Djihadiste en Syrie : "Pourquoi nous considérons que l’Etat est responsable du départ du fils mineur de ma cliente”<!-- --> | Atlantico.fr
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Une mère a porté plainte contre l'Etat parce que son fils est parti faire le djihad en Syrie.
Une mère a porté plainte contre l'Etat parce que son fils est parti faire le djihad en Syrie.
©Reuters

Les enfants du terrorisme

En décembre 2013, il prend un aller simple pour la Turquie, décidé à aller faire le djihad en Syrie. Sa mère porte plainte contre l’Etat et réclame des indemnisations. Son avocate dénonce une “faute grave” commise par les policiers, qui n’auraient pas dû laisser partir un mineur de 16 ans vers un pays réputé pour être une porte d’entrée pour la Syrie.

Samia Maktouf

Samia Maktouf

Samia Maktouf est l'interlocutrice privilégiée en France de nombreuses sociétés tant françaises qu'étrangères ayant des intérêts dans les pays du Maghreb.

Titulaire d'un DEA droit des affaires et économie (Paris I - Panthéon Sorbonne), Samia MAKTOUF est le conseil de sociétés internationales, et notamment de compagnies aériennes.

 

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Atlantico : Quelles sont les motivations de la mère à porter plainte ? Pourquoi considère t-elle que l’Etat a une part de responsabilité dans ce dossier ? Comprenez-vous que la volonté de cette mère à réclamer des indemnisations puisse surprendre certains Français ?

Maître Samia Maktouf : En portant cette affaire devant le Tribunal administratif, ma cliente et moi considérons que l'Etat a commis une erreur, en ne respectant pas le discernement et l’obligation pour le policier aux frontières de faire la part des choses. Ce manque de discernement ne l'a pas conduit à poser des questions précises au jeune mineur. Le policier aurait du être alerté par certains signes (un billet simple pour la Turquie, un jeune seul, sans bagage). Un mineur est une personne vulnérable.

La mère ne fuit pas ses responsabilités. Elle a exercé ses responsabilités jusqu'à l'arrivée du jeune à l'aéroport. La mère a une responsabilité, notamment sur la garde de l'enfant ; mais cette responsabilité ne peut pas s'étendre là où l'Etat a une compétence exclusive, à savoir quitter le territoire français. La responsabilité des parents s'arrête quand il y a une compétence exclusive de l'Etat, qui s'exerce sur le poste frontière, gardé par des agents supposés être formés pour protéger des personnes vulnérables, comme des mineurs. 

Il est difficile d'accabler une mère d'une quelconque responsabilité dans ce dossier. Aujourd'hui, l'Etat doit adapter ses moyens de lutter contre le terrorisme. Ces jeunes, vulnérables, sont des proies faciles pour certains recruteurs. Ces derniers se font très discrets. Chez ce jeune, élevé dans une foi chrétienne, de culture catholique, aucun signe ne pouvait alerter et alarmer les parents. Le dernier rempart reste la police, censée être formé à détecter des comportements. Un jeune qui part, seul, en Turquie, sans bagage, dans un contexte de menace terroriste, aurait du alerter les policiers. 

Je pense que les personnes qui considèrent que la responsabilité incombe prioritairement à la mère commettent une erreur par ignorance. Ces personnes ne sont pas conscientes de la dangerosité du terrorisme aujourd'hui. Ce qui est arrivé à cette mère peut arriver à n'importe quels parents, en France ou en Europe. La situation est grave. 

Quelles sont vos motivations dans ce combat ? Que cherchez-vous à prouver quant à la responsabilité de l’Etat sur ses citoyens ? A travers cette affaire, quel message, quelle vision de la société défendez-vous ?

Je suis avocate et je défends le désarroi d'une mère qui considère que l'Etat aurait pu empêcher son fils de partir. Si l'autorisation parentale de quitter le territoire pour un mineur n'avait pas été abrogée, ce jeune ne serait jamais parti. Aujourd'hui, d'autres jeunes pourraient être la proie de ces recruteurs. Parmi les combats, je souhaite faire prendre conscience aux pouvoirs publics que cette autorisation parentale était capitale. Elle existe encore en Belgique, par exemple. C'était une erreur de la supprimer, et je ne comprends pas qu'on ne l'ai pas encore rétabli. 

Comme toutes les affaires que je traite, je défends un Etat responsable, qui prendrait conscience de la menace terroriste. Chaque citoyen doit-être responsable, en amont. Je ne fais pas le procès de l'Etat. Je souhaite tirer la sonnette d'alarme pour que l'ensemble des acteurs de la société puissent tirer la sonnette d'alarme, et lutter contre le terrorisme, un danger grave et imminent. Je souhaite une société consciente, qui fait face à ses responsabilités. 

Je suis l'avocate de cette mère en partie civile. Cette maman n'a jamais abandonné son fils : elle l'a éduqué, lui a donné de l'amour, lui a permis de dîner tous les soirs en famille. Il ne faut pas tout mettre à la charge de l'Etat. Aujourd'hui, ma cliente est une femme meurtrie, qui a vu son fils disparaître, et espère le voir rentrer au plus vite. 

Cette omniprésence de l’Etat, sur des thèmes de santé, de sécurité, d’emploi, ne conduit t elle pas à déresponsabiliser le citoyen ? Cette affaire est elle une illustration de l’Etat nounou, responsable de ses ouailles, jusqu’à un niveau de détail inédit ?

Dans cette affaire, je ne parle pas d'Etat nounou. L'Etat n'a pas la responsabilité d'éduquer les enfants, de les élever, de les suivre. Je parle d'un Etat qui est capable de promulguer des lois nécessaires face à une société en évolution et à un terrorisme qui s'adapte. Chacun doit être responsable à sa manière, mais l'Etat a une grande responsabilité. 

Je pense qu'il ne faut pas du tout avoir cette lecture du dossier. Ce n'est pas un procès contre l'Etat ou contre la police. C'était une manière de dire que la situation est très grave. La France a donné beaucoup de ses enfants aux recruteurs du terrorisme. Nous devons tous nous interroger sur les failles qui existent dans notre société. 

La bataille de la mère vise à éviter que d'autres mères subissent les même histoires. Si par ce combat, on peut rétablir l'autorisation parentale de sortie de territoire, on aura gagner notre procès. 

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