Cuba : le point de non-retour pour le régime est proche <!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme brandit un drapeau cubain lors d'une manifestation contre le gouvernement du président cubain Miguel Diaz-Canel à La Havane, le 11 juillet 2021.
Un homme brandit un drapeau cubain lors d'une manifestation contre le gouvernement du président cubain Miguel Diaz-Canel à La Havane, le 11 juillet 2021.
©ADALBERTO ROQUE / AFP

Vent de révolte et de liberté

Des manifestations contre le gouvernement ont eu lieu dimanche 11 juillet dans plusieurs villes de Cuba. Ces rassemblements historiques et d'une ampleur inédite depuis la révolution de 1959 ont été provoqués par plusieurs facteurs dont la crise économique et la pandémie de Covid-19, qui ont eu raison des interdits et des peurs. Washington a annoncé jeudi des sanctions symboliques contre le ministre cubain de la Défense.

Jacobo Machover

Jacobo Machover

Jacobo Machover est un écrivain cubain exilé en France. Il a publié en 2019 aux éditions Buchet Castel Mon oncle David. D'Auschwitz à Cuba, une famille dans les tourments de l'Histoire. Il est également l'auteur de : La face cachée du Che (Armand Colin), Castro est mort ! Cuba libre !? (Éditions François Bourin) et Cuba de Batista à Castro - Une contre histoire (éditions Buchet - Chastel).

 

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Atlantico : Le régime castriste est à bout de souffle. Après la mort de Fidel Castro en 2016, la retraite politique de Raúl Castro en avril 2021, le Parti a perdu un autre pilier de sa stabilité : la peur qu’ont les Cubains envers les autorités. Comment le pacte social a-t-il pu être brisé au point que les Cubains en viennent à vivement se rebeller contre l’État ?

Jacobo Machover : La durée exceptionnelle de vie du régime castriste, 62 ans, est due en grande partie à la délation permanente et à la peur que son appareil répressif, qui se manifeste de façon très insidieuse, inspire -inspirait, peut-on dire aujourd’hui- à la population. « Teníamos tanta hambre que nos comimos el miedo » (« Nous avions tellement faim que nous avons bouffé la peur »), proclament de nombreux dissidents, dont la blogueuse Yoani Sánchez, l’une des principales voix, depuis de nombreuses années, de l’opposition interne. La disparition de Fidel Castro après une longue agonie, en 2016, puis le retrait (relatif) de son demi-frère Raúl à l’âge vénérable de 90 ans, il y a quelques mois, ont sans nul doute mis fin à la terreur que ces révolutionnaires de la première heure, responsables de milliers d’exécutions et de dizaines de milliers d’arrestations et de condamnations, pouvaient susciter, à juste titre.

La mise en avant de Miguel Díaz-Canel, président de la République et secrétaire général du Parti communiste (unique), désigné par le seul Raúl Castro, a brisé l’image mythique (surtout à l’extérieur de Cuba) et historique de la révolution. Il s’agit en effet d’un personnage falot, d’un bureaucrate formé au sein du Parti, un apparatchik sans personnalité ni capacité d’emporter une adhésion quelconque, un homme tout juste capable de répéter des slogans comme « Yo soy Fidel » (« Je suis Fidel ») et d’insulter les opposants dans des termes aussi grossiers que ceux employés par ses mentors (« ex-Cubains », « mercenaires vendus à l’Empire américain », et j’en passe). Dès qu’ont éclaté, le 11 juillet, les manifestations spontanées dans plus de soixante localités de l’île, Raúl Castro et son clan de généraux (l’ancien ministre de l’Intérieur Ramiro Valdés, l’ex-vice-président Machado Ventura…) ont dû venir publiquement, sans grand succès, à sa rescousse. Le pouvoir, en coulisses, appartient toujours au clan familial des Castro, en particulier, semble-t-il, à son fils, le colonel Alejandro Castro Espín, l’un des principaux ordonnateurs de la répression impitoyable contre ceux et celles qui ont osé se révolter.  

Face aux récentes manifestations, allons-nous vers un point de non-retour sur l’île ? De tels événements avaient-ils été vus auparavant ?

Contrairement à ce qu’on croit généralement, il y a eu de nombreux mouvements de révolte contre le régime castriste. Au cours des années 1960, celui-ci a dû faire face à une guérilla contre-révolutionnaire puissante, ainsi qu’au débarquement manqué d’une petite troupe d’exilés cubains, organisés par les États-Unis, dans la baie des Cochons. Mais la forme de rébellion la plus courante est caractérisée par des exodes massifs vers les côtes de la Floride, comme en 1980, par le port de Mariel, ou en 1994, avec la crise des « balseros ». Lors de ce dernier, une grande manifestation, durement réprimée, a eu lieu sur le Malecón, l’avenue du front de mer à La Havane. Elle est connue sous le nom de « maleconazo ».

La révolte actuelle, qui a débuté le 11 juillet 2021, a été précédée par un rassemblement d’artistes censurés et marginalisés en novembre 2020. Les événements récents démontrent que le peuple cubain est capable, comme tous les autres, de défier un pouvoir qui ne connaît que la répression pour en finir. Les arrestations, suivies de « procès » expéditifs et iniques, vont se succéder. Certains des manifestants et autres dissidents vont certainement prendre jusqu’à vingt ans. D’innombrables Cubains vont se lancer à la mer, malgré les mesures restrictives d’entrée sur les côtes américaines décrétées en 2017 par l’administration Obama à la toute fin de son mandat, qui n’ont pas été abrogées par Donald Trump et qui sont prolongées, bien sûr, par l’administration Biden avec, en prime, un avertissement très clair de Alex Mayorkas, le secrétaire à la Sécurité intérieure, lui-même d’origine cubaine, dans le sens d’un refus d’asile aux fugitifs anti-communistes.   

Cette révolte pourrait-elle trouver des appuis auprès de l’étranger ? Les États-Unis pourraient-ils réagir implicitement ? 

Même si l’exécutif américain a réagi très timidement au départ -des sanctions commencent néanmoins à être appliquées contre un ministre et les organes de répression- dans son appui aux dissidents et aux exilés cubains, contrairement à la politique nettement affichée par Donald Trump, plusieurs membres cubano-américains (« Cuban-Americans ») du Congrès, aussi bien républicains que démocrates, représentants et sénateurs de Floride, Marco Rubio par exemple, du Texas, Ted Cruz, ou du New Jersey, Bob Menéndez, et d’autres, ainsi que des gouverneurs, condamnent très fermement la répression. Il en va d’ailleurs de leur réélection dans certains États. Le gouvernement castriste, quant à lui, rejette la responsabilité des désordres sur le « blocus » américain, qui n’est en fait qu’un embargo des produits américains qui dure depuis six décennies. Un discours qui a de plus en plus de mal à prendre, hormis parmi ceux qui se font un devoir de défendre corps et âme le régime, y compris dans ses aspects les plus évidemment répressifs.

Cette attitude, honteusement prudente, est visible surtout sur le Vieux Continent, où l’Union Européenne hésite encore à prendre parti contre le régime au pouvoir, et particulièrement en Espagne, où la coalition entre le PSOE, le Parti socialiste de Pedro Sánchez, et le gauche radicale de Podemos, nourrit de fortes sympathies pour les castristes et les chavistes vénézuéliens. Du côté de la France, le silence est de rigueur. Le silence ? Non. La complicité : les forces de la Police Nationale Révolutionnaire, la PNR, sont équipées de véhicules Peugeot servant à embarquer les manifestants, les hôtels de luxe construits en nombre, entre autres, par Bouygues et le groupe Accor, tentent toujours d’attirer les touristes plus ou moins fortunés au mépris des conditions de vie misérables de la population alentour et ce, malgré les ravages sociaux causés par les mesures drastiques destinées à enrayer le Covid 19, Pernod-Ricard continue à célébrer le sens de la « fête cubaine » avec ses publicités déployées sur tous les panneaux d’affichage de l’hexagone pour le rhum Havana Club, tandis qu’à Cuba on matraque, on emprisonne, on tue. Décidément, les indignations, si récurrentes au « pays des droits de l’homme », ne visent que très rarement l’île communiste. Nostalgie de la belle révolution d’antan ? Il est temps d’en finir avec le mensonge et de démontrer un début de solidarité avec les Cubains en lutte pour la liberté.   

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