Covid-19 : pourquoi la France n’a toujours pas su développer de vaccin <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
La France, pays de Pasteur, semble à la peine dans le domaine de la recherche et de la commercialisation d’un vaccin efficace contre la Covid-19.
La France, pays de Pasteur, semble à la peine dans le domaine de la recherche et de la commercialisation d’un vaccin efficace contre la Covid-19.
©JOEL SAGET / AFP

Recherche médicale et laboratoires

La France, pays de Pasteur, n'a pas réussi pour l'instant à se doter d'un vaccin contre la Covid-19. La France a été dépassée dans ce domaine par l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Russie et la Chine.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

Voir la bio »

Le variant Omicron et ses sous variants ont inauguré la phase endémique de la Covid-19. Il faut se garder de coller les modèles d’autres virus sur celui-ci pour en tirer des conclusions prédictives. Il est utile avant tout de s’adapter. Des défis peuvent encore surgir et l’aggravation tragique de la situation internationale avec l’invasion de l’Ukraine et le chantage économique planétaire ne peuvent être que des facteurs aggravants en santé publique tant du point de vue du partage des informations que du point de vue du contrôle de la dissémination d’un nouveau variant. Avant d’aborder la question d’un vaccin français il est indispensable de situer la France dans l’évolution de la Covid-19.

LA COVID-19 EST DEVENUE UNE EPIDEMIE DONT L'EVOLUTION RESTE PREOCCUPANTE MAIS LA MORTALITE EN BAISSE

L’arrivée d’Omicron est un événement majeur puisque rétrospectivement ce variant domine sur l’ensemble de la planète depuis 10 mois.

La pression sélective à court terme sur les mutations aléatoires lors des réplications virales aboutit à des variants plus contagieux

Ainsi l’Omicron et ses sous variants ont entrainé de nombreuses infections y compris chez des personnes immunisées. Les personnes qui font des formes graves sont essentiellement les personnes non immunisées, qu’il s’agisse de personnes immuno-déficientes ou bien de personnes n’ayant préalablement ni contracté la maladie, ni reçu le vaccin.

Figure N°1: Qui est le Sars-CoV-2? C’est un virus à ARN de structure assez simple. Il mute régulièrement lors des réplications mais les variants d’intérêt sont ceux qui grâce à des modifications de la protéine Spike (protéine d’accroche)prennent le dessus sur la souche dominante précédente.

À Lire Aussi

Bilan de la gestion du Covid : pourquoi ce muselage des scientifiques français ?

Les variants continueront à alimenter des résurgences ce qui est attendu avec un vaccin à ARN. En revanche la mortalité baisse dans le monde essentiellement car le nombre de personnes immunisées par la maladie, par le vaccin ou les deux est important notamment en Europe et en France. Mais aussi parce que les moyens antiviraux sont puissants. En revanche, les personnes à risque non immunisées et infectées par Omicron ont des taux de mortalité plus faibles que la souche sauvage mais significatifs. Dans certains cas ces derniers sont supérieurs au Delta.

La mortalité cumulative de la Covid-19 est élevée en France

Ces considérations sont essentielles pour écarter tout relativisme. Les mesures de prévention personnelle (PP) notamment le masque ont sauvé des vies. La question du renforcement des mesures de protection personnelle dans les espaces clos aussi. Nous savons que cette virose est respiratoire et de transmission aérienne par des gouttelettes et des aérosols pouvant circuler dans tous les systèmes de ventilation et a fortiori sans système de ventilation ou d’aération. Pourtant il y a peu ou pas d’amélioration dans le traitement de l’air des lieux clos recevant du public. Le vaccin a sauvé beaucoup de Français dès qu’il a été disponible. Et aujourd’hui notre éventail thérapeutique est très puissant mais sous utilisé ce qui explique une partie de la mortalité du BA.5. Ces faits sont solidement établis. Mais revenons à la question de la mortalité. Il y a au moins trois causes à cette forte mortalité lors de la pandémie:

- Tout d’abord, les décès de la phase sporadique ont été très nombreux car nous n’avons pas adopté assez vite et assez massivement les mesures de protection maximum (frontières, masques, isolement des cas positifs, réduction drastique et sélective des interactions sociales là où l’éloignement interpersonnel ne peut être respecté). Cette surmortalité par rapport à d’autres pays a concerné tout le territoire et bien sûr les personnes les plus fragiles et exposées. Au premier chef les personnes âgées qui ont été prises au piège dans des institutions mal préparées (Figure N°2).

À Lire Aussi

Vaccination Covid : l’heure de la personnalisation des situations a sonné

Figure N°2: Il se dessine une tendance au regard des statistiques officielles de la mortalité cumulative de la Covid-19. Les pays qui ont réagi très vite avec le contrôle des frontières, l’isolement des cas positifs et le masque ont évité une phase sporadique particulièrement mortelle comme celle observée en Italie, en France, au Royaume Uni et en Espagne. L’effet des confinements est controversé car il y a de nombreux biais en particulier la qualité du contrôle initial. Ces pays qui ont verrouillé la phase sporadique ont des mortalités trois à cinq fois inférieures aux autres. Il s’agit de constatations observationnelles qui sont appuyées par des études interventionnelles sur l’isolement, les masques et l’isolement aux frontières.

- Ensuite les décès des résurgences du virus dans les zones de faible vaccination et de faible observance des mesures de PP ont été nombreux. Il s’agit de l’hétérogénéité de l’application des mesures de santé publique dans le pays continental et les DOM, TOM. Cette hétérogénéité persiste principalement parce que l’approche de santé publique ne comprend pas de task force déployée au contact des populations. Les brigades sanitaires mobiles ne sont toujours pas constituées et les vaccinodromes ne remplissent pas ce rôle essentiel. 78,62 % de la population est complètement vaccinée mais cette moyenne cache une hétérogénéité géographique et socio-économique (Figure N°3). Ainsi existe des zones de faible vaccination où la transmission peut être très active.

Figure N°3 : Difficultés à atteindre plus de 80% de vaccinés complètement, seuls 5 pays y arrivent.

- Enfin les décès dus à une sous utilisation des traitements. Les antivirauxsont sous utilisés comme les anticorps monoclonaux (​​tixagevimab/cilgavimab et sotrovimab). La principale raison est le délai de 3 jours au mieux et 5 au maximum après le début des symptômes pour le Paxlovid. Il faut agir rapidement ( Figure N°4) car les tests sont rendus dans la journée et les distributeurs pharmaceutiques envoient les commandes dans la journée ou plus souvent le lendemain. Au niveau du vaccin il existe des poches de non vaccination ou bien de vaccination incomplète pour des raisons qui peuvent être l’isolement, l’éloignement, la difficulté d’accès à un conseil en santé, ces personnes très exposées sont aussi isolées quand il s’agit d’avoir recours aux antiviraux.

Figure N° 4: La prescription du Paxlovid au début de sa mise sur le marché. Complexité et bugs. Les retraités ne pouvaient pas prescrire sur cette plateforme mise en place par Pfizer mais dont le module d’identification était fourni par le ministère…

ATTENDRE UN VACCIN, COMME UN EXPLOIT OU BIEN COMME UNE REPONSE ADAPTATIVE ? 

Avant tout, quelle est la question? Attendons nous collectivement un vaccin français pour nous rassurer, pour une fois de plus regarder dans la réalité plutôt décevante de la réaction à la pandémie un coin de ciel cocardier? Un signe anti-déclin? Ou bien serait-ce une investigation rationnelle pour comprendre et s'adapter à la nouvelle donne? Celle de menaces infectieuses plus probables car favorisées par des transports rapides et massifs d’humains potentiellement vecteurs et du changement climatique qui favorise le passage de la sphère zoonotique à l’humain des virus connus pour pouvoir l’infecter ? Cette question est centrale. Au moins 10 000 virus ont la capacité d'infecter les humains. La grande majorité circule silencieusement chez les mammifères sauvages. Les changements climatiques et l'utilisation croissante des terres entraîneront des opportunités de partage viral entre des espèces sauvages auparavant géographiquement isolées. Dans certains cas, cela facilitera les retombées zoonotiques, car on suspecte un lien mécaniste entre le changement environnemental mondial et l'émergence de nouvelles maladies. Les vecteurs sont connus, par exemple les chauves-souris dans les régions tropicales qui contiennent les plus fortes densités de zoonoses.

Pourquoi n’y a t il pas de vaccin Français contre la Covid-19: les fausses pistes

Dans une pandémie, tout retard à l’allumage se paie cher en termes de mortalité et de traitement. La sous estimation de la menace, les masques inutiles parce qu’absents puis le délire des traitements sans preuves nous ont fait perdre des mois. Mais ce n’est pas là que les choses se sont décidées pour les entreprises de vaccins. Et grâce à la globalisation et au poids du marché européen les vaccins ont été disponibles sans délai en France alors que nous n’en produisions pas. Les Européens ont eu des vaccins en quantité suffisante, les vaccins les plus sûrs au monde. Ce qui a freiné la vaccination en Europe c’est l’organisation de la santé publique et une campagne anti-vax sans précédent. Ensuite quelles que soient les conditions du moment, développer un médicament coute très cher. Il faut donc évaluer ses chances d’aboutir avant de s’engager trop avant et mettre en péril l’entreprise. Des informations confidentielles ont influencé les décisions des entreprises du médicament au tout début de la pandémie dans la mesure où nous allons le voir la course avait commencé bien avant à propos d’autres virus.

L’argument d’autorité: quelle erreur!

Quand une pandémie nouvelle survient, il faut être humble. Il est naïf de dire “mais enfin Sanofi est le spécialiste des vaccins, comment cela se fait-il?". Tout simplement parce que dans une telle compétition les entreprises peuvent gagner ou perdre. Tout simplement parce que la taille de l’entreprise, les moyens, les parts de marché ou l’expérience passée ne font pas un vaccin. Il suffit de comparer AstraZeneca, Janssen, GSK, Merck et Sanofi. Les moyens et l’expérience sont inopérants dans une course dominée par l’innovation. De surcroît démarrer en disant que “de toutes les façons en un an ce n’est pas faisable” est un pari qui a une forte probabilité d’être perdu. Les Français qui suivent passionnément le sport savent que la méthode Coué ne marche pas pour gagner. Elle ne marche pas non plus pour inventer, mettre au point et commercialiser des vaccins. Il faut beaucoup travailler en amont, pendant le match et après. Sanofi n’était pas “destiné” à trouver un vaccin, ce n’était écrit nulle part. Or ils ont essayé.

Un seul champion national, monopole intérieur: une faute!

La deuxième réflexion c’est qu’il faut nourrir la compétition en France au lieu de concentrer et faciliter les acquisitions pour bâtir un unique “champion”. Les mécanos industriels planifiés par l'État ne font pas l’innovation disruptive, c’est même le contraire. Éviter de faire naître un monopole intérieur peut être salvateur. Sanofi a failli, c'est un fait, mais il n’y avait pas de second ni de troisième pour gagner l’étape ou bien monter sur le podium. C’est cinglant et triste. Nous y reviendrons. Pourtant n’en déplaise aux contempteurs de l’actuel président de la république, tout cela vient de très loin. La médecine est dominée par la biologie moléculaire depuis la découverte de l’ADN par Watson et Crick en 1953 et celle de l’ARN messager par Monod, Jacob, Gros, Lwoff et Brenner en 1961. Aujourd’hui injecter des vaccins vivants, atténués ou non réplicatifs pour immuniser c’est de la vaccinologie imprécise en ce sens que le produit injecté n’est pas chimiquement défini. La biologie moléculaire c’est avant tout la précision. Une base modifiée sur l’ADN ou l’ARN et le gène ou le message dysfonctionne. La technologie de l’ARN messager est le “game changer” de la Covid-19 car il inaugure une ère de vaccins chimiquement définis dans une évolution vers la médecine de précision. Il y aura d’autres évolutions notamment la biologie numérique et l’intelligence artificielle dans l’innovation et nous verrons si Sanofi rebondit dans les vaccins grâce à ces outils.

Des questions se posent au sujet du modèle français

Nul doute que dans un pays aussi centralisé et où l'État est la première puissance économique de la demande, le poids politique des institutions est majeur. Ne pas le reconnaître c’est en réalité avouer une réalité qui est devenue embarrassante. En effet, dans l’économie d’après guerre où la reconstruction était une priorité partagée par tous l’état a eu sa place pour ouvrir des voies dans des domaines de nécessaire souveraineté. L’énergie, le CEA et la création d’EDF en 1946 sont un bel exemple initial. Malheureusement l'interventionnisme politique de l'État dans des monopoles gavés de privilèges va assombrir l’avenir du pays. Nous y sommes. Les biens et les services sont disponibles sur un marché mondial. L’économie est tirée par l’innovation et petit à petit le modèle français s’est étiolé. La demande ne peut être le modèle de création de valeur. C’est singulièrement vrai dans la pharmacie. Les personnes innovantes n’acceptent plus les freins d’une économie bureaucratisée et de l’inflation réglementaire sans parler des aspects fiscaux. Les chercheurs réellement innovants comme E. Charpentier (Prix Nobel) secouent régulièrement ce modèle devenu un obstacle à franchir et choisissent de partir. Rationnellement des individus de toutes professions choisissent un autre pays en Europe ou dans le monde pour développer leur entreprise. On peut les retrouver ensuite à la tête de grandes entreprises comme S. Bancel à la tête de Moderna. La situation n’est pas dramatique mais elle devient de plus en plus préoccupante surtout dans certaines disciplines dont la biologie. Génétique, neurobiologie, embryologie, organismes génétiquement modifiés, médicaments sont scrutés en détail pour bloquer toute recherche qui ne serait pas politiquement correcte. De surcroît, l'État dans une logique planiste et omnisciente prétend déterminer les besoins de recherche à travers des politiques thématiques qui sont pourvues de moyens tandis que les autres thèmes sont privés d’accès aux financements d'État. Cette logique doit être inversée. Les résultats des recherches doivent permettre aux équipes d’excellence de bénéficier des fonds de recherche sur leurs projets. L’excellence doit être confortée. Rare exception à cette logique de compétition, les situations d’urgence comme la pandémie où l’état peut à travers ses ressources dans différents ministères et différentes agences coaliser les forces avec le but d’accélérer l’innovation. Ce qui ne fut pas fait en France ou bien avec un retard considérable.

Et les autres spécialistes des vaccins?

Astra-Zeneca et Janssen, ont développé un vaccin. Toutefois leur technologie de virus génétiquement modifié pour exposer la protéine Spike aux cellules immunocompétentes est l’exemple d’une vaccinologie moins précise que celle de l’ARN messager. Et du point de vue des complications, cette technique vaccinale comporte une faille que l’on découvrira dans le suivi des vaccinations en vie réelle: les thromboses par un mécanisme immunologique d’activation des plaquettes. La complication est redoutable mais extrêmement rare, c'est pourquoi les essais cliniques ne l’avaient pas formellement identifiée. En revanche l’anglais GSK, l’américain MSD, n’ont pas réussi. L’innovation bouscule les positions de marché. C’est une loi du genre qui démontre que les monopoles sont très dangereux et que dans la concurrence il faut suffisamment de biotechs pour permettre leur acquisition ou d’autres accords avec les entreprises qui ont le savoir-faire de la production de masse. L’aventure de BioNTech avec Pfizer est un exemple réussi de ces accords tandis que Moderna a réussi à innover et produire seul. Enfin soulignons que Sanofi était lié à BioNTech par un accord signé en 2015 dans le domaine de l’ARN messager thérapeutique dans les cancers. Cette même année constatant ses échecs dans ce domaine Sanofi avait réduit ses emplois dans ce secteur ce qui a abouti par exemple au départ de Tal Zaks chez… Moderna. L’Institut Pasteur a fait équipe avec Merck pour développer un vaccin à partir du virus de la rougeole génétiquement modifié. Il n’a pas dépassé la phase 1: “La décision de ne pas poursuivre le développement du candidat vaccin basé sur le virus du vaccin contre la rougeole fait suite à l’examen des résultats intermédiaires obtenus dans le cadre d’essais de phase I, engagés depuis août dernier. Cette décision est prise parallèlement à la décision du groupe Merck (MSD en dehors des Etats-Unis et du Canada), partenaire industriel de cette recherche. Dans ces études de première administration chez l’homme, le candidat vaccin a été bien toléré, mais les réponses immunitaires induites se sont avérées inférieures à celles observées chez les personnes guéries d'une infection naturelle ainsi qu’à celles observées avec les vaccins autorisés contre le SARS-CoV-2/Covid-19.” apprenait-on le 25 janvier 2021. 

S’agissant des autres fabricants de vaccin comme Novavax, Valneva et Hipra le marché potentiel est différent et il est difficile de tirer des conclusions. Celui de Novavax est un vaccin basé sur une protéine recombinante. Il s'agit de la protéine Spike du virus qui est produite et administrée sous la forme d'une nanoparticule. Une fois injectée, la protéine stimule le système immunitaire pour qu'il produise des anticorps et induise également une réponse des lymphocytes T. Les essais du vaccin Novavax menés en Afrique du Sud et au Royaume-Uni indiquent que son efficacité au Royaume-Uni était de 89 % sept jours après que les individus aient reçu deux doses de vaccin. En Afrique du Sud, l'efficacité du vaccin était de 60 % chez les personnes sans VIH. Un petit groupe de personnes vivant avec le VIH - environ 150 - a été inclus dans l'analyse d'efficacité. Cependant, l'étude n'avait pas la puissance statistique nécessaire pour évaluer l'efficacité du vaccin spécifiquement dans cette population. Le vaccin de Valneva, est le seul vaccin à virus entier inactivé avec adjuvant testé en Europe. L’essai clinique a été une comparaison au hasard entre le vaccin Valneva VLA2001 et le vaccin d’AstraZeneca AZD1222 (ChAdOx 1-S). Mais cet essai n’est pas un essai clinique d’efficacité. Aucun cas grave n’a été observé dans les deux groupes. Cov-Compare est un essai d'immunogénicité comparatif randomisé, à l'insu de l'observateur, contrôlé, mené auprès de 4 012 adultes et 660 adolescents. Les critères d'évaluation de l'immunogénicité sont un taux supérieur d’anticorps neutralisants ainsi que la non-infériorité des taux de séroconversion. Cet essai n’est comparable à aucun autre et n'a fait l’objet d’une publication que le 6 septembre 2022 () . Autorisé depuis le 24 Juin dans l’UE, les commandes ont été réduites en Europe et Valneva cherche d’autres marchés. Le fait qu’il s’agisse d’un vaccin à l’ancienne ne suffit manifestement pas. Enfin, la société espagnole Hipra a mis au point un vaccin avec deux protéines recombinantes celles de la Spike des variants Alpha et Bêta. Les données ne sont pas publiées mais ont été communiquées à l’agence européenne des médicaments.

L’ECHEC FRANCAIS EST-IL EN RAPPORT AVEC LES ANNEES QUI ONT PRECEDE LA PANDEMIE ?

Il est assez aisé de valider cette hypothèse par de nombreuses données concernant la vaccinologie.

L’histoire de l’ARN messager thérapeutique

C’est la question essentielle car chacun l’a compris l’ARN messager thérapeutique n’a pas été inventé après le début de la pandémie. Sans revenir sur le parcours singulier de Katalin Kariko, il faut comprendre que tout démarre en 1961. Monod, Jacob, Gros, Lwoff et Brenner publient trois articles majeurs sur l’opéron lactose de la bactérie E Coli et décrivent un acide nucléique différent de l’ADN qui permet au ribosome (structure cytoplasmique des cellules) de synthétiser exactement une protéine dont le code est sur l’ADN dans le noyau. Ils le baptisent ARN messager. Ensuite l’ARN messager va connaitre une longue période de recherche fondamentale avant que se fassent jour des perspectives d’utilisation thérapeutique. Fin 1987, Robert Malone réalise une expérience historique. Il a mélangé des brins d'ARN messager avec des gouttelettes de graisse, pour créer une sorte de soupe moléculaire. Les cellules humaines baignées dans cette soupe génétique ont absorbé l'ARNm et ont commencé à produire des protéines à partir de celui-ci. Après les expériences de Malone, l'ARNm est cependant considéré comme trop instable et coûteux pour être utilisé comme médicament ou vaccin. Pendant des années les recherches très nombreuses furent infructueuses pour utiliser l’ARNm comme un médicament. Jusqu’à Katalin Kariko et sa pseudo-uridine. En 2018 paraît dans Nature un article qui fait état des recherches sur les vaccins à ARN messager (Figure N°4). Sur la planète il y a BioNTech, Moderna et l’université de Pennsylvanie où a travaillé Katalin Kariko avec Drew Weissman. Il y a aussi CureVac, une société allemande qui développe une plateforme vaccinale à ARN messager. Il est intéressant de noter que BioNTech est en partenariat avec Genentech, Roche et Bayer. CureVac compte Sanofi entre autres partenaires et Moderna est déjà focalisée sur les vaccins viraux avec des partenaires très puissants, la Fondation Gates, et deux agences américaines le BARDA et la DARPA.

Figure N°4: les développeurs de vaccins à ARN messager en 2018, Sanofi est un partenaire de CureVac mais pas un leader.

La course est donc lancée depuis longtemps. La Covid-19 va être le booster et l’accoucheur du système de recherche mondial. Katalin Kariko travaille depuis des décennies sur des modifications de l’ARN messager qui permettraient de l’utiliser de manière fiable et efficace. Les premiers à avoir utilisé l’ARN messager dans des expériences ont insisté sur l’instabilité de la molécule. Il s’avère que l’ARN messager est rapidement détruit par le système immunitaire lorsqu'il est en dehors d’une cellule. Il a donc fallu trouver des solutions pour protéger le brin d’ARN messager et aussi faire en sorte qu’il soit immunogène c’est à dire dans l’idéal qu’il génère une production d’anticorps neutralisants et qu’il produise une réponse des cellules T pour des rencontres ultérieures.

Que s’est il passé avec le vaccin à ARN messager de CureVac dont le partenaire était Sanofi ?

Les données préliminaires publiées ont suggéré que l'efficacité du vaccin CureVac est de 47% c’est à dire trop faible pour que les régulateurs l'autorisent en urgence. L'essai d'efficacité a recruté quelque 40 000 personnes, environ 75 % en Amérique latine et 25 % en Europe. La principale découverte provient d'une analyse intermédiaire évaluant 134 participants qui ont développé au moins un symptôme de la COVID-19. Bien que la société n'ait pas donné de détails, l'efficacité rapportée de 47 % se traduit par environ 88 cas dans le groupe placebo et 46 parmi les vaccinés. "Les résultats donnent à réfléchir", a déclaré Franz-Werner Haas, PDG de CureVac. Il a souligné que les nombreuses variantes du SRAS-CoV-2 actuellement en circulation peuvent expliquer les résultats décevants. L'ARNm du vaccin a été conçu pour une version de la protéine Spike qui était dominante parmi les virus au début de la pandémie, mais qui a évolué depuis les multiples mutations. "Nous combattons pratiquement un virus différent, une pandémie différente au cours des 6 derniers mois", a déclaré Haas. Les performances médiocres du vaccin COVID-19 fabriqué par CureVac ne furent pas seulement une déception, c'est aussi compliqué à expliquer. La société a pointé le retard a effectuer l’essai clinique. Son PDG a blâmé les variants qui auraient amputé l’efficacité alors que l’ARN messager injecté est celui de la souche sauvage. À l'inverse, plusieurs spécialistes soupçonnent que la conception du vaccin est en cause. Scientifiques et investisseurs s'attendaient à ce que le candidat de CureVac, qui utilise l'ARN messager pour coder la protéine de surface Spike du SARS-CoV-2, ait de bonnes chances de devenir l'une des nouvelles armes les plus puissantes contre la pandémie. Il s'appuie essentiellement sur la même nouvelle technologie d'ARNm que les vaccins de la collaboration Pfizer-BioNTech et de Moderna, qui avaient démontré une efficacité de plus de 95 % dans leurs essais réalisés au début de la pandémie, et il présentait certains avantages pratiques de transport et de stockage par rapport à ses rivaux. Les scientifiques de l'essai ont séquencé le virus chez 124 participants qui sont tombés malades et ont trouvé 13 variants différentes. Seulement 1% des personnes infectées avaient un SARS-CoV-2 dont le pic correspondait à l'ARNm utilisé dans le vaccin. « Démontrer une efficacité élevée dans cette large diversité sans précédent de variants est assez difficile », a aussi déclaré Haas. D'autres essais d'efficacité ont révélé que certaines souches mutantes du coronavirus peuvent compromettre la capacité des vaccins COVID-19 à protéger contre les formes non graves, mais le variant qui a le plus puissamment sapé les autres vaccins, Beta, n'a pas été observée dans l'étude CureVac. En revanche, Alpha, observé pour la première fois au Royaume-Uni et l'un des premiers variants préoccupants, a causé 41% des 124 cas au total et 91% des 44 cas survenus en Europe. C’est pourquoi plusieurs experts doutent que les variants expliquent principalement les mauvaises performances du vaccin de CureVac. Contrairement à l'injection d'ARNm de CureVac, les vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna fonctionnent très bien contre le variant Alpha. Par ailleurs, CureVac n'a fourni aucune donnée sur le nombre de personnes infectées dans son essai d'efficacité qui ont développé une maladie grave. D'autres vaccins continuent de prévenir la plupart des hospitalisations et des décès, même lorsque les variants réduisent leur protection contre la forme non sévère de la COVID-19. Certains scientifiques ont donné un sens aux résultats de CureVac en rappelant une étude antérieure de phase 1 du vaccin. Elle a montré que les taux sériques d'anticorps dits neutralisants, qui empêchent le virus de se lier aux cellules, étaient relativement faibles chez les vaccinés par rapport aux personnes naturellement infectées par le coronavirus. "Il y a certainement une fortepossibilité que le vaccin ne soit tout simplement pas assez immunogène", a déclaré John Moore, immunologiste chez Weill Cornell Medicine, spécialisé dans l'analyse des anticorps neutralisants.

Le type d'ARNm utilisé par Pfizer/BioNTech et Moderna semble la clé du succès

Il existe cinq bases azotées présentes dans l'ADN et l'ARN : A - adénine, C - cytosine, G - guanine, T - thymine et U - uracile. L’ARN messager est une chaîne monocaténaire de bases A,G,C,U qui sont liées à un sucre le ribose. L'uridine (symbole Urd) est un nucléoside qui contient l'uracile attachée à un ribofuranose via une liaison β-N1-glycosidique. Les autres nucléosides étant l'adénosine, la thymidine, la cytidine et la guanosine. L’ARN est fragile et rapidement détruit lorsqu’il est en dehors d’une cellule. Le vaccin de CureVac a utilisé une forme non modifiée d'ARNm. Lorsque l'ARNm naturel est injecté dans le corps, il déclenche la production d'interférons, des molécules de signalisation qui peuvent stimuler le système immunitaire. CureVac a présenté cela comme un avantage de sa formulation. Drew Weissman, immunologue, souligne que les interférons peuvent également bloquer la génération de cellules T auxiliaires qui, à leur tour, dirigent les cellules B pour fabriquer des anticorps. Ainsi cet ARN messager non modifié peut diminuer indirectement la production d'anticorps.

Pfizer et BioNTech d’un côté, Moderna de l’autre, en revanche, ont modifié chimiquement l’uracile (U), l'un des quatre nucléotides qui composent l'ARN, dans leurs séquences codant pour la protéine Spike en utilisant la technologie développée par Katalin Kariko et Drew Weissmann à l’Université de Pennsylvanie. Le groupe de Weissman avait montré en 2018 que l'ARNm modifié au niveau de l'uracile déclenche de puissants anticorps neutralisants et d'autres réponses immunitaires protectrices dans des modèles animaux. 

En résumé, les composants chimiques des vaccins à ARN messager sont banals, à deux exceptions notables près. Le premier composant qui diffère c’est la nanoparticule lipidique qui encapsule l'ARNm et facilite sa livraison. Le second est le nucléoside non naturel de l’ARN qui remplace l’Urd: la N1-méthyl pseudouridine. Elle améliore l'évasion immunitaire et la production de protéines. C’est probablement la raison principale du succès des deux vaccins à ARN messager de Pfizer/BioNTech et Moderna (Figure N°5).

Figure N°5: (à gauche) Stratégie vaccinale COVID-19 basée sur l'ARNm. (à droite ) Caractéristiques structurelles de l'uridine et de la pseudo uridine (m1Ψ).( TCR: récepteur des lymphocytes T. CMH: complexe majeur d'histocompatibilité). Les composants chimiques des vaccins à ARN messager sont banals, composés principalement d'ARN plus "eau, sel, sucre et graisse", à deux exceptions notables près. Le premier est la nanoparticule lipidique qui encapsule l'ARNm et facilite sa livraison . La seconde est le nucléoside d'ARN non naturel N1-méthylpseudouridine (m1Ψ; Figure de droite), qui améliore l'évasion immunitaire et la production de protéines.

Dans ce contexte Sanofi aurait-il dû développer un vaccin à l’ancienne?

Sans savoir faire en ARN messager (nous ne traiterons pas ici du rachat de Translate Bio par Sanofi), avec un savoir faire réduit en virus génétiquement modifié il ne restait que les virus inactivés ou les protéines recombinantes (PR). La décision a été de se lancer dans un vaccin à PR. Manifestement la décision a été longue à venir et la mise au point incertaine. Aucune publication ne permet de se faire une idée des capacités de ce vaccin. La demande d’autorisation de mise sur le marché a été faite auprès de l’EMA en mars 2022 et le communiqué de Sanofi fait état d’une efficacité de 72%... Dans le cadre de l’essai de phase III COVID-19, à laquelle ont participé plus de 13 000 personnes de plus de 18 ans, le candidat-vaccin contenant l’antigène Bêta de Sanofi-GSK a présenté une efficacité de 64,7 % contre les formes symptomatiques de COVID-19 et une efficacité de 72 % chez les cas symptomatiques dont il a été confirmé que le variant Omicron était en cause (le séquençage a été réalisé pour 71 des 121 cas au total à ce jour). Dans les populations qui ont déjà été infectées par le SARS-CoV-2, le vaccin de Sanofi-GSK a présenté une efficacité globale de 75,1 % contre les infections symptomatiques et de 93,2 % chez les cas symptomatiques dont il a été confirmé que le variant Omicron était en cause, selon l’analyse de séquençage réalisée à ce jour. Ces résultats sont intéressants en particulier dans le cadre d’un rappel qui viendrait améliorer l’immunité vaccinale contre les derniers variants. Toutefois aucune publication de ces résultats dans une revue et donc pas de possibilité d’accéder aux détails de l’essai. Dans ce contexte, outre l’absence de détails sur l’essai, le retour sur investissement n’est pas assuré car intervient un autre paramètre: l’acceptation par le public. Si Sanofi a conçu son vaccin pour les rappels il a aussi mentionné les populations hésitantes à choisir l’ARN messager. Or les personnes candidates seraient moins nombreuses que prévu.

L’ECHEC EST FREQUENT POUR LES NOUVEAUX MEDICAMENTS, IL EST PARFOIS COMPENSE PAR UN SUCCES

Finalement cet échec de Sanofi dans le vaccin ARN messager n’est pas une catastrophe, le nombre d’échecs de médicaments est élevé, les pertes liées à ces échecs aussi. Pfizer en 2006 avait perdu plusieurs centaines de millions de dollars avec un médicament hypocholesterolémiant le torcetrapib qui en phase 3 s’est révélé augmenter la mortalité et provoquer une hypertension. Récemment, Pfizer a stoppé les essais cliniques d’un médicament pour des formes génétiques rares de cardiomyopathies dilatées. Les risques dans cette industrie sont grands. Les blockbusters aussi. Les firmes intègrent ces données économiques dans leur management des ressources et développe plusieurs spécialités pour compenser les pertes par des gains sur d’autres médicaments.

En revanche l’avenir du vaccin à protéine recombinante de Sanofi reste incertain et l’absence de concurrents nationaux significatifs associé à la rareté des biotechs françaises émergentes dans le domaine de la pharmacie est le véritable sujet. 

Il est possible de penser que cette histoire fera date. Il est important de la comprendre pour saisir les enjeux actuels de l’innovation en biologie et en médecine. Ces enjeux sont scientifiquement très complexes, humainement très exigeants et économiquement colossaux. Dans un deuxième article nous envisageons comment l’état français peut mieux préparer la France à ces enjeux en particulier en s’adaptant.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !