Condamner l’antisémitisme et tous les racismes, c’est bien. Mais qui osera s’attaquer aux causes qui nous ont menés là ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Environ 80 tombes ont été vandalisées au cimetière juif du village de Quatzenheim, près de la frontière avec l'Allemagne dans la région Alsace, découvertes tôt le 19 février 2019.
Environ 80 tombes ont été vandalisées au cimetière juif du village de Quatzenheim, près de la frontière avec l'Allemagne dans la région Alsace, découvertes tôt le 19 février 2019.
©AFP / Frederick FLORIN

Archipellisation

Depuis quatre décennies, les élites ont jeté un voile pudique sur ces questions, en pensant que les problèmes se résoudraient d'eux-mêmes.

Jean-Pierre Sakoun

Jean-Pierre Sakoun

Jean-Pierre Sakoun, pionnier de l’édition numérique, fut conservateur de bibliothèques et ingénieur de recherche au CNRS avant de créer sa propre entreprise. Il préside l’association Unité Laïque. Il est à l’origine de l’initiative pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon.

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Georges Fenech

Georges Fenech

Georges Fenech, ancien juge d'instruction, a présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Son dernier livre est intitulé "L'ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques" (2023) aux éditions du Rocher.

Il a déjà publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gare aux gourous (2020), mais aussi "Face aux sectes : Politique, Justice, Etat" (1999) et "Criminels récidivistes : Peut-on les laisser sortir ?" (2007).

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Atlantico : Nous assistons à une explosion des actes antisémites en France depuis le 7 octobre. Une marche est organisée contre l'antisémitisme dimanche. Comment en sommes-nous arrivés là ? A qui la faute ? Notre personnel politique, les enseignants de l'Education nationale, les magistrats ?

Jean-Pierre Sakoun : Les causes de cette situation sont multiples. Mais cela ne doit pas faire oublier que le Front National en a la responsabilité initiale. Jordan Bardella s’est encore permis de dire il y a quelques jours que Jean-Marie Le Pen n’était pas antisémite, avant de revenir en arrière, devant sa propre maladresse qui fait émerger ce refoulé que le RN tente de cacher. Il convient de rappeler que M Le Pen a été condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine raciale et pour antisémitisme. C’est à partir des années 70 que l'extrême-droite, appuyée par les négationnistes, a redonné vie en France à une forme sourde, insistante, parfois éclatante d’antisémitisme.

Cette constante de l’antisémitisme venant de l’extrême droite, accompagne depuis 30 ans un grand basculement vers la gauche, doublé de l’affirmation sur le territoire français d’un islamisme décomplexé à forte teneur antisémite. Cette part des musulmans, que nous espérons minoritaire, cultive une forme brutale et hystérique d'antisémitisme et d'antijudaïsme. A cela s’est ajouté l’idéologie « woke » venant des Etats-Unis, qui a envahi les universités françaises et une partie de l'intelligentsia, avec le même aveuglement, la même radicalité que le maoïsme à la fin des années 60 et au début des années 70. 

C’est la notion de victime qui est exaltée dans cette idéologie, car aujourd'hui, pour exister, il faut être victime. Pour cela, il ne faut pas être blanc. L’antisémitisme veut que le Juif soit blanc. Il en est même la quintessence car il en a tous les défauts selon cette idéologie. Ces différentes idéologie se rejoignent dans une confusion permanente entre Israël, judaïsme, et antisionisme. On peut dire que ce sont les déclarations antisémites prononcées dans le cadre de la conférence des Nations unies sur le racisme, à Durban en 2001 et 2011 qui ont scellé ce rapprochement contre nature entre la gauche moderne et l’antisémitisme. 

Cet antisionisme, c’est le refus clair de l'existence d'Israël, illustré par des slogans comme « la Palestine, du fleuve à la mer ». Or, un islamisme de plus en plus décomplexé fait pression sur la société française. Et l'électoralisme cynique de mouvements comme celui de La France insoumise qui, depuis les dernières élections présidentielles, cherche dans les banlieues les 600 000 voix dont Jean-Luc Mélenchon a répété jusqu’à l’obsession et contre toute réalité qu'elles lui avaient manquées pour être élu président de la République, mène à une conjoncture explosive. C’est ce contexte, cette atmosphère, cet « antisémitisme d’atmosphère » qui donnent le résultat que l’on constate aujourd'hui, la résurgence d’un virulent antisémitisme. 

Dans la République, le rôle de l’école comme creuset du citoyen conscient, rationnel et critique est essentiel. Or l'école ne joue plus son rôle, elle ne permet plus de construire des personnalités suffisamment outillées pour regarder d'un œil critique la propagande proposée, voire imposée aux citoyens. Cet affaiblissement de l'école s’accompagne de la catastrophe des réseaux sociaux. Le complotisme et une parole hors de contrôle y explosent et y prospèrent. Cela donne un effroyable cocktail où l’on sait que la figure du juif tient une place centrale. Il en va de même depuis les Croisades.

Après 30 ans d'endormissement, de culpabilisation post-coloniale insufflée au décideurs politiques français par les agissements des Frères musulmans, des pays d’origine de l’immigration et par les politiques irresponsables de l’Union européenne en matière d’effacement de la culture des Lumières devant un multiculturalisme naïf, nous avons sous les yeux le résultat. Les responsabilités sont donc complexes et multiples. C’est progressivement que s’est mise en place une atmosphère favorable à la stigmatisation des juifs. 

Georges Fenech : Pour lutter et s'attaquer à ce phénomène de l'antisémitisme qui explose, il faut avoir une ferme volonté politique sur trois volets. D'abord une politique préventive, ensuite éducative puis répressive. Ce sont les trois volets qui permettront d'endiguer ce fléau. 

Sur le volet préventif, il faut impérativement reprendre le contrôle de nos flux migratoires, éviter d'importer un islam politique chez nous et choisir les étrangers que nous voulons accueillir chez nous. Tout cela passe non seulement par un contrôle strict des flux migratoires qui ne pourra passer que par un référendum. Il permettra de rétablir les normes, la hiérarchie des normes et de s'exonérer de contraintes de la Convention européenne des droits de l'homme, notamment sur le regroupement familial. En matière de prévention, il convient aussi d’appliquer strictement ce qui avait été voté en 2021 dans le cadre de la loi dite contre le séparatisme, c'est à dire la question des imams consulaires. Il faut aussi refonder les institutions représentatives du culte musulman. Le CFCM s’est illustré par son dernier communiqué en disant que la manifestation de dimanche posait problème. En même temps que de marcher contre l’antisémitisme, il faudrait dénoncer l’islamophobie. Il y a aussi tout ce qui touche la vie quotidienne de nos concitoyens : les clubs sportifs, les associations…  On a voté des chartes de laïcité qui doivent s’appliquer avec la plus grande rigueur. Ce volet préventif doit mobiliser toutes les forces vives de la nation, tant au niveau de l'Etat que des collectivités locales, ou des associations. 

Sur le volet éducatif, un travail considérable doit être réalisé auprès des familles qui ont démissionné de leurs rôles et il convient de leur soumettre des obligations parentales auprès de l'éducation nationale. Des modules de formation sur les questions de laïcité doivent être mis en place à l'école et ne craindre à des réactions négatives d'une certaine catégorie d'élèves. Un service civil obligatoire d'au moins 6 mois, s'imposerait à toute une frange de la jeunesse à partir de 17-18 ans, par exemple. Cette initiative pourrait recréer le creuset républicain national qui a manifestement disparu avec l'abrogation de la conscription militaire. Ainsi tous les enfants de la République, de quelque religion qu'ils soient, pourraient apprendre à se connaître et à vivre ensemble.

Enfin, le volet répression. La justice n'est pas à la hauteur dans la lutte contre l’antisémitisme. J'en veux pour preuve la condamnation insignifiante de l'imam de Beaucaire à huit mois d'emprisonnement avec sursis alors qu'il avait fait l'apologie du meurtre des juifs en citant un hadith. Cette déclaration lui a valu l’interdiction d’une petite année de prêche. Le parquet a fait appel de cette décision qui est totalement en dessous de la gravité des faits qu'a commis cet imam qui aurait dû écoper d'une peine d'emprisonnement ferme et d'une interdiction de prêcher à vie. C'est évident. Donc la justice n’est pas à la hauteur. 

La justice européenne nous met parfois des bâtons dans les roues. L’exemple avec la décision de la CEDH en 2022 qui condamne la France pour expulsion de tchétchènes. Que faire ?

Georges Fenech : Des juges s'appuient souvent sur la supériorité des traités internationaux pour relâcher, refuser d'expulser ou prolonger des rétentions administratives. Il est temps de négocier ce traité de la Convention européenne des droits de l'homme, et d'observer un moratoire unilatéral. Pourquoi pas revoir fondamentalement les normes internationales ? Ce sont des sujets essentiels car ils touchent à notre souveraineté. Aujourd'hui, compte tenu du contexte actuel qui risque de s'aggraver, cette question n'est plus illégitime.

Qu'est-ce que nous avons raté depuis 40 ans pour en arriver là ? L'immigration ? Notre lâcheté face aux salafistes ? La haine de l'occident ? 

Jean-Pierre Sakoun : C’est notre incapacité à assimiler les populations immigrées qui, pour une majorité sont d'origine maghrébine et de religion musulmane. Il s’avère que malgré toutes les dénégations des uns et des autres, l'islam porte en lui une forme ancienne d'hostilité envers les Juifs qui remonte à l’écriture du Coran. Elle date des aventures de Mahomet à Yathrib, qui deviendra Médine, lorsqu'il s'est trouvé confronté aux familles juives dominantes qui n’ont pas voulu le suivre. Ceci a entraîné une hostilité féroce vis-à-vis des Juifs qui ne s’est jamais démentie.

Cet échec est aussi lié à au travail des islamistes vis-à-vis des populations musulmanes, pour les éloigner de la République, de leurs compatriotes, en s'appuyant entre autres, sur la diffusion de cet antijudaïsme millénaire qui infuse dans les banlieues françaises. Si ce n'est pas le cas de tous les musulmans, il n'en reste pas moins que les enquêtes et les sondages dessinent un antisémitisme virulent, en particulier chez les jeunes se reconnaissant de culture ou de religion musulmane. Jusqu’à ce que les choses explosent il y a quelques années, la pratique multi-décennale du « pas de vagues » de l’Education nationale, a conduit à la cécité et à l’inaction. C’est donc une multitude de facteurs anciens qui donne aujourd'hui ce résultat.

N’oublions pas parmi ces causes, le travail de fond d'une extrême-droite qui n'a jamais abandonné son antisémitisme et qui, tout au long des années 70 et des années 80, l'a maintenu en particulier sous la forme du négationnisme. Cette flamme ne s'est jamais éteinte et a contribué à l’embrasement général. 

Georges Fenech : Depuis quatre décennies, nous avons jeté un voile pudique sur ces questions, en pensant que les problèmes se résoudraient eux-mêmes. Nous pensions que le progrès économique ferait en sorte que chacun trouve sa place dans notre société. Des élus soucieux de leur réélection ont aussi acheté une paix sociale. Nous avons finalement fermé les yeux sur tout ce qui alertait à l'époque. 

Un seul exemple : le rapport de l'inspecteur de l'Education nationale Obin qui date de 2004 n'a jamais été exploité par quelque gouvernement que ce soit, alors qu'il dénonçait la pénétration d'une forme d'islamisation politique au sein de l'école. 

C’est plus qu’un aveuglement. La classe politique est responsable d'une forme de déni alors que c'était sous nos yeux. Le lien était pourtant établi entre l'immigration et la délinquance, comme en témoigne le nombre de détenus étrangers dans nos prisons. C’est encore la majorité des émeutiers de juin et juillet, environ 60 %, qui était issue de l'immigration, selon un rapport de l'Inspection de l'Administration. Nous avons échoué tant en termes d'intégration que d'assimilation. Il est temps aujourd'hui de changer de cap comme l'ont fait les pays Nordiques, comme le Danemark, comme d’autres pays européens. L'Allemagne est aussi en train de reprendre toute sa politique migratoire alors que la France est encore à se diviser sur cette question-là. Pourtant, l’union nationale devrait être de mise. 

Emmanuel Macron promet d'être impitoyable face aux porteurs de haine. Ces paroles ont-elles des chances d’être suivies d’actions concrètes ? 

Georges Fenech : Il faut des actes. Nous verrons ce qu’il sortira du premier acte posé de cette loi. Mais je suis toujours dubitatif quand j’observe l’alimentation perpétuelles des filières d'immigration clandestine en les régularisant. Je pense que l'opposition devrait se manifester très fermement sur ces questions et infléchir la politique gouvernementale.

Jean-Pierre Sakoun : Les lois sont assez efficaces pour agir mais l’Etat de droit et en particulier sa justice s’inscrivent dans une action sur le temps long, qui donne souvent le sentiment de l’inaction. De plus, on ne peut que constater que dans l’évolution très anglo-saxonne de nos institutions, contradictoire avec la République, une forme de contrôle permanent de l’action publique par les juges s’est instaurée, qui donne l’impression que les pouvoirs régaliens sont sans cesse entravés par une opposition de la justice, comme on vient encore de le constater avec les dernières décisions du Conseil d’Etat.

Dans le quotidien des populations juives, en proie à l’inquiétude, le pouvoir politique peut protéger les synagogues, les écoles juives. Mais la nature même de la question étant sociétale, il est très difficile au pouvoir politique de s’emparer des questions quotidiennes. Quelle que soit son efficacité, il ne peut pas soulager cette inquiétude. Quand un individu malfaisant fait une remarque à double sens qui va affecter un jeune Français juif et contre laquelle on est impuissant, l'Etat le sera plus encore. Rien n’a pu entraver par exemple l’exclusion de fait de 70% des enfants juifs de l’école publique. 

L’État, le gouvernement, le président, les institutions se doivent de marquer leur solidarité. C’est d’abord ce que demandent les Français juifs aujourd'hui. Eux qui, lorsqu‘ils sont croyants, prient pour la République chaque samedi dans les synagogues et, comme ce fut encore le cas il y a quelques jours, y chantent gravement la Marseillaise pour se réconforter.

Que peut-on en attendre de la marche de dimanche ? 

Jean-Pierre Sakoun : Deux des plus hauts responsables institutionnels et politiques de notre pays lancent un appel clair, net et sans bavure pour une marche contre l’antisémitisme. Et depuis cet appel, c’est à qui pourra paralyser l’initiative avec le plus de talent … ou le moins possible.

Tout d’abord et ça n’étonnera personne LFI par la voix de son chef qui, non content d’avoir fait exploser les vannes et les digues de l’antisémitisme depuis des mois essaie de se refaire une virginité en se drapant dans son attitude anti-RN, qu’il serait donc le seul à porter haut et fort. Puis un ministre et pas des moindres de lui emboîter le pas …

Alors soyons clairs, que l’initiative soit prise par des partis politiques expliquerait ce type de débat désastreux. Mais ici, ce sont les présidents des chambres qui appellent à cette marche ! Tous les partis y sont représentés car les Français ont voté … et il faudrait commencer à faire le tri ?

En réalité, certains sont en train de trouver tous les prétextes pour tuer cette marche et ils y arrivent avec un talent redoutable. Tous les élus devraient mobiliser les Français, expliquer en quoi ce moment est important et là… nous sombrons dans le pathétique.

Enfin, pour que les choses soient claires, je pense qu’il était beaucoup plus important justement d’obliger tous les partis à se positionner sur le fond de la marche et sa justification. Et oui, savoir si des élus RN, LFI ou autres vont manifester, est en même temps le dernier de mes soucis et une attente légitime pour savoir qui est capable de dire non à l’antisémitisme, sans aucun état d’âme.

Et bien non, même cela, nous ne sommes plus capables de l’organiser. Mais peut être est-ce justement un moyen rusé de faire échouer une initiative dont le sens continue de gêner aux entournures… Le pire est que ceux qui pensent faire baisser le RN grâce à ces stratégies d’apprentis sorciers vont encore réussir à le consolider…

C’est pourquoi cette manifestation de dimanche est essentielle. Et d’ailleurs, je lance un appel à tous les journalistes, comme je l'ai fait sur Public Sénat il y a quelques semaines : arrêtez de parler de communauté juive. Les Français de confession ou de culture juive sont des Français qui appartiennent comme les autres à la communauté nationale. Le fait de les regrouper ainsi sans cesse les exclut de la communauté nationale et permet d'une certaine manière, de mettre à distance leurs inquiétudes, ou leur douleur.  

Ce ne sont pas quarante membres de la communauté juive qui ont été assassinés par le Hamas, ce sont quarante Français. Ce n’est pas la communauté juive qui est attaquée en France, ce sont des Français.

C’est essentiel pour manifester sa solidarité. Il convient au minimum de protéger ce qui peut l’être, de faire montre de solidarité et de ne jamais renoncer à poursuivre les paroles et les actes antisémites.

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