De la justification antisioniste comme perversion<!-- --> | Atlantico.fr
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Des drapeaux du Hamas, photo d'illustration AFP
Des drapeaux du Hamas, photo d'illustration AFP
©MAHMUD HAMS / AFP

Antisémitisme masqué

Israël vient d'être frappée durement par les terroristes du Hamas. En France, certaines figures politiques et individuelles ont depuis tendance à prendre le partie de la cause palestinienne. Souvent, ils se cachent derrière l'argument antisioniste.

Jean Szlamowicz

Jean Szlamowicz

Jean Szlamowicz est Professeur des universités. Normalien et agrégé d’anglais, il est linguiste, traducteur littéraire et est également producteur de jazz (www.spiritofjazz.fr). Il a notamment écrit Le sexe et la langue (2018, Intervalles) et Jazz Talk (2021, PUM) ainsi que Les moutons de la pensée. Nouveaux conformismes idéologiques. (2022, Le Cerf).
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Le massacre de plus 700 Juifs par le Hamas ne pouvait se faire sans être accompagné des atténuations et justifications d’une certaine frange politique et intellectuelle. Quand on lit en France les déclarations de condamnations du Hamas qui finissent par faire d’Israël le coupable initial, il faut comprendre que le ressort de la violence anti-juive se trouve toujours dans un discours anti-juif qui se formule comme justification des pogroms passés et à venir : « après tout, ils l’ont bien cherché ». La récurrence historique de cette légitimation est le fondement même du passage à l’acte. Car la dynamique progromique se nourrit des excuses qu’on lui fournit : rappelons-le, les intellectuels qui participent à la diffusion de ces discours sont de pures ordures.

Comme l’a rappelé l’historien des idées Pierre-André Taguieff dans de nombreux ouvrages, l’incrimination anti-juive a connu diverses incarnations et justifications : accusation théologique (ils ont tué Jésus », « ils ne reconnaissent pas le Messie », « ce sont des mécréants »), raciale (« Les Juifs sont une sous-race ») et politique (« les Juifs dominent le monde »). Le discours le plus répandu aujourd’hui est l’accusation politique qui se veut humaniste et qui consiste à « déshumaniser » les Juifs : ils sont impérialistes, racistes, colons, spoliateurs, etc. La justice humaine voudrait donc qu’on les élimine. Mais cette litanie accusatoire drapée dans des valeurs de justice n’est que le paravent d’un rapport politique qui reprend en réalité un narratif islamique.

Diabolisation coloniale et jihad islamique : la convergence

D’origine soviétique, la falsification dénominative qui a transformé la zone géographique appelée Palestine en territoire fondamentalement colonial a été longuement décrite. Mais derrière cet argumentaire pseudo-politique dissimulant l’histoire d’Israël, et son nouvel établissement par la voix légale de l’approbation de la SDN, du Traité de San Remo (1920) et de l’ONU (1947), se trouve aussi une justification islamique.

En effet, par ce processus d’effacement de légitimité, il s’agit de définir Israël, berceau du peuple juif, comme un territoire appartenant, par essence, à l’Islam. Tel est le crédo des Frères Musulmans, du Hamas, du Hezbollah et de tous ceux qui adhèrent au principe coranique établi par la sourate 8 (v.39) qui définit la pax islamica comme conquête et soumission : « Et combattez-les jusqu'à ce qu'il ne subsiste plus d'association, et que la religion soit entièrement à Allah. Puis, s'ils cessent (ils seront pardonnés car) Allah observe bien ce qu'ils œuvrent. ». Dans cet esprit, la charte du Hamas stipule qu’« Il n’y a rien de plus fort et de plus profond dans le patriotisme (al-wattaniyya) que le jihad qui, lorsque l’ennemi foule du pied la terre des Musulmans, incombe à tout Musulman et à toute Musulmane en tant qu'obligation religieuse individuelle (fard ‘ayin). » Parler de « colonisation », c’est reprendre ce principe voulant que le jihad soit justifié pour éliminer ou soumettre les infidèles sur une terre « musulmane ».

Or, c’est tout un camp politique qui, en France reprend ce discours, sans même d’ailleurs savoir de quels territoires il s’agit puisque, pour le Hamas ou l’Autorité Palestinienne, c’est l’ensemble d’Israël qui est « colonial » et non les seules implantations de la zone C. Dans cette logique, tout Juif sur une terre musulmane est un colon. Outre les ambiguïtés et indignités du camp des extrémistes de LFI, ce discours est courant chez les intellectuels qui se pensent progressistes. Ainsi l’historienne Ludivine Bantigny a-t-elle déclaré pour justifier les massacres de Juifs déshumanisés par l’accusation coloniale que « la résistance est non seulement légitime mais nécessaire et bien sûr qu’elle passe aussi par les armes ». 

La séduction du discours anticolonial, si confortable quand il n’est qu’incantation lointaine, proférée depuis le confort d’une position de jouissance narcissique, s’exerce depuis longtemps dans le monde intellectuel. Même face au réel, devant le spectacle écœurant de familles assassinées, elle ne se relâche pas. Ainsi, à l’université de Poitiers, le doyen de l'UFR Lettres et Langues a relayé l’annonce pour le 11 octobre d’une réunion critiquant la colonisation israélienne et présentant les attaques du 7 octobre comme « résistance » : « Chacun·e doit pouvoir comprendre les enjeux de la colonisation par Israël, l’histoire de la résistance palestinienne et le rôle que la diplomatie française doit avoir pour qu’enfin nous puissions voir une paix durable en Palestine ». La paix passe donc, là encore, par la résistance, c’est-à-dire la victoire armée… Dans un texte, le syndicat Solidaires Etudiant-e-s EHESS, relayé par une chercheuse du CNRS, a affirmé son « soutien indéfectible à la lutte du peuple palestinien dans toutes ses modalités et formes de lutte, y compris la lutte armée », communiqué qui a heureusement été très fermement condamné par la direction de l’école. 

Dans la métapolitique contemporaine, Israël a été diabolisé comme convergence de tous les péchés parce qu’il est l’essence même de l’État-Nation. En le considérant comme illégitime parce que « colonial », cela permet alors de le frapper en toute légitimité morale. Cette construction sournoise établit des torts justifiant l’attaque alors que le rejet d’Israël est un rejet de principe, éternel et sans rapport, par exemple, avec tel ou tel gouvernement. On répète inlassablement que c’est un État « colonial » au mépris de la réalité historique d’une renaissance négociée et non imposée militairement ; qu’il pratique l’« apartheid », alors que tous ses citoyens bénéficient des mêmes droits et qu’il existe même une représentation politique islamique à la Knesset ; qu’il est « sécuritaire » alors que s’il ne l’était pas il disparaitrait. On connaît le résumé du rapport d’antagonisme : « Si les Palestiniens déposent les armes, il y aura la paix. Si Israël dépose les armes, il y aura la guerre ». Comme vient de le montrer l’attaque du Hamas, le moindre relâchement sécuritaire est fatal pour Israël, pays minuscule et sans profondeur défensive.

Hypocrisie tactique et discours victimaire

Oubliant la réalité pour s’imaginer en pourfendeur de l’injustice, les défenseurs de la cause palestinienne font comme s’il s’agissait d’un conflit colonial et territorial. Il leur faudrait lire les 760 pages de récits de pogroms compilés par Andrew G. Bostom, The Legacy of Islamic Antisemitism (2008, Prometheus Books) pour comprendre que le sadisme sauvage qui fait assassiner des femmes, des enfants, des vieillards trouve ses racines bien avant la création d’Israël dans les fondements d’un texte coranique qui a toujours été une référence militaire.

Yasser Arafat fit ainsi souvent référence au traité de paix Hudaïbiya conclu en 629 avec les Qurayish par Mahomet qui les attaqua finalement pour conquérir la Mecque. Arafat expliquait la stratégie du processus de paix d’Oslo en disant que « l’accord signé entre l’OLP et Israël était identique, […] un accord temporaire signé en position de faiblesse avec le plus fort afin de mieux le vaincre dans le futur » (mosquée de Johannesbourg, 23 mai 1994). Cette tactique est celle de la hudna, une trêve à comprendre comme analogue explicite de la manœuvre du Prophète afin de gagner des forces, d’endormir l’ennemi et de rompre la paix au moment opportun.

Dans ce prolongement, il existe une légitimité principielle du soulèvement, ce que revendique le Hamas qui entend dans sa charte « planter l’étendard de Dieu sur toute parcelle de la Palestine » car son objectif est l’élimination d’Israël, ce que le préambule de la charte dit clairement : « Israël existe et continuera d’exister jusqu’à ce que l’islam l’abroge comme il a abrogé ce qui l’a précédé ». Le processus de remplacement de ce qui a précédé est explicite : le principe substitutionnaliste à l’œuvre dans le texte coranique est fondateur d’un droit, auto-décrété, de faire triompher la vraie foi.

Mais ce principe jihadiste est formulé pour l’Occident dans le vocabulaire des droits de l’homme en parlant d’« oppression » ou de « colonisation » : ce qui donne le droit au soulèvement, c’est le statut de victime. Ce travail d’aménagement du narratif islamique dans les termes du progressisme occidental est notamment fourni par Houria, Bouteldja. En un simulacre de philosophie, elle énonce dans un axiome ridicule le grand retournement victimaire qui sert à tous les déchaînements : « C’est l’oppresseur qui fixe le niveau de violence des opprimés ». Toutes les exactions sont alors permises : c’est la faute de l’oppresseur, c’est-à-dire celui que je me choisis comme objet de ma haine. À cet égard, sera-t-il permis de retourner son principe en considérant les Juifs comme opprimés depuis des siècles par le glaive islamique ? La circularité perverse consistant à décréter une causalité oppressive est celle que l’on retrouve à chaque émeute en France. Le passage à l’acte est conditionné par l’accusation que je porte : il suffira donc de se considérer comme victime. Par cette perfidie, on s’autorise ainsi de décider qui est l’oppresseur pour s’arroger le droit de s’en prendre à lui.

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Mais dans le narratif islamique, la seule existence juive non soumise est une humiliation : une souveraineté politique juive est donc nécessairement et axiomatiquement considérée comme rabaissement. Ce ressenti est alimenté par la propagande à destination de l’Occident qui dépeint Israël comme un monstre. En faisant de toute action de défense face à l’hostilité islamique une « humiliation » (terme récurrent dans l’accusation antisioniste), on construit une bonne raison d’y mettre fin. Bénéficiant d’eau et d’électricité fournis par Israël, d’aides humanitaires internationales massives, la fameuse « prison à ciel ouvert » est en réalité un camp d’entraînement militaire qui transforme toutes ses ressources en armes antijuives plutôt que de les consacrer à son développement économique.

L’affiliation du Hamas aux Frères Musulmans, seigneurs de la propagande, qui ont fait de l’islamophobie une cause à imposer dans le cadre des droits de l’homme occidentaux, montre la continuité d’un discours de chantage : de « l’humiliation » à « la résistance », la justification de la conquête et de la violence passe toujours par le récit victimaire. L’accusation coloniale comme l’islamophobie sont désormais les ressorts discursifs d’une haine décomplexée. Elle frappe aujourd’hui les Juifs d’Israël comme elle ne cesse d’incriminer l’Occident. La duplicité des intellectuels prétextant l’humanisme pour soutenir les islamistes est l’un des phénomènes les plus ignobles de notre époque : la trahison et la corruption morale s’exhibant comme vertus. Car les tenants de ce discours décolonial sont bien les propagateurs de la justification islamiste et sont, de facto, par leur soutien récurrent, par leur répugnante rhétorique du retournement victimaire, par leurs hypocrites subterfuges idéologiques, les supplétifs et apologues du terrorisme.

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