Éducation : pour traiter les inégalités sociales à la racine, ce sont les convictions des parents qu’il faut changer<!-- --> | Atlantico.fr
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Faut-il encourager les politiques à pencher vers plus d'action pour changer les croyances des parents afin de permettre de lutter contre les inégalités éducatives ?
Faut-il encourager les politiques à pencher vers plus d'action pour changer les croyances des parents afin de permettre de lutter contre les inégalités éducatives ?
©MARTIN BUREAU / AFP

Influence contre-productive ?

Selon une étude de chercheurs et d'économistes de l'université de Chicago, les convictions des parents en l'utilité de l'investissement parental dans la formation de l'enfant sont à l'origine des inégalités éducatives et sociales.

John List

John List

John List est professeur d'économie à l'Université de Chicago.

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Julie Pernaudet

Julie Pernaudet

Julie Pernaudet est chercheuse associée en économie à l'Université de Chicago. Ses recherches portent sur l'éducation et la santé.

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Dana Suskind

Dana Suskind

Dana Suskind est codirectrice du TMW Center for Early Learning and Public Health à l'Université de Chicago, professeure de chirurgie et de pédiatrie et directrice du programme d'implant cochléaire pédiatrique.

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Atlantico : Dans un document de travail pour le National Bureau of Economic Research, intitulé "It all starts with beliefs : Addressing the roots of educational inequities by shifting parental beliefs", vous soulignez le fait que la croyance des parents en l'utilité de l'investissement parental dans la formation de l'enfant est à l'origine des inégalités éducatives. Quelle est la profondeur de ce phénomène ?

John List, Julie Pernaudet et Dana Suskind : Les écarts socio-économiques dans le développement de l'enfant sont largement documentés, et les recherches montrent qu'ils se manifestent très tôt. À ces stades précoces, les investissements parentaux constituent un élément clé de la formation des compétences des enfants. Par investissements parentaux, nous faisons référence aux activités quotidiennes telles que faire la lecture aux enfants, jouer avec eux, avoir des conversations avec eux, par exemple. Nous savons que ces comportements parentaux sont influencés par une multitude de facteurs, et des études récentes suggèrent que les croyances des parents quant à l'impact de leurs investissements sur le développement de l'enfant en font partie. Ce que nous ne savions pas et que nous avons décidé d'explorer dans notre article, c'est si et comment ces croyances peuvent être modifiées, et dans quelle mesure les modifier conduirait les parents à augmenter leurs investissements. Pour répondre à ces questions, nous avons mené plusieurs expériences de terrain auprès de centaines de parents et d'enfants vivant dans la région de Chicago. Nous avons appris que, tout comme les écarts de compétences des enfants et d’investissements des parents suivent clairement l’échelle socio-économique, les parents ayant un revenu et un niveau d’éducation plus élevés sont également plus susceptibles de croire que les investissements parentaux ont un impact sur le développement de l'enfant que les parents ayant un statut socio-économique moins favorisé. Nous montrons également qu’à la suite de notre programme de visites à domicile, les parents de statut socio-économique défavorisé étaient plus susceptibles de croire à l’importance de leurs investissements, ce qui a conduit à davantage d'interactions parents-enfants. Six mois plus tard, les enfants avaient un niveau de vocabulaire, des compétences mathématiques et socio-émotionnelles plus élevés. Ensemble, ces résultats suggèrent que les différences de croyances des parents quant à l'impact de leurs investissements peuvent être à l’origine d’une partie des inégalités éducatives.

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Le principal travail que vous menez consiste à voir si ces convictions peuvent évoluer et par là même remédier aux inégalités observées. Comment avez-vous créé les modèles permettant de vérifier votre hypothèse ?

Récemment, les économistes ont développé l’idée de modéliser le processus de développement de l'enfant comme une fonction de production qui dépend, entre autres facteurs, des apports parentaux. Ce type de modélisation a permis d'estimer la synergie entre les différents « facteurs de production » et de mieux comprendre la dynamique de la formation des compétences. Nous avons ajouté une étape préalable en modélisant les apports des parents comme dépendant de leurs croyances quant à l'impact de leurs investissements sur le développement de l'enfant et avons émis l'hypothèse que ces croyances varient avec le niveau d'information des parents. Nos programmes expérimentaux testent empiriquement cette hypothèse en informant un échantillon aléatoire de parents de statut socio-économique défavorisé des pratiques parentales les plus bénéfiques au développement des enfants et en comparant leurs croyances, leurs comportements et les compétences de leurs enfants à un groupe de contrôle.

Vous avez testé deux modèles, l'un "incitant" les parents, l'autre les incitant davantage par une intervention à domicile. Dans quelle mesure ces expériences ont-elles réussi à modifier les croyances des parents ? Dans quelle mesure l'enfant a-t-il bénéficié de ce changement de croyance ?

Bien que les deux programmes expérimentaux aient amélioré les croyances des parents, l'impact de notre intervention de visite à domicile a été deux fois plus fort que celui de notre intervention moins intensive fournissant uniquement des conseils éducatifs. In fine, seule l'intervention à domicile a entraîné des améliorations significatives des compétences des enfants. Comprendre les mécanismes exacts à l'origine de ces différences est une question importante que nous prévoyons d'aborder dans des recherches futures.

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Faut-il encourager les politiques à pencher vers plus d'action pour changer les croyances des parents ? Investir dans le système scolaire est-il inutile si l'on ne change pas les croyances dans la sphère privée ? Les inégalités éducatives peuvent-elles être réduites uniquement par un changement des croyances ?

Notre étude montre que les interventions éducatives visant à changer les croyances des parents peuvent à terme contribuer à mieux préparer les enfants de statut socio-économique défavorisé  à l'école, ce qui est essentiel pour leurs trajectoires futures et pour la société en général. Bien que nous n’étudions pas les interactions entre les apports des parents et ceux du système scolaire, nos résultats ne suggèrent absolument pas que les croyances des parents remettraient en cause les bénéfices que des améliorations du système scolaire pourraient apporter. De nombreux facteurs entrent en jeu dans le processus de construction d'un meilleur avenir pour les enfants et de réduction des disparités socio-économiques. Nos recherches révèlent que faire évoluer les croyances des parents est une voie possible, mais ce n'est certainement pas suffisant. Il existe d'autres facteurs d'inégalités éducatives sur lesquels seuls des changements structurels profonds peuvent agir ; d'autres études ont montré que l'augmentation des investissements dans le système scolaire est l'un d'entre eux.

Pour retrouver l'étude de John List, Julie Pernaudet et Dana Suskind publiée sur VoxEU : cliquez ICI

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