Derrière le meurtre barbare de Lola, l’état psychiatrique alarmant d’une part grandissante de la population <!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue de l'immeuble à Paris, le 17 octobre 2022, où vivait une collégienne de 12 ans, prénommée Lola, trois jours après la découverte de son corps dans une malle.
Une vue de l'immeuble à Paris, le 17 octobre 2022, où vivait une collégienne de 12 ans, prénommée Lola, trois jours après la découverte de son corps dans une malle.
©STRINGER / AFP

Santé mentale

Parmi les six personnes qui ont été arrêtées dans le cadre de l’enquête sur le meurtre de la jeune Lola, une SDF de 24 ans a été mise en examen. La question de sa santé mentale se pose.

Xavier Briffault

Xavier Briffault

Chargé de recherche au CNRS (INSHSSection 35).
Habilité à diriger des recherches (HDR).

Membre du conseil de laboratoire du CERMES3.
Membre du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), Commission Spécialisée Prévention, Education et Promotion de la Santé.
Expert auprès de la HAS, de l’Agence de la Biomédecine, de la MILDT, de l’ANR, d’Universcience.

Chargé de cours à l’Université Paris V Paris Descartes, à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis. 

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Atlantico : Les récentes affaires comme celle de Lola nous font se poser des questions au niveau de l’état psychologique et psychiatrique global de la population, à quel point y a-t-il une inquiétude grandissante sur ces enjeux ?

Xavier Briffault : Tout d’abord, il faut prendre garde à ne pas tirer abusivement et dans l’émotion des conséquences générales et à long terme d’un évènement qui reste ponctuel et individuel. 

Cela étant, l’état de santé mentale de la population française est très dégradé, et il est certain que des atrocités de ce type, et leur traitement médiatique, contribuent à le dégrader encore davantage. 

Globalement, cet état s'est réaggravé depuis le mois de septembre si on en croit les chiffres de Santé Publique France dans l’enquête Coviprev, une enquête par vague initiée lors de la crise Covid mais qui se poursuit aujourd’hui pour continuer à surveiller la santé mentale en France. Ils en sont à la 35e vague. Depuis le COVID, on a une augmentation très importante des états dépressifs, des états anxieux et des troubles du sommeil. En septembre 2022 on a 18% des gens qui présentent un état dépressif c'est à dire c'est 3 points de plus qu'en mai 2022. Sachant que ce chiffre est presque 2 fois plus important que ce qu'on avait avant la crise COVID. On a donc presque deux fois plus de gens qui sont dépressifs. Il y a 71% des gens qui ont des troubles du sommeil, c’est 4 points de plus que ce qu'on avait en mai 2022. C'était seulement 49% dans le baromètre santé 2017. 

Sur les états anxieux on est à 26% de la population qui présentent un état anxieux caractérisé contre 13% dans le Baromètre santé 2017 donc là c'est vraiment fois deux et c'est à peu près l'équivalent de ce qu'on avait au début du premier confinement qui était de 27%. On a une prévalence des pensées suicidaires qui est à 12% -c'est à dire des gens qui ont pensé à se tuer sans nécessairement passer à l'acte- et c'était 5% dans le baromètre santé 2017. Au total, si on regroupe tout on a 33% des personnes interrogées qui ont soit un état anxieux soit un état dépressif. C’est donc un tiers de la population qui présente un trouble psychiatrique, pas nécessairement gravissime, mais tout de même très inquiétant. 

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Y-a-t-il, chez les populations immigrées vivant en situation irrégulière des parcours de vie traumatiques qui favorisent l’apparition de problèmes psychiatriques ?

Effectivement lorsque l’on regarde les études les populations les plus défavorisées pour des raisons ethniques sont plus touchées par les problèmes de santé mentale, entre autres pour des raisons traumatiques en effet, liées à la leur parcours de vie. Les états de stress post-traumatique, et plus généralement le stress chronique, ont évidemment des conséquences importantes sur la santé, dont la santé mentale. La période COVID a encore aggravé le problème.  Déjà parce que ce sont des populations stigmatisées généralement exclues et le plus souvent plus pauvres que le reste de la population et qui ont moins de ressources financières, cognitives et relationnelles, des moins bons logements. Dès qu'il y a un « stresseur » ou une catastrophe, ils sont beaucoup plus impactés. Et c'est vrai que celle-là a eu un impact très important sur la socialité avec toutes les sortes de confinement, qui ont pu engendrer des formes de durcissement et de repli identitaire en raison d’une diminution de l’altérité des échanges. Cela étant dit, dans une situation où la santé mentale de la population est très dégradée, la violence interpersonnelle très marquée, les perspectives très inquiétantes, il y a une tentation de chercher des boucs émissaires, entre autres dans les populations les plus vulnérables et les plus facilement stigmatisables. C’est, évidemment, une erreur de raisonnement très dangereuse. Chercher la cause d’un problème là où elle n’est pas ne permettra pas d’y apporter des solutions utiles. 

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En France ce qu'on observe sur les troubles mentaux dans les études sur les conséquences de la période COVID sur la santé mentale c'est que les troubles mentaux déjà présents antérieurement se sont aggravés. Ça a rendu les gens plus enclins à la dépression et à l’anxiété. Mais pas seulement, et ça c’est inédit. Aujourd’hui on a des gens qui allaient bien avant et qui vont désormais mal. Mais les gens qui sont dans des CSP défavorisés, ceux qui vivent dans des endroits dégradés, qui étaient dans des logements surpeuplés, qui ne pouvaient pas sortir ou qui n’avaient pas accès à la nature ont été largement plus impactés. En France comme ailleurs, il y a un parallélisme entre les populations immigrées et puis la pauvreté. Le fait de vivre dans des lieux défavorisés dans des banlieues exclues va avec les problèmes de santé somatique, de santé mentale. Il y a un gradient social qui est énorme. Les inégalités sociales de santé sont majeures ; par exemple, il y a plus d'une décennie de différence d'espérance de vie entre les classes les plus défavorisées de la population et les plus favorisées. Ça peut monter jusqu'à 15 ans si on prend vraiment les extrêmes.

Qu’est-ce qui dans les années récentes peut expliquer cette part grandissante des troubles psychologiques et psychiatriques ? La drogue ou la période du Covid et des confinements ?

Dans le COVID il y a plusieurs choses. Il y a le virus en tant que tel avec la peur qu'il a engendré qui est un facteur anxiogène majeur. Le fait que beaucoup de gens sont morts -155000 à ce jour ce qui engendre un gros impact sur les proches, beaucoup de deuils donc de dépression. Ceux qui ont eu un COVID sévère ont craint de mourir, ont pu être hospitalisés, ce qui génère des stress post-traumatiques. Bien évidemment les confinements et leur durée, la versatilité des politiques et les stratégies de de coercition qui ont été utilisées. La manipulation d'un langage anxiogène et centré sur la peur pour amener les gens à agir. Et ça, ça a un effet énorme sur la santé mentale de la population mondiale. 

Ce qui est grave c’est que ce ne sont pas seulement des troubles que l’on peut considérer comme ponctuels. Même s’ils ont largement tendance à se chroniciser, la dépression et l’anxiété sont tout de même supposés avoir un début et une fin. Mais une étude qui vient de sortir (Sutin, A. R., Stephan, Y., Luchetti, M., Aschwanden, D., Lee, J. H., Sesker, A. A., & Terracciano, A. (2022). Differential personality change earlier and later in the coronavirus pandemic in a longitudinal sample of adults in the United States. PLOS ONE, 17(9), e0274542) sur les effets de la période COVID sur la personnalité elle-même (en s’intéressant à ce qu’on appelle les Big five -les 5 grandes caractéristiques structurelles de de personnalité) montre que cette période a eu un impact transformateur pérenne sur la personnalité des populations, en particulier chez les jeunes. Ça a augmenté ce qu'on ce qu'on appelle le neuroticisme (en gros la tendance à éprouver des émotions négatives) et ça a diminué les quatre autres dispositions de personnalité plutôt positives : l'ouverture, la confiance, la curiosité, le fait d'être consciencieux et engagé au travail, etc. Tout cela a été très dégradé. L'estimation que donne l'étude c'est que les 2 ans de COVID ont engendré un changement de la même ampleur que ce qu'on observe habituellement sur des périodes de plus de 10 ans. Normalement la personnalité est un élément stable du fonctionnement des individus.Ce qu’on observe ici au contraire c’est que la période COVID a eu un impact transformateur en profondeur sur la personnalité des gens dans un sens de dégradation de cette personnalité. Et ça c'est probablement encore plus grave que l’augmentation des troubles anxio-dépressifs, parce que cela signifie que cela risque de perdurer pendant des années voire des décennies.

Quel constat peut-on faire de l’état psychiatrique global de la population ?

Le constat que l’on peut faire c’est que c’est très mauvais. Il est même historiquement mauvais. On n’a jamais eu des chiffres comme ça, on n’a jamais eu un ce genre d’épisode dans l'histoire du monde. Et au COVID s'ajoutent la crise énergétique, la guerre en Ukraine, les problèmes économiques majeurs, les inquiétudes climatiques... C’est difficile de se projeter dans un avenir un minimum serein. 

Pour ce qui est des violences urbaines, sans doute vont-elles avec la dégradation de la situation économique et sociale, le niveau de tension dans la société, l’absence de perspectives, et les troubles de santé mentale. Je parle des violences urbaines communes, pas des meurtres atroces extrêmement rares, ce sont des cas très particuliers et individuels.  

Globalement la population va psychologiquement très mal et ce n'est pas une bonne nouvelle. Tout particulièrement les données sur les évolutions de personnalité sont inquiétantes parce que ça tend à suggérer que ça va durer et même s'enkyster. Il y a beaucoup de gens qui ont été gravement impactés au niveau psychique, relationnel, économique et même dans leurs fondamentaux de vie en société. En ce qui concerne les jeunes adultes ils ont été gravement impactés dans leur niveau de formation et dans la construction de leur personnalité et de leur système relationnel. Ils n’auront pas la trajectoire de vie qu'ils auraient dû avoir. On va voir toute une vague générationnelle qui va se propager tout au long des décennies à venir avec des déficits socio-économiques, de formation, de compétences relationnelles et ça va se propager aux générations qui viennent, car ces adultes qui vont mal seront des parents qui n’iront pas bien. C’est d'autant inquiétant que les traitements dont on dispose en psychiatrie sont très peu efficaces, que ce soit en pharmacothérapie ou en psychothérapie. De surcroît on a des files d'attente absolument lunaires pour accéder à des soins psychiatriques. Grosse prévalence des troubles mentaux -dont on sait qu'ils se chronicisent vite-, traitements peu efficaces, difficultés d’accès au soin, dégradation des perspectives d’avenir, persistance des stresseurs …  

On ne peut pas dire que la situation globale du monde et de la France s’améliore, et on peut même être assez pessimiste malheureusement. Il est essentiel de prendre le problème à bras le corps et de tenter d’y apporter de véritables solutions de fond, et plus seulement des modifications cosmétiques ou des éléments de langage politiciens, dont la pauvreté ne fait qu’aggraver le problème.

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