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Eco-anxiété : comment détecter ceux qui en sont atteints et comment y remédier ?
©Thomas SAMSON / AFP

Pathologie

Défini comme un "désordre psychologique assez récent qui s'inquiètent de la crise environnementale" par Psychology Today, le phénomène d'"anxiété écologique" affecte un nombre croissant d'individus.

Jacques Fradin

Jacques Fradin

Jacques Fradin est médecin, comportementaliste et cognitiviste.

Il a fondé en 1987 l'Institut de médecine environnementale à Paris. Il est membre de l’Association française de Thérapie comportementale et cognitive.

 

 

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Atlantico : Selon Anxiety UK, plus d'un adulte britannique sur dix est susceptible de souffrir d'"éco-anxiété" au cours de sa vie. Défini comme un "désordre psychologique assez récent qui s'inquiètent de la crise environnementale" par Psychology Today, le phénomène d'"anxiété écologique" affecte un nombre croissant d'individus. Quels sont les symptômes et les causes de l'éco-anxiété ? Est-ce un trouble nouveau ?

Jacques Fradin : Un individu victime d'éco-anxiété est quelqu'un qui a le sentiment d'impuissance face aux problèmes de dégradation des écosystèmes, sur lequel il pense ne pouvoir qu'agir de façon microscopique. Cela confronte à l'impuissance de l'action et à la mort, sauf qu'il ne s'agit pas d'une mort personnelle mais de collapsologie, à savoir que les systèmes de croissance actuels ne sont pas soutenables et comme la trajectoire ne change pas, un certain nombre de gens réagissent de façon anxieuse pour des raisons mi-rationnelles mi-psychologiques. La problématique telle qu'elle est posée n'est plus de l'ordre de quelques Cassandre et autres dramaturges mais de la communauté scientifique, ce qui en donne le caractère plus anxiogène pour une certaine partie de la population.

Les thérapies cognitives nous disent que l'on a deux grands facteurs de stress : des facteurs externes, de non-maitrise et de danger (environnementaux ou politiques) ; des facteurs internes, de "stressabilité", c'est-à-dire notre réceptivité au stress et à la non-maîtrise. Les premiers facteurs relèvent de facteurs plus ou moins objectivables. A l'inverse, la réactivité au stress traduit toutes les difficultés que l'on n'a pas réglé dans notre propre vie, aux échelles individuelle ou collectives, sur le sentiment d'impuissance, la capacité à faire face à l'incertain, à se heurter au courant dominant. À partir de là, il y a deux grandes sortes de solution : l'action objective (le dernier livre d'Aurélien Barrau par exemple). En effet, il y a besoin d'une évolution, pour ne pas dire une révolution, sur les questions environnementales. De plus, il faut travailler le sentiment d'impuissance : par une psychothérapie par exemple, parce qu'on a toujours une dimension individuelle à gérer pour nous remettre en état de faire face au réel comme il est. Heureusement qu'on arrive d'ailleurs psychologiquement à aider des gens à retrouver leur sang-froid, avant même que les problèmes soient résolus.

Il y a donc de vraies raisons de paniquer au niveau objectif : notre société n'est pas assez lucide, d'un côté. Mais d'un certain point de vue, ce sont ceux qui ne s'inquiètent pas du tout qui devraient préoccuper le plus parce qu'ils vont dans le mur et nous amènent avec eux. Les autres, d'un certain point de vue, ont de la lucidité mais aussi malgré tout des difficultés, sinon la lucidité ne débouche pas forcément sur l'anxiété.  Cela relève de la psychologie ordinaire que d'être prêt au risque individuel ; le risque collectif crée un plus grand sentiment d'impuissance voire d'injustice. On est sur des scénarios qui seraient plus proches du burn-out que de la psychologie au sens strict du terme.

L'éco-anxiété reflète tous les points faibles de notre propre fonctionnement émotionnel. Les gens qui sont frappés d'éco-anxiété sont des gens normaux, donc on devrait le considérer moins comme un trouble que comme des difficultés révélées par des difficultés réelles : c'est grâce à un développement personnel qu'ils devraient être capables d'agir que de déprimer. L'éco-anxiété n'est pas un trouble mais un signal d'alerte, un signal du danger : paniquer devant le danger n'est pas un trouble. L'anxiété est une mauvaise réponse à la lucidité : en ce sens-là il faut la traiter. La bonne réponse à la lucidité, c'est le sang-froid et l'action.

L'angoisse environnementale est-elle un trouble psychologique à part-entière ? N'est-il pas lié à des paniques plus globales (panique devant la mort etc.) ?

On classifie trop par contenus psychologiques plutôt que par processus de réponses du cerveau et de la psychologie. De ce point de vue, l'éco-anxiété est donc plus proche des événements de type anxiété devant la maladie quand on est atteint d'un trouble grave ou anxiété professionnelle quand on n'arrive pas à faire face à certains devoirs que de la dépression au sens strict du terme. En tant que tel, le facteur externe est important mais révèle des faiblesses : il ne s'agit donc pas d'une nouvelle catégorie pertinente au niveau de l'individu, mais plutôt une meilleure prise en compte par notre société de ce nouveau péril. Prenez par exemple Greta Thunberg : elle a affirmé "je veux que vous paniquiez". Ce n'est pas la bonne réponse, même si elle n'est pas insensée. Certaines personnes agissent précocement par rapport à d'autres. On parle beaucoup des système 1 et 2 en psychologie : le premier est émotionnel et concret ; le deuxième est rationnel et anticipateur. C'est le second qui, dans un monde équilibré, devrait dominer le premier. Aujourd'hui, notre société vend beaucoup l'émotionnel et le court-terme : il serait temps de faire un tour du côté de la rationalité et de l'anticipation qui est en grand déficit collectif. C'est moins un sujet nouveau du point de vue psychologique que du point de vue sociétal.

Existe-t-il des thérapies et des traitements capables de soigner l'éco-anxiété ? Les solutions à l'échelle politique pourraient-elles réduire les troubles psychologiques des individus concernés ?

La première solution est d'agir à son échelle pour calmer l'anxiété. LA seconde étape est de travailler sur soi pour comprendre ce que cela déstabilise chez nous, dans notre rapport aux autres. Il s'agit là de psychologie, psychothérapie et développement personnels classiques. L'éco-anxiété peut révéler un burn-out, des fragilités sous-jacentes. Il ne faut pas confondre la remise en état de soi-même pour faire face aux enjeux et les actions que l'on peut réellement entamer pour contribuer à la résolution du problème. Si l'on veut agir collectivement, il faut d'abord retrouver le sang-froid individuellement. Peut-être un élément pour redonner le moral à ceux qui le perdent trop : certains travaux montrent qu'à partir de 2 ou 3% de personnes engagés, une société peut basculer. La plupart des gens sont indéfinis plus qu'hostiles et leur inaction ne traduit pas toujours une conviction. La première chose à faire évoluer c'est l'inertie ; l'anxiété est un deuxième facteur d'échec parce qu'entre l'inertie de l'inconscience ou du sentiment que ce n'est pas urgent et l'inertie liée à la dépression, les deux sont des obstacles. Le sentiment d'anxiété face à la crise environnementale est très intéressant du point de vue de l'évolution parce qu'on a au moins une motivation pour agir : c'est donc un bon moment pour entamer des actions individuelles.

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