Chroniques tadjikes : la canne brisée<!-- --> | Atlantico.fr
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Une canne d'Isfara.
Une canne d'Isfara.
©DR

Isfara

Isfara, à la frontière du Kirghizistan, est le centre de l’artisanat du bois.

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski est Diplomate européen, auteur de « Paradoxes des populismes européens » et du « Traité du Toasteur ».
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Aujourd’hui, j’ai brisé ma canne d’Isfara. Elle m’a sauvé deux fois la vie.

Isfara est à la frontière du Kirghizistan dans la vallée du Ferghana. Elle n’est pas que la capitale internationale de l’abricot. Elle est aussi le centre de l’artisanat du bois, avec d’excellents maîtres, «Ustod ». On m’avait recommandé au meilleur, pour une canne. Pas une canne télescopique en plastique noire, traînée par des apprentis pèlerins fatigués. C’est que je marche vraiment, et que je suis collectionneur. La canne est indispensable pour avancer dans la campagne, comme dans la montagne : elle ouvre les chemins, elle écarte les araignées dans les sous-bois, elle dissuade les voitures sur les routes secondaires, elle  permet de descendre et elle tient au loin les chiens. Elle est aussi jolie et décore une entrée avec une collection de bois variés, comprenant des cannes Toulouse-Lautrec, des cannes de combat, des cannes épées, de solides cannes d’ébènes,  des cannes bénies  à Saint-Jacques-de-Compostelle… 

L’atelier du maître est dans le faubourg. La maire adjointe m’accompagne. L’Ustod m’accueille avec le toki sur la tête, un air malin et épanoui, fier qu’un étranger le visite. Je m’extasie devant ses limes et rabots, puis devant ses productions artisanales,vaisselles en bois,sculptures, tabourets… Il a même créé une gourde en bois pour eau de vie locale. Mais je ne vois pas de canne. Mademande l’égaie un peu plus, venant d’un étranger sédentaire. Il déclare travailler tout particulièrement les cannes, mais les réserve aux initiés. Elles sont cachées dans un placard. En noyer, elles sont abondamment sculptées avec un manche recourbé. J’en essaye une superbe, en marchant dans sa cour pendant 15 minutes. Elle n’est pas à ma taille. Il me l’allongera donc. L’affaire est conclue. Nous prenons la photo officielle. Dans quinze jours, je recevrai ma canne par taxi, ce qui est l’équivalent au Tadjikistan d’Uber et Amazon. Deux surprises à l’arrivée:il a sculpté sur son manche deux serpents dont les yeux sont orné de rubis. Le deuxième serpent, plus petit, sert de repose-pouce. 

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Ma canne m’a sauvé la vie une première fois en montagne. Aux cascades de Rouj Rarf. J’avais essayé une première fois de les atteindre sans canne. Ce qui est rigoureusement impossible, sur des montées de petits éboulis. J’avais du rebrousser chemin. Avec ma canne d’Isfara, je peux facilement rejoindre la cascade. Après un dénivelé de 900 m, je me baigne dans une eau pure à 6°. En montagne, il est plus difficile de descendre, surtout sur des éboulis de gravier. Longeant un ravin, j’ai senti mon pied glisser, attiré vers le vide. Par réflexe, j’ai puenfoncer la canne dans le sol et dévier ma chute au dernier moment. 

La deuxième fois, ce fut ce matin, à 6h. Il fait déjà 26°. Il est juste temps pour un tour de 12 kms que j’ai déjà fait des dizaines de fois, parfois avec mon copain Achour. Je prends cette fois-ci un chemin de détour qui surplombe la ville. Mal m’en a pris. Au bout de trois kms, j’entends des grognements et des froissement de taillis. Ils font irruption. Trois molosses, des chiens sauvages des villes, qui vivent à leur marge. J’avais déjàpu échapper à une meute, au parc Yildiz d’Istanbul, en tenant tête à la femelle. Ici, ce sont trois mâles énormes, deux noirs, un beige, montant les crocs, bavant, tentant l’encerclement. Ils ne lâchent pas prise, insensibles aux manœuvres pacifiques, puis aux moulinets de canne et aux cris. Rien n’y fait.ils s’approchent de plus en plus, prêts à la curée. Les avanies de l’hallali. Je crie en vain. Je n’ai pas le choix. Je dois affronter le chef de meute et porte un violent coup de canne sur son museau. Double craquement sinistre. Il en attrape le bout ferré. Le colosse canin tient une moitié de la cannedans sa gueule. Ma canne est brisée. Comme Cochise avec sa flèche, le molosse accepte alors l’armistice et se retire. Je n’ai jamais retrouvé le bout ferré de ma canne d’Isfara. Je crois qu’il l’a avalée.

La canne brisée.

Elle décore une entrée avec une collection de bois variés, comprenant des cannes Toulouse-Lautrec, des cannes de combat, des cannes épées, de solides cannes d’ébènes,des cannes béniesà Saint-Jacques-de-Compostelle…

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