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De la secrétaire au patron : pourquoi certaines fonctions souffrent-elles d'être plus stéréotypées dans leur entreprise que d'autres ?
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Bonnes feuilles

Comment fonctionnent-ils ? Pourquoi sont-ils si répandus ? A quoi peuvent-ils bien servir ? Loin de prétendre les éradiquer, cet ouvrage dresse un panorama des stéréotypes de la machine à café au bureau du PDG. Extrait de "Les stéréotypes en entreprise", de Patrick Scharnitzky, publié chez Eyrolles (1/2).

Patrick Scharnitzky

Patrick Scharnitzky

Patrick Scharnitzky est docteur en psychologie sociale et a été maître de conférences des universités pendant 13 ans. Il est aujourd'hui professeur affilié à ESCP Europe et consultant diversité dans le cabinet de conseil en ressources humaines "Valeurs & Développement". Conférencier et formateur, il accompagne également les entreprises sur leur politique diversité et mène des recherches appliquées. A ce titre, il pilote la partie quantitative du programme de recherche de l'IMS sur les stéréotypes avec quatre volets depuis 2010 : le handicap, le genre, les origines et les générations. Il a écrit Les pièges de la discrimination : tous acteurs, tous victimes aux éditions de l'Archipel et a participé au collectif Mixité au travail, quand les hommes s'engagent aux éditions Eyrolles.

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Certains groupes font, plus souvent que d’autres, l’objet de stéréotypes négatifs. Dire que les stéréotypes s’appliquent à tout le monde ne revient pas à ignorer le phénomène de stigmatisation. Les groupes stigmatisés réunissent, la plupart du temps, deux caractéristiques : ils sont minoritaires et/ou représentent un pouvoir social faible. Quand ces deux éléments sont réunis, on voit souvent apparaître un phénomène de « bouc-émissairisation ».

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Ce qu’en dit la recherche : La théorie psychanalytique nous explique que ce mécanisme remonte au complexe d’OEdipe. Entre trois et six ans, l’enfant ressent des pulsions amoureuses envers le parent du sexe opposé. En clair, le petit garçon voudrait bien piquer la place de son père dans le lit conjugal. Mais il comprend vite qu’elle est déjà prise, ce qui le rend malheureux et surtout frustré de ne pouvoir satisfaire cette pulsion. Alors, il va transformer cette frustration qui s’accumule comme une énergie négative en une agression envers ce qu’il identifie comme la cause de cette frustration : son père. Il réalise que si son père mourait, ça lui laisserait le champ libre. C’est la douce période où le petit garçon joue à tuer son père toute la journée avec ses pistolets ou ses épées en plastique. Mieux encore, c’est la période des remarques adorables comme : « Papa tu sais, un jour je serai grand, et toi tu seras... mort. » Mais c’est aussi la petite fille qui passe ses journées à déambuler devant son papa avec les chaussures à talons hauts de sa mère. Dans l’immense majorité des cas, les choses se tassent assez facilement quand les deux parents font comprendre à l’enfant que ce à quoi il aspire est impossible.

La théorie du bouc émissaire est très ancienne en psychologie sociale (Dollard et al., 1939) en partie héritière de la psychanalyse. Elle repose sur le phénomène assez universel « frustration-agression », reconnu de tous même si d’autres approches scientifiques le nomment autrement.

Ce réflexe qui consiste à se libérer d’une frustration en la transformant en une agression inutile mais libératoire du point de vue de l’énergie est une défense que nous utilisons toutes et tous comme soupape quand le sentiment d’échec, de menace ou de perte de contrôle est trop fort. Mais parfois la source de notre frustration est impossible à identifier et donc à agresser.

Par exemple, la situation dans laquelle se trouve un chômeur est le produit d’une multitude de causes qui s’accumulent pour provoquer son état. Cela peut provenir de son origine sociale, son rapport avec l’école, le contexte économique, un marché de l’emploi surchargé dans son secteur, un lieu de vie peu propice pour sa carrière, les lois, ou encore ses aptitudes physiques ou mentales.

En outre, quand il est possible d’identifier la cause d’une frustration, celle-ci est parfois impossible à agresser pour des raisons de relation de pouvoir. En entreprise, on peut se voir refuser une augmentation, devoir accepter une mutation, subir une mauvaise évaluation ou encore devoir gérer un surplus de travail du fait de l’incompétence ou de la malhonnêteté de son supérieur hiérarchique. Mais que faire ? Comment agresser cette personne qui détient une forme de pouvoir sur nous ? Et quand bien même, cette agression aurait-elle un effet positif sur notre situation ? C’est loin d’être certain (pour une revue de questions, voir Herman, 2007).

Alors quand la cause de notre frustration est impossible à identifier et/ou à agresser, il nous est nécessaire de déplacer cette agression sur une cible plus faible et facilement repérable. C’est injuste mais reconnaissons que cela fait du bien ! C’est le phénomène de la cascade dans les entreprises. On déplace sur les N – 1 les frustrations vécues à cause des N + 1 et ainsi de suite du haut jusqu’au socle de la pyramide. Du coup, tout le monde agresse tout le monde, ce qui n’est jamais bon indicateur de bien-être et de performance collective. Pire encore, on peut déplacer nos frustrations en dehors de l’entreprise sur des cibles innocentes : les conjoints et/ou les enfants.

Dans la vraie vie : les votes extrémistes. C’est toujours quand une société est en forte crise économique que les électeurs optent massivement pour les idées les plus irréalistes mais les plus radicales, représentées par les extrêmes. Le racisme, dont font l’objet certains groupes, serait la résultante d’une accumulation de la frustration collective sur un plan économique et qui se cristallise sur les minorités généralement les plus faibles. Et on voit assez bien comment une société change régulièrement de bouc émissaire. Depuis un siècle, la France a connu différents flux migratoires. Les boucs émissaires changent mais n’ont fondamentalement pas beaucoup évolué au regard des reproches qui leur sont faits. On est passé des Européens (Italiens, Espagnols, Portugais) aux Maghrébins, puis aux Africains sub-sahariens, pour aujourd’hui nous focaliser sur les Européens de l’Est avec l’image du Rom comme bouc émissaire idéal.

L'étude de l'IMS : Le volet sur le genre du programme de recherche de l’IMS met en évidence des corrélations fortes entre le degré de satisfaction au travail et les stéréotypes. Les managers hommes qui disent être les plus satisfaits par leur travail (donc potentiellement les moins frustrés au moins sur le plan professionnel) sont aussi ceux qui expriment les stéréotypes les moins négatifs envers les femmes. Comme si les deux étaient liés. On voit bien la dimension affective que revêtent les stéréotypes. Le rejet des femmes devient un moyen de déplacer une forme de mal-être au travail.

L’entreprise devient, alors, un terrain de jeu prédisposé à l’émergence de stéréotypes envers des groupes qui sont soit les boucs émissaires déjà identifiés dans la société en général, soit ceux créés par les valeurs de l’entreprise elle-même. Par exemple la place des personnes en situation de handicap est plus fragile chez certains acteurs du luxe que dans le secteur bancaire. Le handicap est inconsciemment (ou pas) perçu comme incompatible avec l’image que veut défendre le luxe. En revanche, la couleur de la peau sera moins problématique car elle peut correspondre à l’image universelle de la beauté que l’industrie du luxe défend. Inversement, la question de l’origine ethnique risque d’être plus épineuse dans le secteur des banques ou des assurances car les stéréotypes sont inconsciemment (ou pas) perçus comme difficilement conciliables avec les valeurs de sérieux, de droiture et de sécurité qu’incarnent ces secteurs.

Au final, il ne s’agit pas de faire la liste des groupes prioritaires sur lesquels il faut travailler car ce serait contraire à la façon dont il faut envisager une sensibilisation sur les stéréotypes. En revanche, même s’il faut accepter l’idée que tout le monde est à la fois porteur et cible de stéréotypes, il est nécessaire d’avoir la maturité nécessaire pour analyser structurellement l’entreprise et comprendre pourquoi et comment certains groupes concentrent des attitudes aussi négatives. Pour ce faire, il faut « objectiver » les stéréotypes, c’est-à-dire être en mesure de lister les groupes qui, dans l’entreprise, font l’objet des opinions les plus défavorables.

Extrait de "Les stéréotypes en entreprise", de Patrick Scharnitzky, publié chez Eyrolles, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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