De quelle capacité de nuisance militaire la Chine dispose-t-elle vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministère des Finances chinois a annoncé que le budget de la défense de l'Armée populaire de libération allait grimper de 12,2 % en 2014.
Le ministère des Finances chinois a annoncé que le budget de la défense de l'Armée populaire de libération allait grimper de 12,2 % en 2014.
©Reuters

Alerte rouge

Le budget de l'Armée populaire de libération doit augmenter de 12,2 % en 2014, a annoncé le ministère des Finances chinois. Le pays aux deux millions de soldats nourrit plus que jamais l'ambition de rattraper son retard technologique.

Xavier Roux

Xavier Roux

Xavier Roux est contre-amiral de la Marine nationale et vice-président du Cercle de la mer.

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Atlantico : Le ministère des Finances chinois a annoncé que le budget de la défense de l'Armée populaire de libération allait grimper de 12,2 % en 2014, pour atteindre l’équivalent de 95,9 milliards d’euros. Ces chiffres correspondent-ils à la réalité ? Les moyens financiers pourraient-ils être sous-estimés ?

Xavier Roux : Tout dépend de la nature des moyens : il y a des éléments objectifs qu'on connaît. L'aspect formel comme le nombre de régiments connus, le total d'avions dans les parkings sont des éléments assez proches de la réalité.

Concernant d'éventuelles ressources cachées de la Chine, c'est assez peu probable. Les Chinois n'ont pas d'aéroports enfouis, puisqu'au fond ils n'ont aucune raison de se cacher. Les chiffres que communique la Chine s'inscrivent dans une politique d'affichage. C'est significatif et déterminant en matière de politique et de représentation de cette politique. Ça ne veut pas dire que les moyens vont augmenter de 12 % en un an. Il y a toujours un délai, ne serait-ce que vis-à-vis des crédits, la conception matérielle ; la formation du personnel de char, d'avion, des services de renseignement… Il faut du temps. Pour que l'on assiste à des effets, il faut que le pourcentage d'augmentation se stabilise sur des années.

Ce pourcentage est, à mon sens, une déclaration politique qui ne veut pas dire que le matériel chinois est en hausse. Cela ne peut se vérifier que si cette augmentation perdure.

Le retard technologique de l'armée chinoise mis en avant par bon nombre d'observateurs est-il un réel handicap pour que ses troupes puissent se projeter loin des frontières ? Pourrait-elle bientôt se hisser au niveau d'autres puissances, ne serait-ce que de la Russie ?

Les capacités de projection russes sont déjà considérables. Quant à l'armée chinoise, il faut compter avec le fait qu'elle représente déjà deux millions d'hommes, avec la problématique de surface que cela induit. Si on veut augmenter financièrement l'équipement du soldat chinois de 5 %, il faut l'augmenter de 5 % pour deux millions de soldats... C'est une problématique de masse que nous n'avons plus l'occasion de manipuler en Occident.

Concernant le niveau technologique au sens strict du terme, et bien que l'armée chinoise ne soit pas encore au niveau de l'armée russe, je pense qu'il faut tout de même rester méfiant. Aujourd'hui, les Chinois disposent d'assez de capacités pour posséder des navires et des avions qui ne déplairaient pas au sein de l'armée française. Indépendamment des porte-avions, il y a du matériel, des compétences, un savoir-faire… Il serait imprudent de les dénigrer.

Concentrons-nous sur les porte-avions : il est évident que la mécanique qui conduit à la mise en œuvre d'un tel navire est complexe, qu'il s'agisse du pilote, des lanceurs, des avions, des manœuvres, de la sûreté, de l'apprentissage des pilotes… La nécessité, pour les porte-avions français et américains, de s’entraîner, est là pour le démontrer.

Cependant, quand la volonté politique est là, tout s'apprend : pendant la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont réalisé des dizaines de porte-avions, avec à leur tête des gens qui, 5 ans plus tôt, étaient notaires, avocats ou plombiers. Il faut du temps pour former une armée lourde. Ce n'est pas inaccessible pour autant. Ce n'est certes pas en deux ans que la Chine rattrapera ce retard, mais c'est tout à fait possible en cinq.

L'armée chinois est une armée de parti, qui prête allégeance au PC, et surtout, qui n'est pas professionnelle. Cela constitue-t-il une faiblesse fondamentale ?

Du temps de la conscription en France, il y avait des régiments d'appelés, et ce n'était pas eux qu'on envoyait en première ligne. On envoyait des légionnaires. Les armées professionnalisées sont toujours de format plus réduit, et leurs objectifs politiques sont différents : l'armée chinoise est une armée d'occupation, au sens premier du terme. C'est une présence et un quadrillage du territoire national. La capacité de projection de la Chine ne concernera jamais l'ensemble de l'armée populaire. Il serait illogique d'équiper deux millions de soldats chinois de matériel ultra-moderne dont certains n'ont absolument pas besoin. Leur problématique n'est pas d'intervenir sur les îles de la mer de l'est, du sud et de Chine. En revanche, ils ont la capacité de former des forces spéciales, au sens des Marines américains, pour des interventions limités.

Les meilleures armées sont évidemment celles qui sont déjà allées au combat. De ce point de vue-ci, la Chine manque effectivement d'expérience. Il ne faut pas pour autant la dénigrer – ni la sublimer –  : la Chine est tout à fait capable de former une armée de forces spéciales, comme les armées de l'Occident qui tablent d'avantages sur la formation des troupes et leur équipement que leur nombre.

Un scénario d'envahissement de Taïwan est-il crédible pour le moment ?

Quand on parle de moyens, cela dépend de la hauteur de ce que l'on veut mettre. Les forces sont effectivement stationnées, et la Chine aurait les moyens de développer des actions délicates, dangereuses. Cela dépendrait bien évidemment du taux et de la rapidité de rétorsion en face, mais je ne pense pas qu'on puisse dire de la Chine qu'elle n'a pas les capacités d'envahir Taïwan. Elle est capable de produire des contraintes ou des actions assez déstabilisantes.

La Chine n'a pas connu l'épreuve du feu depuis très longtemps. Une certaine méconnaissance des vraies opérations pourrait-elle la pousser à commettre des erreurs susceptibles d'embraser la région ?

Les Chinois ont une conscience assez claire des risques. Ils connaissent leurs faiblesses et n'ont pas la tentation de jouer avec le feu. Ils n'ont certainement pas envie de sortir à l'aveuglette lors d'opérations où ils ont plus à perdre qu'à gagner. Plus qu'excessivement téméraires, je les pense réfléchis et capable de patience. Sans doute plus que les Occidentaux. Je ne crois pas au côté aventurier qu'on pourrait leur prêter.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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