers l’autonomie par les efforts de chacun. Chaque mesure doit viser à non seulement permettre de s’extraire de sa condition sociale, mais aussi faire partie de la communauté nationale. L’origine et les identités individuelles des gens n’empêchent en rien les citoyens de ces quartiers de faire France avec l’ensemble des Français. Mais malheureusement, aujourd’hui est pire qu’hier car l’islam radical qui tue est passé par là, il est parmi nous et je ne vois personne capable de construire le pont qui permettra à la majorité, hélas condamnée à la stigmatisation par la faute d’une minorité, de sortir du piège dans lequel l’absence d’une politique efficace les a enfermés. Sans compter le clientélisme local et national qui perdure par des perches tendues qui non seulement coulent ceux qui les prennent mais montrent combien la lâcheté de nos dirigeants risque d’amplifier la France patchwork qui s’affronte.

L’antisémitisme est partout dans notre société, ce n’est pas l’exclusivité des banlieues. Mais il trouve son envol avec des gens comme Dieudonné, Soral et compagnie qui créent des concepts nauséabonds bien ficelés et qui viennent donner corps, justification à des problématiques sociales et économiques. Quand on a laissé des gens au bord du chemin, et qu’on leur rend visite uniquement pour leur distribuer quelques miettes d’assistanat sans jamais considérer qu’ils sont capables de mieux en faisant leur part d’effort, on crée de l’espace pour mettre les disquettes de la haine. Puis celle-ci s’intègre facilement, drapée de l’antisémitisme pour venir dire aux "abandonnés" que leur relégation s’explique par une seule théorie : celle du complot ! A qui la faute, cette possibilité d’emmener des gens à haïr au point de tuer ? A une classe politique qui a géré des citoyens dont la plupart sont français comme si elle était encore au temps des colonies. Il n’y a pas plus violent que de considérer que son origine sociale et/ou ethnique dispense de l’effort individuel et n’invite qu’à des droits et jamais de devoirs. Donner sans demander de se mettre en mouvement c’est habituer l’autre à prendre. Alors, les attentats passés par là, venir les accuser de tout, et pire, leur dire on ne donne plus rien, ou stop à l’assistanat est tout aussi dangereux. Je ne suis pas une adepte de l’assistanat mais maîtrisant parfaitement la politique de la ville depuis 30 ans, je sais les erreurs commises et les manœuvres dangereuses que nous payons aujourd’hui.

Je ne crois pas en l’Etat-providence et je me méfie de l’angélisme qui m’inspire davantage de mépris et qui s’apparente finalement à une forme de violence. Je crois en la famille, la patrie, la république et en la capacité de l’humain à faire le chemin pour sortir de sa misère ; l’Etat ne doit être là que pour indiquer le chemin, débroussailler les obstacles ; on ne peut faire le bonheur des gens malgré eux. Il va falloir beaucoup de courage pour oser le bon diagnostic sans abîmer davantage la majorité des citoyens qui vivent en banlieue et donner de l’espoir à tous les Français que nous pouvons reconstruire la communauté nationale.

Pour faire revenir le calme, Jacques Chirac décrète l'état d'urgence le 8 novembre en Conseil des ministres. Le 17, la police déclare que la situation est redevenue normale. Mais quelles ont été les réponses de fond apportées à ces problèmes ? 

Yves Roucaute : Un état d’urgence a été mis en place, qui n’aurait jamais dû l’être car on aurait dû prendre des mesures auparavant pour éviter cette dégradation de la situation qui a conduit à cette explosion. Cet état d’urgence, nécessaire, rétablit le calme mais superficiellement. C’est un cataplasme qu’on met sur une jambe de bois. On croit que la crise n’est plus là uniquement parce qu’on ne voit plus les débordements et que l’on ne montre plus dans les médias son ampleur et son étendue. Or, rapidement après la fin de l’état d’urgence il apparaît que les incivilités sont là, que les voitures continuent de brûler encore aujourd’hui, que l’insécurité demeure et augmente. Et, surtout, signe de la progression de cette phase II, les comportements montrent que de plus en plus de jeunes sont attirés par les thèses djihadistes et salafistes tandis que l’antisémitisme et la détestation des femmes libres se développent dans certains quartiers. Mais comme on interdit techniquement les émeutes massives, on fait comme si la cause de ces émeutes avait été réglée. Ce qui n’était évidemment pas été le cas.

Je ne rentrerai pas dans le détail des mesures du gouvernement de l’époque, car les seules mesures à prendre résidaient, clairement, dans un retour à une politique d’assimilation, conjugué à une sanction pour ceux qui ne s’assimilaient pas. Il fallait développer envers ces jeunes à la fois une politique de la main tendue pour les aider à s’assimiler et une politique du bâton car il faut leur apprendre qu’il y a des lois et des interdits. Or, les politiques ont tergiversé parce que nous n’avons clairement ce qu’il fallait faire. Par exemple, pour revenir sur l’affaire Halimi, la presse a eu peur pendant quelques jours de parler d’acte antisémite, alors que nous étions quand même devant un acte clairement antisémite. C’est Le Monde, je crois, qui a le premier révélé le sens de l’horreur. A la suite de cela, les politiques ont développé un discours classique pour rassurer les Juifs. 

Mais qui s’est attaqué au mal à la racine ? Qui a nommé, simplement nommé, l’ennemi qui venait de montrer sa face répugnante ? Qui a dit que l’islamisme radical se développait dans le pays ? Je pense avoir été l’un des seuls, du côté du camp républicain. Mais que vaut un philosophe quand tant de savants expliquaient que le djihadisme était un problème extérieur au pays, du côté des Talibans afghans, du Hamas ou du Hezbollah ? Au lieu d’appeler un chat un chat, l’idée au fond était que c’était un acte fait par des dégénérés, des fous isolés. En quelque sorte, pour la société française, c’était un accident.

Le mot "barbare", que le gang s’était lui-même attribué, est venu comme facteur explicatif dans les médias. Il joua son rôle de vertu dormitive à merveille. Appeler ces gens des barbares au lieu de les dire "islamistes djihadistes" ou "Frères musulmans" ? Cela a deux avantages pour ceux qui sont fatigués de penser. Cela a un côté incompréhensible et cela évite de poser des questions sur les appuis internationaux et de se fâcher avec certains alliés. Comme la Barbarie n’est pas un pays, cela tombe bien. Second avantage, le barbare signifie l’étranger, l’autre, celui qui vient d’une civilisation extérieure. Cela permet de dégager en touche la question de la politique publique à mener pour régler le problème. Or, Fofana n’est pas un barbare, c’est un islamiste antisémite. Et ils sont nombreux comme lui au sein de cette nation française qu’ils détestent. Au sein de la nation, non à l’extérieur.

J’insiste par ailleurs sur les islamistes djihadistes ou Frères musulmans, car il n’est pas innocent que ces tueurs de Français soient des tueurs de juifs, de chrétiens, de non-croyants, de bouddhistes, mais aussi de musulmans. Si Mohammed Merah a tué aussi des musulmans, des Francais d’origine algérienne ou marocaine, c’est que pour ces gens-là, la question de l’origine ou de la religion n’est pas le problème ! Le vrai problème est celui du djihadisme, soit vous participez à leur djihadisme soit vous êtes mis en esclavage, soit vous mourrez. C’est ce qu'il se passe dans "l'Etat islamique". Et comme les djihadistes ne sont pas tous d’accord, cela explique que le djihadiste peut aussi tuer des djihadistes.

La réponse de fond, nous y reviendrons, c’est d’abord le refus de rentrer dans leurs débats et leurs problématiques. Il convient de rappeler quels sont nos valeurs, notre mode de vie et notre vision.  Et bien marteler qu’il y a un contrat éthique et social en France qui impose des devoirs. Et de se souvenir que rappeler les termes d’un contrat ne suffit pas car les contrats sans épée ne sont que des mots creux.

Zohra Bitan : Déjà Chirac, en 2005 avait évoqué une "crise d’identité". Il faut entendre par "la situation est devenue normale" qu’au bout de neuf jours de présence policière, on ne comptait plus de violences dans ces quartiers. Pour autant, le silencieux cocktail des jets de pierre et le festival des voitures brûlés n’auguraient en rien que la situation était réglée, bien au contraire. Le sentiment de ne pas avoir été entendu même si la violence n’est pas la solution pour poser un problème s’est ravivé car les mesures ne sont jamais arrivées. La seule réponse de forme qui a été apportée après est le plan ANRU qui a permis de donner un nouveau visage à certains quartiers. Et même si le béton n’a pas vraiment changé la vie dans ces quartiers, c’est une première marque de respect pour les habitants. 

Par ailleurs, Jean-Christophe Cambadélis souhaite profiter de la réforme constitutionnelle pour en retirer toutes les références à la "race". En quoi cette démarche est-elle symptomatique de l'incapacité d'une partie des représentants politiques à aller dans le sens de l'apaisement plutôt que de la division au sein de la société française ? Et pourrait-elle être à l'origine de l'absence de réponse des pouvoirs publics ?

Yves Roucaute : Qui s’intéresse à ce débat alors que le chômage et l’insécurité menacent les citoyens et que gronde un nouvel orage financier, parti de la Chine cette fois ? Est-ce cela l’urgence ? N’est-il pas temps que notre personnel politique pense le réel et abandonne les "coups" ? Nous avons besoin d’une gauche et d’une droite responsables qui iront à la recherche du bien commun. Néanmoins, il est pourtant possible que cette idée révèle un refus idéologique dont la France souffre depuis longtemps : l’absence de droit à faire des études sur l’origine ethnique des populations.

Certes, il serait facile de s’en tenir à dire que s’il n’y a plus de race, il n’y a plus de racisme. Supprimer serait alors une absurdité théorique. Il serait aussi amusant de demander à nos donneurs de leçons,  en quoi évoquer la race serait la marque d’un esprit raciste ? Les Etats-Unis ou le Canada qui admettent cette notion sont-ils des Etats racistes ? Et les anthropologues du monde entier qui en discutent, doivent-ils être condamnés par le tribunal socialiste ?

Avant d’aborder ce qui est occulté par ce dirigeant socialiste, rappelons que certains disent qu’il faudrait remplacer "race" par "ethnie". On serait poussé à leur dire que si l’origine grecque plaît mieux que l’origine latine, pourquoi pas. Après tout, transformer Zeus en Jupiter ne change pas vraiment le personnage. Pour ma part, je préfère d’ailleurs le mot ethnie qui me paraît plus propre à identifier un mixte d’origine géographique et de racines culturelles.

Et j’ose poser cette question à nos dirigeants socialistes : comment voulez-vous diriger un pays quand vous ne savez pas quelle est l’origine des populations ? Il ne s’agit pas d’imaginer des "races pures", ni, encore moins, de juger selon l'origine ethnique. Et j’admets cette idée que la force de notre nation française par rapport à la plupart des autres, est qu’elle est métissée ethniquement et depuis longtemps, avant même Clovis en vérité.

Mais ce que je vois aussi très clairement, c’est qu’il est impossible d’attaquer le djihadisme par exemple sans tenir un discours adapté à la réalité française. Or, il n’est pas possible d’argumenter avec une population musulmane issue d’Afghanistan ou issue du Maroc. Les discours abstraits sont toujours les ennemis des discours politiques efficaces. Il en va de même pour traiter des questions de délinquance : comment parvenir à permettre l’assimilation des valeurs et le respect du mode de vie commun ? Le travail n’est pas le même selon les origines, c’est un fait. Et pour appréhender ce fait, la France a besoin de libérer les statistiques ethniques, comme cela se fait dans tous les pays développés.

Zohra Bitan : Quand les socialistes ont un problème, ils ont deux solutions : soit ils changent le nom du problème, soit ils créent un autre problème. C’est dire ! Le Parti socialiste commémore et sert de la symbolique pendant que le chômage ravage des vies et tue même, pendant que les travailleurs sont de plus en plus précaires, pendant que le chômage connaît des pics sans précédent chez les jeunes des quartiers, etc. Aucune réponse pertinente et efficace n’est apportée aux problèmes les plus importants de notre pays. Le sens de l’action politique doit s’inscrire dans le sens du quotidien des français. Et même si supprimer le mot "race" est un acte louable, c’est comme si l’on mettait une perle sur un tas de crasse. C’est presque indécent et méprisant pour les millions de Français qui souffrent de subir les grandes phrases, et des actes à côté du réel. Alors je me demande si nous avons affaire à des amateurs, des incompétents ou des cyniques ? Je n’ose pas la réponse.

Education, réponse pénale, développement économique... Qu'aurions-nous pu mieux faire ? Certaines initiatives, publiques ou privées, pourraient-elles selon vous contribuer à résoudre ces tensions de manière efficace ?

Yves Roucaute : Il y avait et il y a deux chemins  possibles.

Le premier est le chemin de la répression. Là encore, nous sommes victimes de l’idéologique de la gauche laxiste post-moderne. Certains font comme si la répression ne faisait pas partie de la prévention. Or, c’est faux ! Une société qui ne réprime pas les instincts bas ne peut pas être civilisée et policée. Si vous n’apprenez ni la propreté, ni la politesse à un enfant, il ne sera jamais ni poli, ni propre. Mais comment lui apprendre ? La persuasion certes, mais aussi la menace de répression permet à cet enfant d’assimiler les valeurs. Et comme une menace sans crédibilité de l’exercer ne vaut rien, il est clair que la punition, fut-elle douce, s’impose. Il est important de préciser qu’une grande partie de ces jeunes qui brûlent des voitures et insultent des femmes ne sont pas perdus pour la République, à condition qu’elle leur rappelle qu’il y a des interdits en France. Sinon, ils passeront de la phase I, de rejet, à la phase II, d’attaque contre la France.

D’ailleurs, pour une grande partie d’entre eux, cela va rassurer les délinquants. Il y a beaucoup de familles disloquées dans les quartiers déshérités, d’enfants qui ne savent plus ce qui est interdit ou pas. La figure paternelle a souvent disparu, et l’interdit aussi. Rappeler à ces enfants qu’il y a des interdits est le meilleur service à leur rendre, pour qu’ils ne soient pas malheureux et ne s’engouffrent pas dans des impasses de violence et d’exclusion. Ils apprécieront l’école et trouveront du travail plus facilement. Il faut que la République rappelle qu’il y a des sanctions pénales fortes. A titre d’exemple, il est urgent d’installer un délit de harcèlement dans les rues, qui existe par ailleurs aux Etats-Unis. Il faut apprendre à une partie de cette jeunesse laissée à l’abandon qu’il faut respecter les femmes, les juifs, les bouddhistes, les catholiques, les uns et les autres. La répression est donc le premier chemin à suivre, et c’est un chemin positif.

Le deuxième chemin à suivre, c’est la reprise en main de tous ces quartiers par l’éducation, par le travail, par des moyens de gestion et d’intervention. Ce n’est possible que si nous connaissons bien ces univers. Il faut arrêter les politiques d’opacité. Il faut savoir d’où viennent les gens. Un immigré venant d’Algérie n’est pas semblable à un immigré venant du Togo. Nous devons savoir d’où viennent ces jeunes pour pouvoir intervenir et les aider. Et cela vaut aussi pour la religion, car on ne parle pas de la même façon à un musulman d’origine turque et à un musulman d’origine iranienne. Il faut donc libérer les recherches et les statistiques ethniques qui sont aujourd’hui interdites sous prétexte de racisme. C’est le premier stade pour analyser la situation afin d’aider ces gens qui, sinon, tombent du côté de la haine. Et quand ils sont dans la haine, c’est trop tard. Il devient très difficile de les remettre en place. Nous le voyons bien depuis 2005.

Ces deux chemins se recoupent, évidemment. Il est plus facile d’empêcher un adolescent d’adhérer au djihad s’il a assimilé durant son enfance l’interdiction d’insulter les femmes ou d’agresser ses copains juifs. Et une action ciblée aura ensuite plus de chance d’avoir un effet positif pour lui et le pays.

Zohra Bitan : Soutenir la parentalité – Punir le premier acte de délinquance – Former avant l’échec scolaire. Il faut un plan national d’éducation, et quand je parle d’éducation je ne parle pas de l’école, mais de l’éducation à la parentalité. Il faut d’urgence remettre la chaîne éducative en bon ordre. Ce n’est pas à l’école de tout assurer mais d’abord aux parents qui sont le premier maillon de cette chaîne éducative. Partout en France, la politique de la ville doit avoir cette exigence ; faire en sorte que les parents jouent leur rôle et mettre en place les dispositifs pour les y accompagner. La construction d’une famille, fusse-t-elle monoparentale, est indispensable pour le ou les parents, les enfants et la société toute entière.

Par ailleurs, le second plan à mettre en œuvre, c’est les moyens de punir tous les actes de délinquance quand ceux-ci sont les premiers afin d’éviter des récidives et l’escalade vers des actes de plus en plus grave. Il faut donc ouvrir des structures d’éducation adaptées de type centre éducatif fermé, peu nombreux en France. La prison n’est pas l’endroit adapté pour les primo-délinquants. Enfin, revoir toute l’organisation de l’orientation scolaire en mettant les moyens dans l’apprentissage, la formation en entreprise et construire des parcours d’effort individuel. Réinstaurer le goût de l’effort qui participe de l’estime de soi et de la fierté de réussir. Je m’explique : offrir à chaque jeune la possibilité de s’orienter vers l’apprentissage dès le collège lorsque les filières classiques ne lui conviennent pas. Ne pas attendre l’échec scolaire. C’est avant ce décrochage qu’il faut intervenir. Donner la possibilité à chaque jeune de choisir un métier et lui proposer le parcours pour se former.

La gauche en particulier a échoué sur la question de l’antiracisme et de la lutte contre les discriminations. Je pointe la gauche car elle est à l'origine de quasiment toutes les initiatives et mesures, chaque fois qu’elle a été au pouvoir que ce soit au niveau national ou au niveau local. On n’efface pas l’ardoise des échecs en faisant croire à la fermeté aujourd’hui. On regarde de très près pourquoi cela a échoué, sans tabou et sans déni et on propose de meilleures solutions. Nous n’en sommes pas encore là.

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