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La démocratie islandaise plus forte que les banquiers, ou comment le politique reprend le pouvoir sur l’économique
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Seconde voie

L'île de feu et de glace, frappée de plein fouet par la crise financière de 2008, a refusé de se laisser dicter son avenir. Gouvernement viré, banquiers arrêtés, dettes non-remboursées... Et au final, un chômage qui baisse et une croissance de 3,5% en 2011.

Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere

Olivier Demeulenaere est journaliste économique et financier. Il a étudié à l’Ecole normale supérieure et est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris.

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Avez-vous entendu parler de la révolution démocratique islandaise ? Si vous avez cette chance, vous êtes-vous demandé pourquoi les médias n’en parlent pour ainsi dire jamais ? Le cas de l’Islande, ce minuscule pays de 320 000 habitants, est pourtant emblématique de la crise systémique qui frappe aujourd’hui l’Europe. Et la façon dont il s’en est sorti pourrait, et même devrait, nous servir d’exemple. Mais peut-être est-ce justement la raison pour laquelle l’oligarchie politico-financière ne tient pas à ce que l’affaire fasse trop de bruit…

En 2008, le rêve éveillé des Islandais a brutalement pris fin et l’île des volcans a plongé dans l’abîme. L’énorme bulle de crédit qui avait fait de ce pays une sorte d’eldorado improbable a éclaté, laissant sur le carreau une population stupéfaite. Le peuple « le plus heureux de la terre » selon le classement du World Database of Happiness apprend la faillite de ses trois principales banques, dont les dettes représentent… 923 % du PIB. Elles sont placées sous administration judiciaire, la Bourse et la monnaie s’effondrent… A la fin de l’année, le pays se déclare officiellement en faillite et dans une intervention télévisée, le Premier ministre implore Dieu de « sauver l’Islande ».

C’est là qu’un véritable miracle s’est produit. Un miracle non plus économique mais démocratique. Au lieu de se résigner à rembourser pendant de longues années les dettes d’institutions privées à des créanciers anglais et hollandais, les Islandais sont descendus dans la rue pour crier leur colère. Se placer sous la tutelle du FMI et de l’Union européenne pendant 15 ans pour que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas puissent rendre leur argent à leurs citoyens, à 5,5% d’intérêt ? Pas question ! Plutôt reprendre le pouvoir… Par deux fois, en mars 2010 et en février 2011, les électeurs refusent par référendum de sauver les banques et de rembourser leurs dettes.

Fait unique à notre époque, tout un gouvernement a été contraint de démissionner sous la pression populaire et une Assemblée Constituante a été désignée. 25 citoyens sans aucun lien avec les partis politiques ont été élus afin de rédiger une nouvelle Constitution, sous le contrôle et en interaction avec la population. Un projet de nouvelle constitution a été remis au Parlement le 27 juillet 2011, avant d’être soumis à référendum cette année.

Autre rupture majeure, les banquiers dont la cupidité, les fraudes et les escroqueries en tout genre ont conduit à l’effondrement du pays ont été poursuivis par la justice. Un procureur spécial, Olafur Thor Hauksson, simple commissaire de police locale, a été nommé pour mener à bien la « purge » du système. Recherchés par mandat d’arrêt international, des directeurs de banque jadis tout-puissants ont perdu de leur superbe, et renoncé à beaucoup de leur prétentions financières. Des condamnations continuent aujourd’hui d’être prononcées et même l’ancien premier ministre Geir Haarde (finalement relaxé) a été jugé pour son rôle dans la dérive néolibérale de l’île !

Ebranlée par de tels séismes, on se dit que la situation économique et sociale de l’Islande doit être catastrophique. Or  c’est tout le contraire. Après deux années de profonde récession en 2009 et 2010 (-6,8% et -4%), la croissance a fait son retour en 2011 (+3,1%) et devrait dépasser 2,5% cette année, de même qu’en 2013 et 2014 (prévisions de Statice).

La balance commerciale est excédentaire, l’inflation est inférieure à 4% et le taux de chômage, après un pic à 12,5%, diminue régulièrement pour atteindre aujourd’hui un enviable 6%. Pas mal pour un pays qui a connu à la fois la dévaluation, la ruine des épargnants et des faillites en cascade !

L’Islande, qui emprunte aujourd’hui à moins de 4% sur les marchés, s’est même payé le luxe de rembourser plus tôt que prévu son emprunt au FMI. Symbole de ce rétablissement spectaculaire, l’agence Moody’s a relevé sa note financière d’un cran à la mi-février.

Le cas de l’Islande est-il transposable à l’ensemble des nations européennes ? Certes, le pays ne compte que 320 000 habitants. Certes, il a répudié une dette d’origine privée et non une dette publique. Mais le nombre change-t-il quelque chose à l’affaire ? Ne doit-on pas plutôt se dire qu’être des millions est un avantage quand il s’agit de faire plier des banques, lesquelles ne sont puissantes que par défaut ? Chez nous, on parle beaucoup de référendum, en Islande on les fait. Pour le reste, on ne peut ignorer les rapports incestueux entre les banquiers privés et les gérants de la dette publique. Cette dernière est devenue insoutenable en Europe à partir du moment où les Etats ont décidé de renflouer le secteur bancaire au lieu de l’assainir.

Privatisation des bénéfices, socialisation des pertes : c’est toute une logique qu’il faudrait inverser pour en finir avec la spirale mortifère dans laquelle nous sommes entraînés, en raison de notre complicité passive. La partie est loin d’être gagnée, il est peut-être même déjà trop tard pour éviter la banqueroute universelle… Mais à ajouter sans cesse de la dette à la dette pour ne pas affronter la vérité en face, on court sans l’ombre d’un doute à l’échec.

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