Crise Etats-Unis-Russie autour de l'Ukraine: et si l’Otan était le vrai responsable de l'escalade ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, lors d'une visite à la base militaire de Mihail Kogalniceanu, le 11 février 2022 à Mihail Kogalniceanu, en Roumanie.
Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, lors d'une visite à la base militaire de Mihail Kogalniceanu, le 11 février 2022 à Mihail Kogalniceanu, en Roumanie.
©ANDREI PUNGOVSCHI / AFP

Géopolitico Scanner

Bien que la Russie ait annoncé le départ progressif de plus de 100.000 soldats postés aux frontières de l’Ukraine, la tension demeure maximale entre l'OTAN et la Russie, qui a « expulsé » le numéro deux de l’ambassade des Etats-Unis à Moscou, Bart Gorman, tandis que des soldats américains sont arrivés jeudi en Slovaquie pour prendre part aux exercices de l’Otan "Saber Strike 22", prévus du 5 au 10 mars (1200 soldats américains, 500 véhicules). Britanniques, Ukrainiens et Américains menacent la Russie de sanctions graves au cas où celle-ci reconnaîtrait l’indépendance du Donbass (est de l’Ukraine), comme l'aurait recommandé un projet de la Douma, en violation des accords de Minsk. De son côté, Moscou accuse le gouvernement ukrainien de violer ces mêmes accords lorsqu'il persiste à dénier au Donbass tout statut d'autonomie et en violant les droits linguistiques des russophones de l'Est et du Sud de l'Ukraine.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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La diabolisation de la Russie et la propagande médiatique russophobe et panatlantiste battent leur plein dans les pays occidentaux. Ces derniers passent totalement sous silence les provocations atlanto-américaines (velléités d'extension de l'OTAN vers "l'étranger proche" russe ukrainien et géorgien) et les intérêts cyniques gaziers des Etats-Unis qui ont besoin de pousser la Russie à l'erreur afin de faire peur aux marchés et de faire monter ainsi les prix des hydrocarbures. L'objectif est ici de remplacer en partie le gaz naturel russe par du gaz de schiste américain, sachant que plus le prix des hydrocarbures est élevé, plus le gaz de schiste US est rentable... Dans une logique de requête de multipolarité et de refus de l'hégémonisme étatsunien, la Chine défend son allié russe au sein de l'OCS (Organisation de la Conférence de Shanghai, alliance anti-OTAN), et l'ambassadeur de Russie aux Nations unies a repproché jeudi aux Etats-Unis "d’alimenter la tension autour de l’Ukraine en poursuivant l’élargissement de l’Otan qui va à l’encontre de notre époque, à savoir préserver la sécurité commune ». Les permanentes accusations des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne envers la Russie, suspecte de plans d'invasion de l'Ukraine, de la Géorgie - voire des Pays balte - rappelle à la fois la démonisation de Saddam Hussein en 2003 (accusations fausses de détentions d'armes de destruction de masse) pour justifier la seconde guerre anglo-américaine d'invasion de l'Irak, et même à certains égards les pires moments de la guerre froide...

La situation actuelle de tension OTAN Etats-Unis/Russie, pire que sous la guerre froide? 

Comme nous le rappelions dans nos précédents articles, les Etats-Unis, prisonniers d'une vision diabolisante de la Russie assimilée à un clone de l'URSS totalitaire, et donc d'une représentation stratégique du monde héritée de la Guerre froide, ont violé l'Acte fondateur OTAN-Russie de 1997 qui impliquait de ne pas faire intégrer dans l'Alliance les pays de l'ex-Pacte de Varsovie, et donc de respecter les demandes de la Russie post-soviétique de ne pas étendre l'OTAN aux frontières de la Russie. Au lieu d'œuvrer à une alliance "panoccidentale" qui aurait donné toute sa place à la Russie face aux menaces communes, notamment chinoise et islamiste, les stratèges de Washington et les élites de McWorld n'ont eu de cesse d'exclure la Russie de l'espace occidental et de poursuivre l'encerclement du Heartland russe par les manœuvres de stationnement et d'extension, toujours plus vers l'Est, des forces de l'OTAN, jusque dans "l'étranger proche" russe: Pays baltes, Géorgie, Roumanie, Pologne, ex-Yougoslavie; Bulgarie, sans oublier la ligne rouge ukrainienne évoquée plus haut. Cet élargissement sans fin de l'OTAN vers l'Est et le soutien américano-occidental aux rébellions et oppositions antirusses en Géorgie, Ukraine, Kirghizistan, a contribué à rendre la Russie bien plus hostile encore envers l'Occident qu'elle ne l'était à la fin de la Guerre froide. Cette stratégie visant à encercler la Russie puis à tenter de la priver de l'accès aux Mers chaudes et de compromettre la croissance de son marché gazier ouest-européen (problème du gazoduc North Stream II), est depuis le milieu des années 2000 (guerre d'Irak, révolutions de "couleurs" ou "velours" en Ukraine-Géorgie, etc), un véritable casus belli pour Moscou. En réaction, la Russie poutinienne a renforcé sa coopération avec tous les ennemis de l'Occident: Chine, Corée du Nord, Venezuela, Iran... 

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La conséquence directe de cette nouvelle Guerre froide, dramatique pour la sécurité collective et pour la Vieille Europe prise en tenailles, a été le retrait, à l'initiative des Etats-Unis, de nombreux accords de non-nuisances, de traités de non-prolifération (nucléaire et balistique), et de non dissémination (armes conventionnelles) qui a permis à Washington, dans le cadre d'une véritable relance de la course aux armements, de retrouver des marges de manœuvres non seulement vis-à-vis de la Russie, mais aussi de la Chine. Cette dernière n’étant en fait contrainte par aucun traité de désarmement passé ou présent, le développement massif de son armement nucléaire, balistique et conventionnel ne souffre plus d'aucune limite... D'évidence, ces retraits américains des grands traités de désarmement et de contrôle des armes, suivis des réponses russes équivalentes sur fond de tensions en Ukraine, au Moyen-Orient et en Syrie, ont rendu plus probable que jamais des conflits entre les deux anciens grands du monde d'avant, y compris nucléaires. Ce retour redouté des conflits interétatiques concerne au premier chef l'Europe, théâtre d'interposition majeure entre la Russie et les forces atlantistes, mais également le Proche-Orient (armées russe et américaines se faisant face en Syrie), la mer baltique, la mer de Chine et l'Asie en général (continent comptant le plus grand nombre de pays dotés de l’arme nucléaire : Chine, Taïwan, Corée du Nord/Corée du Sud, Pakistan/Inde). Ainsi, on notera qu'à peine un mois après la décision de Donald Trump de retirer les Etats-Unis du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaires (INF), en août 2019, Washington a procédé à l'essai d'un missile balistique de moyenne portée qui a atteint sa cible après plus de 500 km de vol et qui n’a pas manqué de faire réagir la Russie comme la Chine, laquelle a dénoncé la recherche systématique de supériorité militaire par les Etats-Unis au risque d'une relance de la course aux armements dans la monde. 

A partir de 2010, les Etats-Unis ont ainsi mis en place par le biais de l’OTAN une véritable architecture globale de défense antimissile balistique en Europe (BMDE), couvrant cette fois tous les territoires des pays européens de l’OTAN et qui, au passage, encerclent la Russie, bien que prétextant être dirigés vers l’Iran... Ce système est objectivement destiné à rendre une frappe russe en retour impossible en cas d'une première frappe nucléaire de l’OTAN. En 2014, il a été poursuivi et amélioré par les Américains qui ont ensuite utilisé l’annexion de la Crimée comme prétexte pour implémenter des systèmes de détections radars de défense aérienne supplémentaires et des destroyers.

La course aux armements est donc loin d'être stoppée, car en réponse, les Russes développent leurs systèmes de défense: un des exemples les plus remarquables concerne les missiles hypersoniques Avangard, à la pointe de la technologie. Testé en 2018 et mis en service le 27 décembre 2019 (juste au moment de l'abandon du traité FNI), ce missile est extrêmement performant, évoluant à une vitesse moyenne de Mach 20 (le maximum étant Mach 27, tandis que les missiles guidés traditionnel évoluent aux alentours de Mach 5), et pouvant délivrer des charges nucléaires d’une puissance de 2 mégatonnes... Autre particularité, ils sont capables de voler à une altitude anormalement basse (rasage) qui rendent la détection difficile et trop tardive pour une réaction. Ils peuvent ainsi détruire les missiles intercontinentaux ennemis directement dans leurs silos, remettant en question l’efficacité même de la défense de l’OTAN. Ce système a rendu Vladimir Poutine particulièrement fier du fait que "personne d'autre que nous n'a d'armes hypersoniques"... Précédemment, la Russie a également mis au point un missile balistique intercontinental du nom de Satan 2 ou « RS-28 Sarmat », très furtif et qui serait capable de détruire un territoire comme la France en quelques secondes.

Cependant, en se concentrant sur « l’ennemi russe », l’OTAN semble oublier la Chine, pourtant beaucoup plus menaçante, à terme, d'un point de vue géocivilisationnel, économique et stratégique, que la Russie, les forces armées américaines pouvant être dépassées dans quelques dizaines d'années par la Chine en cas de conflit dans le Pacifique. De plus, la plupart des bases militaires américaines du Pacifique-Ouest manquent d’infrastructures de défense et sont vulnérables. Enfin, il ne faut pas oublier que la Chine nucléaire possède l’armée la plus vaste au monde avec deux millions de soldats opérationnels (et 800 000 réservistes) et un budget de la défense trois fois supérieur à celui  de la Russie (172 milliards d’euros contre 64). En outre, elle a fortement investi dans les missiles balistiques de haute précision. La Chine développe d'ailleurs des armes hypersoniques, des nouveaux outils de guerre informatique ou l’intelligence artificielle,  domaine dans lequel elle aurait peut-être déjà dépassé les Etats-Unis, notamment le domaine de l’informatique quantique...

Alexandre del Valle vient de publier, avec Jacques Soppelsa, La Mondialisation dangereuse (L'Artilleur), ouvrage dans lequel les thèmes de cet articles sont développés.

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