Coco Chanel : « Je suis quand même la première femme à être à l’origine d’une multinationale ! »<!-- --> | Atlantico.fr
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Coco Chanel en 1944.
Coco Chanel en 1944.
©AFP

Série de l’été : les personnages de l’histoire qui ont changé le monde

Coco Chanel est une des très rares femmes à avoir réussi dans le monde des affaires en ne partant de rien ou presque. Coco Chanel est même la première à avoir créé une entreprise multinationale. Chanel triomphe encore aujourd'hui sur le marché du luxe.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Gabrielle Chanel restera une icône de la mode et de la haute couture. Née à Saumur en 1883, d’une mère couturière et d’un père vendeur ambulant, elle est placée en orphelinat à l’âge de douze ans, à la mort de sa mère. Son père délaissera alors le foyer familial. C’est sûrement au milieu des sœurs et de la religion qu'elle trouve son inspiration classique, ses couleurs de prédilection, le blanc et le noir et les damiers qui orneront chacune de ses collections. Pourtant, la créatrice restera très secrète, voire un peu mensongère sur cette enfance modeste. Une enfance qui va nourrir son ambition de réussir et de dominer le monde du luxe.

La jeune femme avait en tout cas des rêves de grandeur et s’en est allée à 18 ans hors de sa province . Au gré des rencontres, Gabrielle se familiarise à la haute société, monte à Paris un cabinet de couture, ouvre une deuxième boutique à Deauville, puis à Biarritz… Le succès est au rendez-vous, la différence de style de la dame aux camélias séduit, ainsi que son personnage, qui devient de plus en plus exigeant voire arrogant.

Elle meurt à 87 ans dans la suite du Ritz , place Vendôme qu'elle aura occupé pendant plus de trente ans. La plaque avec son nom orne encore aujourd hui , cette suite célébrissime ; Une telle réussite valait bien cet entretien imaginaire , mais imaginé avec tous les témoignages de ceux qui l’ont approchée et toutes les traces qu’elle a laissées.

JMS : Mademoiselle, comme c’est l’usage de vous appeler, bonjour. On vous avait vu chanter « Qui a vu Coco dans l’Trocadéro » à vos tout débuts, du temps où vous vous essayiez au music-hall, vous aviez alors 18 ans. Ça n’était pas des plus chics, dites-moi chère Gabrielle… Vous vouliez absolument être célèbre ?

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Coco Chanel : Vous n’avez pas tout à fait raison... Je ne cherchais pas la célébrité, seulement à accomplir un destin que je savais hors du commun. En réalité, c’est mon père qui aimait à m’appeler  Coco. Je l’ai effectivement repris sur scène avec cette chanson, c’était donc un hommage... Mais ce surnom a fait en partie mon histoire ! Lui traversera des générations, la chanson, beaucoup moins... De toute façon je n’avais pas une belle voix, je n’aurai jamais fait une grande carrière. N’ en parlons pas trop voulez-vous !

JMS : Pourtant, lors de ce radio-crochet, vous avez été repérée et séduite par un officier, Etienne Balsan, qui vous a amenée dans sa propriété de Compiègne, au milieu des chevaux et des gens de la haute société. Vous avez à la fois appris les codes et les avez bouleversés par les tenues que vous portiez, confectionnées par vos soins. Chapeaux, pantalons jodhpur, polos… Et surtout ça a marché : vous avez impressionné les dames de l’aristocratie lors d’événements hippiques et elles sont devenues vos premières clientes.

Coco Chanel : Les corsets et les crinolines, c’est peut-être beau, féminin, mais peu commode pour la vie de tous les jours et l’hyperactive que j’ai pu être ne les supportait pas . Alors, je me suis servie dans le vestiaire des hommes, j’y ai trouvé beaucoup d’idées et j’avais du goût pour les féminiser, donc ça a plu. Il me fallait surtout franchir les interdits, les "qu'en dira-t-on". La première fois que j’ai osé mettre un pantalon ou quand j’ai coupé courts mes cheveux par exemple… Fort heureusement, je m’en fichais !

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Et si la chute de la natalité était liée à l’état psychologique de la population ?

JMS : Vous vous êtes installée Boulevard Malesherbes en 1909, puis rue Cambon. Soit le luxe était véritablement dans vos gênes, soit pour une provinciale, vous vous êtes très vite intégrée à la vie parisienne !

Coco Chanel : L’un ne va pas sans l’autre. Quand je suis montée à Paris, j’ai vu que c’était là où les choses se faisaient. Qu'il fallait fréquenter les endroits hype, fancy comme on dit aujourd’hui. Ce n’était pas encore l’hôtel  Costes, c’était Maxim’s, c’était le Ritz. Là où les gens se rencontraient, d’où les tendances partaient, aussi.

Comme vous le savez, mes relations m’ont aidée à ouvrir mon magasin de modiste dans la capitale. Mon premier atelier était une ancienne garçonnière, ça n’est pas des plus chics, vous voyez. Elle appartenait à ce monsieur Balsan, qui m’avait extirpée de ma province pour m’amener au milieu de son élevage de chevaux, à Compiègne. Je m’y suis tellement ennuyée là-bas ! Mais enfin, j’y ai trouvé l’inspiration, la vocation et la possibilité de venir à Paris exprimer mon art. Je lui dois beaucoup.

 JMS : Et le succès est venu. Avez-vous le sentiment d’avoir participé à la libération de la femme ?

Coco Chanel : Peu à peu, les bourgeoises ont elles-aussi réalisé que ça ne servait à rien d’être engoncées à longueur de journée, qu'elles pouvaient être plus à l’aise, être vêtues plus simplement, mais avec style et élégance. C’était toute ma problématique. La bandoulière que j’ai pu inventer, la fameuse chainette du 2.55, c’est précisément pour ça : être libre de ses mouvements sans perdre son sac, ce qui pouvait m’arriver quelquefois !

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JMS : Le vêtement était déjà un moyen d’expression social ?

Coco Chanel : Le vêtement en dit beaucoup de la personne et de sa condition, vous savez. A l’époque, les femmes pouvaient être exclues de la vie sociale, il était mal vu de porter certaines tenues, déjà… Oui j’ai voulu la libérer, vestimentairement du moins, mais pas à n’importe quel prix ! Les mini-jupes ou les jeans, j’ai toujours trouvé ça cheap !

Aujourd’hui, je regarde avec affliction vos débats actuels. Par exemple, le burkini. Toute cette polémique à cause d’un vêtement est ridicule. Moi, voyez-vous, j’ai rendu célèbre le pyjama, celui pour aller à la plage ou en soirée. A Deauville, à Cannes ou Antibes, nous organisions même des concours de pyjamas de plage ou de soirée. C’était le chic estival. Regardez ce que vous en avez fait, un vulgaire habit de nuit !

Je n’ai jamais considéré que porter moins de vêtement était signe de progrès. Ce sont le style, le choix et le bon goût qui  sont des marqueurs de progrès. Les femmes se croient  fortes quand elles sont féminines. Or, la féminité est aussi subjective, ce n’est pas seulement ce que l’on montre, ce que l’on porte. L’allure et le style définissent une femme.

Je veux juste que chacune puisse disposer de son corps, de ce qu'elle veut montrer, de ce qui est beau à montrer. Ce qui fait peur avec le burkini, c’est qu'il évoque un modèle social et politique non-européen. Et comme souvent, l’inconnu effraie. Mais je m’éloigne…

JMS : A l’époque, vous étiez quelque peu réactionnaire. Quand vous avez rouvert votre atelier de couture, après-guerre, vous n’avez pas suivi la vague de Christian Dior et du New-Look qui mettait beaucoup plus en avant le corps des femmes.

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Coco Chanel : Il ne le mettait pas du tout plus en avant, il l’engonçait une fois encore ! Corset et taille de guêpe, non merci ! Voilà tous mes efforts réduits à néant ! C’est ce qui m’a fait sortir de ma campagne suisse et m’a donné l’envie de réussir à nouveau. De là est né le tailleur qui a redonné à la femme son élégance dans un vêtement fonctionnel.

JMS : Alors justement, parlons politique. Vous le savez, vous avez été accusée de collaboration pendant l’Occupation. Déjà parce que vous êtes restée séjourner au Ritz au milieu des dignitaires allemands, et vous auriez effectué des missions d’espionnage à leur demande, grâce à vos nombreuses relations. D’ailleurs, vous seriez tombée amoureuse de cet officier allemand, que vous avez ensuite suivi à Lausanne après la guerre. Le Ritz, les strass, les peoples, ça rapproche tant que ça ?

Coco Chanel : Je ne vous permets pas ! Écoutez, je ne vous répondrai pas sur ce point. Aujourd’hui, vous aimez tout savoir, avec vos réseaux sociaux, Twitter et autres. Mon époque était bien différente, c’était très bien ainsi.

JMS : Mais vous êtes un mythe , normal que les gens veuillent percer une part de mystère… Parlez-nous plutôt alors de cet Arthur Capel, votre grand amour, décédé tragiquement. Qu'avait-il de particulier ? Vous le surnommiez « Boy », devenu aujourd’hui un de vos sacs, lancé en 2011 avec succès, c’est un bel hommage…

Coco Chanel : Karl Lagerfeld a magnifiquement perpétré le mythe Chanel et ses icones. Ce sac nommé Boy est le parfait reflet de Capel : robuste mais simple, élégant et moderne, tout le monde se l’arrache, comme mon bel Arthur…

Ce fut le seul pour moi qui eut vraiment de l’importance.  Il a cru en moi, c’est la plus belle preuve d’amour qui soit, et avec son ami Belsan, ils m’ont aidée quand je suis venue à Paris.

JMS : Ça ne vous dérangeait pas d’être une femme entretenue ?

Coco Chanel : Entretenue, certainement pas ! Capel m’a aidé financièrement c’est vrai, mais je l’ai remboursé jusqu’au dernier franc ! C’était un prêt, en somme.

Vous devriez plutôt me dire que j’étais une vraie femme d’affaires. J’ai racheté des cabinets de mode spécialisés qui pouvaient m’aider dans ma couture afin de réaliser des synergies comme vous dites dans votre jargon. J’ai eu jusqu’à 4000 ouvrières avant la Seconde guerre. Je me suis diversifiée, dans les parfums notamment, j’ai pris des risques. Je suis quand même la première femme à être à l’origine d’une multinationale ! Même Marylin Monroe me doit une part de sa notoriété, après qu'elle ait déclaré ne porter que du Chanel n°5 au lit. Elle savait entretenir les fantasmes, celle-ci…

JMS : Alors, de votre point de vue de femme d’affaire, comment jugez-vous la transformation du secteur du luxe ? Les Arnault, Pinault et autres vous font-ils peur?

Coco Chanel : Je suis contente qu'ils soient français, mon côté chauvin sans doute. Ils ne me font pas peur, mais les grands groupes, ce n’est pas ma tasse de thé. Ils font le plus facile, ce ne sont pas eux qui ont inventé un style.

Je ne suis pas peu fière que la Maison Chanel ait gardé son indépendance, son originalité.  Je n’aurai jamais cru, en installant ma boutique rue Cambon en 1910, que mon style allait faire le tour de la planète et que j’allais voir des chinoises arborer mes sautoirs de perles et se disputer mes sacs.

Mais quelque part, j’ai le sentiment amer que nous sommes en train de perdre du prestige, les genres s’uniformisent et on se dirige alors tout droit vers la mort du style.

Chanel est restée indépendante et appartient aujourd’hui encore aux Wertheimer, une grande famille d’industriels du XXème siècle qui m’a aidée à sortir ma ligne de parfum et ce célèbre n°5. Bon, ça n’a pas toujours été le grand amour entre eux et moi…mais ils n’ont pas touche à l’ADN.. ils ont compris cela . Mais ils n’avaient pas le choix . Sinon , ils auraient coulé cette entreprise.

Chanel est sûrement la plus belle maison de couture, encore aujourd’hui, je n’ai pas peur de le dire. La légende ne s’arrêtera pas de sitôt.

JMS : Vous êtes particulièrement fière, voire prétentieuse. Est-ce une qualité nécessaire à quelqu’un qui veut réussir selon vous ?

Coco Chanel : Sans ambition, on ne va nulle part. Je pense que les jeunes aujourd’hui manquent cruellement de confiance en eux. Ça se voit sur leur travail, sur leur envie. Mais je ne vais pas vous faire le coup du « c’était mieux avant » au risque de passer pour une vieille dame hostile à toute modernité.

Je dois retourner travailler à ma nouvelle collection… Je terminerai donc cet entretien par une des phrases que j’ai pu prononcer et qui résume parfaitement mon destin et ma pensée: « Si vous êtes né sans ailes, ne faites rien pour les empêcher de pousser ».

Pour aller plus loin :

L’allure de Chanel, Paul Morand, Folio

Coco Chanel, Henry Gidel, Flammarion

Chanel, Danièle Bott, Fabien Sarazin, Ramsay

Coco, Marie Dominique Lelievre. Denoël

Les grands entretiens de l’histoire, Jean marc sylvestre , Saint Simon .

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