Décision du Conseil constitutionnel sur la loi Renseignement : à se demander si la Vème République a encore une Constitution...<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Conseil constitutionnel a confirmé l'abolition du principe du secret des correspondances.
Le Conseil constitutionnel a confirmé l'abolition du principe du secret des correspondances.
©Pixabay

Sale temps pour les libertés publiques

Dans sa décision relative à la loi "Renseignement", le Conseil constitutionnel a confirmé l'abolition du principe du secret des correspondances, hérité de la Révolution française. Analyse par Rubin Sfadj, Avocat aux Barreaux de Marseille, pour GénérationLibre.

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GenerationLibre est un think-tank d’orientation libérale avec comme objectif de concevoir et de promouvoir des politiques publiques reposant sur la responsabilité individuelle et les mécanismes de marché. S’appuyant sur une tradition intellectuelle bien établie, d’Alexis de Tocqueville à Jean-François Revel, GenerationLibre a vocation à aborder l’ensemble des sujets d’intérêt général, qu’ils soient économiques, sociaux ou institutionnels.

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À l’extrême limite du délai d’un mois fixé par la Constitution, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision relative à la loi sur le renseignement. Il était saisi par le Président de la République, le Président du Sénat, et 106 députés. GenerationLibre, en coopération avec des juristes de renom, a souhaité apporter sa contribution en remettant, par la procédure dite de « la porte étroite », un Memorandum au Conseil. Appelant les Sages à censurer la loi, nous avons pris acte de la décision rendue par le Conseil constitutionnel. Lourde de conséquences du point de vue de nos libertés fondamentales, cette décision nous semble critiquable tant sur la forme, que sur le fond.

SUR LA FORME, UN TEXTE ABSCONS ET ILLISIBLE

Sur un sujet aussi majeur, la juridiction la plus élevée de l’ordre républicain a produit un verdict incompréhensible pour « le commun des mortels ». Tout au long du texte il n’est jamais question de principes fondamentaux, d’éléments de contexte ou de valeurs à sauvegarder : simplement de références d’articles, de citations d’articles, d’articles cités par d’autres articles, et de proportions abstraites.

Une décision illisible à moins d’avoir suivi l’intégralité des débats parlementaires et d’être un juriste confirmé. Pourtant, la structure du texte est très peu étoffée : sur chaque question, la décision cite sèchement l’article incriminé, résume grossièrement les arguments des députés requérants, puis déclare sans beaucoup plus d’explications le texte conforme à la Constitution.

SUR LE FOND, LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL VALIDE PRATIQUEMENT TOUT

Sur le fond, le Conseil constitutionnel n’invalide essentiellement que deux dispositions : le recours au renseignement sans aucune autorisation (même du Premier ministre) en cas d’urgence absolue, et le traitement d’exception du renseignement à l’étranger.

Tout le reste ne fait l’objet d’aucune objection :

  • • Ni le recours au renseignement en des matières absolument étrangères à la sécurité nationale et à la lutte contre le terrorisme ;
  • • Ni le remplacement du juge judiciaire, pourtant désigné par la Constitution comme gardien de la liberté individuelle, par une simple commission consultative ;
  • • Ni le recours, via les « boîtes noires », IMSI catchers et autres deep packet inspection, à la surveillance de masse des correspondances privées des Français ;
  • • Ni la soumission du Conseil d’État lui-même au secret défense, dont il est le juge en dernier recours depuis bientôt deux cents ans.

Aux termes de la décision, aucune des mesures ci-dessus, qui rangent pourtant la France à la marge des démocraties occidentales (États-Unis compris), n’est « manifestement incompatible » avec la Constitution de la Vème République.

PAR ERREUR OU PAS, LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL RÉVÈLE SES PROPRES LIMITES…

Dans l’hypothèse où le Conseil se tromperait – autrement dit, s’il s’avérait qu’un certain nombre, au moins, des mesures ci-dessus entrait en conflit avec notre droit constitutionnel sans que le Conseil ait été en mesure de le constater – alors il est urgent de réviser la Constitution pour le remplacer par un véritable organe juridictionnel, composé de professionnels du droit.

Dans l’hypothèse où le Conseil a raison, c’est-à-dire si la Constitution de la Vème République (même augmentée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de quelques autres textes fondamentaux) autorise effectivement l’exécutif à violer le secret des correspondances pour n’importe quel motif de politique intérieure, sans que le juge soit même consulté, il est plus urgent encore de réviser la Constitution !

… ET LA PART D’OMBRE DE LA VÈME RÉPUBLIQUE

Cette décision révèle la part d’ombre de la Vème République : celle d’un régime dans lequel, par suite de défauts (volontaires ?) de conception ou des mauvaises pulsions de ceux qui l’animent, l’Etat de droit n’offre plus aucune garantie sérieuse contre les fourvoiements, même de bonne foi, du pouvoir politique. Ni sur la forme, puisqu’aucune explication intelligible n’est offerte, ni sur le fond, puisque tout devient acceptable.

À l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les révolutionnaires déclaraient :

« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

Quelques 226 ans plus tard, on est en droit de se demander : la Vème République a-t-elle encore une Constitution ?

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